La Femme Aux Seins Percés

Un texte signé Philippe Delvaux

Japon - 1983 - Shogoro Nishimura
Titres alternatifs : Chikubi ni pierce wo shita onna, Woman with pierced nipples
Interprètes : Jun Izumi, Usagi Aso, Keito Asabuki, Nami Matsukawa

Le terme de roman porno est une trouvaille marketing de la société de production Nikkatsu, tout près de la faillite à la fin des sixties, c’est sous cette appellation qu’elle désigne les nombreux films érotiques qu’elle va produire à partir de 1971. Ainsi certains réalisateurs deviennent de vrais spécialistes du genre comme Shôgorô Noshimura qui compte plus de 80 mises en scène à son palmarès. En 1983, alors que la Nikkatsu fête ses 70 ans, Shôgorô Noshimura livre une bobine ambitieuse qui mélange deux auteurs classiques de l’érotisme : le Marquis de Sade (LA PHILOSOPHIE DANS LE BOUDOIR) et Pauline Réage (HISTOIRE D’O). Le titre du film évoque l’héroïne créée par cette dernière (rappelons que O avait le sexe percé) : LA FEMME AUX SEINS PERCES.
La jeune et belle Satsuki, infirmière dans une clinique privée spécialisée dans la chirurgie esthétique, vit un bien triste quotidien de célibataire endurcie. Toutefois, un inconnu lui fait régulièrement livrer des roses rouges. Ce dernier finit par la contacter pour lui proposer un rendez-vous galant…
Bien sûr, Noshimura ne nous propose pas une histoire d’amour à l’eau de rose destinée à émoustiller les lectrices bicentenaires de NOUS DEUX. Ce premier rencard est la marche originelle d’un escalier qui va entraîner la belle Satsuki vers les tréfonds de la soumission. En effet, Monsieur Gondo, l’amoureux mystérieux s’avère être un expert dans l’art de la domination. Le cinéphile a tôt fait de le comprendre lorsque, lors du rendez-vous initial, il offre des chocolats chargés de laxatif à Satsuki. Celle-ci est contrainte de se rendre aux gogues publics (dans un état de délabrement avancé), elle est alors rejointe par son tortionnaire qui la sodomise avec rage. Ce viol laisse Satsuki sur les rotules, mais, prise dans un étrange engrenage d’amour et de haine (et surtout constamment droguée par son amant qui en fait sa prisonnière), elle va continuer cette relation jusqu’à la soumission totale.
LA FEMME AUX SEINS PERCES est un roman porno archi-classique telle qu’en produira la Nikkatsu jusqu’en 1988. En effet, le nombre de pelloches qui mettent en scène des femmes découvrant avec joie et bonheur le manuel du parfait émule de Sacher-Masoch est légion. Par ailleurs Nishimura, grand activiste de la série FLOWER AND SNAKE (inspirée du travail de Dan Oniroku), bien qu’il soit un universitaire spécialiste de la littérature française, est un metteur en scène peu subtil lorsqu’il s’agit d’illustrer son propos (voir à ce sujet les quelques séquences d’ondinisme maladroitement amenées).
Non, là où ce film détonne c’est plutôt par sa plastique, en effet, la photographie est assurée par Yoshihiro Yamazaki, un grand chef-opérateur nippon qui livre ici quelques compositions superbes. Il arrive à rendre beaux les sinistres intérieurs japonais des années 80, ce qui n’est pas une mince affaire ! Ainsi, l’héroïne se roule nue sur un parterre de roses rouges dans une scène à la fois sensuelle et onirique. Monsieur Gondo dispose, dans son étrange club privé, d’une cave singulière plongée dans l’obscurité. En effet, les bouteilles de vin que l’on y distingue sont de sublimes suppliciées nues enchaînées et enfermées dans des cages. On nage alors en plein surréalisme. Le comble est atteint dans une scène hautement sadienne qui voit l’une des belles, attachée à une cible tournante, victime d’un tortionnaire qui lui tire une flèche enflammée à l’aide d’un arc. L’ensemble de ces moments forts confère à LA FEMME AUX SEINS PERCES une identité esthétique toute particulière renforcée par le physique atypique de Jun Izumi. Cette interprète dispose d’un visage candide qui décuple le caractère avilissant des perversions auxquelles elle s’adonne, il faut la voir sourire avec candeur lors d’une douche dorée.
Comme souvent dans le cinéma érotique d’exploitation nippon, cette bobine est amorale. Nous ne découvrirons jamais ce qui pousse le tortionnaire à agir de la sorte ni le fonctionnement de son club. Ici, point de petite prolétaire déguisée en soubrette qui serait soumise à un dressage donné par des vieux bourgeois sadiques (d’ailleurs Monsieur Gondo n’est qu’un simple employé de bureau). On est bien loin de la piètre illustration donnée des mêmes thématiques par des cinéastes comme Just Jaeckin (HISTOIRE D’O-1975), Shôgorô Nishimura livre avec LA FEMME AUX SEINS PERCES une incontestable réussite du roman porno. Un film dans lequel, loin des codes occidentaux, les protagonistes évoluent sans tabous dans un monde où tout se prend par la force, y compris l’amour, la mort et sa petite sœur, la jouissance.

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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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