La lune de sang

Un texte signé Philippe Chouvel

Allemagne - 1981 - Jess Franco
Titres alternatifs : Bloody Moon, Die Säge des Todes, Colegialas violadas
Interprètes : Olivia Pascal, Christoph Moosbrugger, Nadja Gerganoff, Alexander Waechter, Jasmin Losensky, Corinna Drews

Miguel est un jeune homme complexé par son visage défiguré, l’empêchant d’avoir une relation amoureuse normale. Lors d’une soirée costumée, il poignarde sauvagement une convive. Placé dans un institut psychiatrique, Miguel en ressort cinq ans plus tard, à la condition que sa sœur Manuela le prenne en charge. Tous deux retournent alors au domaine familial appartenant à leur tante, une vieille comtesse immobilisée dans un fauteuil roulant. Celle-ci a subventionné la construction d’un institut de langues étrangères, près du lieu du drame s’étant déroulé cinq ans auparavant. Cette école est fréquentée par de ravissantes étudiantes que Miguel ne manque pas de remarquer. Toujours en souffrance, un risque de récidive est à craindre de sa part…
Jesus Franco connut de fructueuses et intéressantes collaborations avec des producteurs liés de très près à l’Allemagne, comme le producteur d’origine polonaise Artur Brauner et le suisse/allemand Erwin C. Dietrich. C’était durant les années 60/70, les plus riches du réalisateur, celles où il put le mieux exploiter son talent et exprimer ses délires et son imagination sans limites. Après son association avec Dietrich, le cinéaste connaît un passage à vide, livrant des œuvres assez décevantes comme MONDO CANNIBALE. En 1980, on lui propose un film de commande censé profiter du succès d’HALLOWEEN et VENDREDI 13.
Le producteur derrière ce projet n’est autre que Wolf C. Hartwig, spécialisé dans le cinéma d’exploitation (on lui doit entre autres la série des SCHULMÄDCHEN-REPORT). Cette association entre Hartwig et Franco va déboucher sur LA LUNE DE SANG. Ce sera la seule fois que les deux hommes travailleront ensemble, tout comme il s’agira de l’unique slasher jamais tourné par le metteur en scène.
A voir le film, on est frappé (pour peu que l’on soit familier du cinéma de Franco) par l’aspect totalement impersonnel de ce long métrage qui, à aucun moment, ne laisse penser qu’il a été réalisé par le cinéaste espagnol. Indéniablement, LA LUNE DE SANG suit une trame classique fidèle aux codes du slasher, mais se démarquant totalement de l’univers du réalisateur. Et le casting ne fait qu’accentuer ce sentiment, puisqu’aucun des protagonistes du film ne fait partie du paysage habituel de Franco (à l’exception de Christina von Blanc, l’héroïne de CHRISTINA CHEZ LES MORTS VIVANTS, mais réduite ici à de la simple figuration).
Qui plus est, si l’on se penche sur les noms des acteurs crédités au générique de LA LUNE DE SANG, on peut vraiment rester perplexe. Pas le moindre nom familier, si ce n’est celui d’Olivia Pascal. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette actrice n’est pas française mais bien allemande ; d’ailleurs sa véritable identité est Olivia Gerlitzki. Elle connut son heure de gloire essentiellement en 1977/78, avec bon nombre de premiers rôles dans des comédies légères (TREIZE FEMMES POUR CASANOVA) et quelques films érotiques comme VANESSA, de Hubert Frank. Une jolie jeune fille, qui se déshabillait à la moindre occasion ; aussi on pouvait penser qu’il en serait de même ici, surtout avec Jesus derrière la caméra. Eh bien non ! Au niveau de l’érotisme, le film reste très sobre, Franco axant son histoire, avant tout, sur les mises à mort de ses héroïnes. Pour le reste, il se moque ouvertement de l’intrigue, et ne fait d’ailleurs pas grand-chose pour ménager le suspense. Après dix minutes, et au détour d’une scène réunissant les trois membres de la famille Gonzales (la comtesse, son neveu Miguel et sa nièce Manuela), on devine déjà de quoi il retourne. Le scénario, réduit à la portion congrue, sert avant tout à amener les meurtres, et faire en sorte qu’ils soient bien « saignants ». Le gore est au rendez-vous, pas la crédibilité, mais le souci de Franco est manifestement de remplir le cahier des charges, et de satisfaire ses commanditaires. Comme tout bon slasher qui se respecte, le sang doit couler à flots, et l’hémoglobine sera effectivement abondante, avec comme point d’orgue une décapitation à la scie circulaire et une éventration à la tronçonneuse.
Néanmoins, l’implication personnelle du cinéaste pour ce produit de commande est proche du néant. Tout juste se permet-il de s’inviter dans le film, incarnant un personnage qu’il a dans le passé endossé plusieurs fois, celui d’un médecin (comme dans LA COMTESSE NOIRE, LES POSSEDEES DU DIABLE ou GRETA LA TORTIONNAIRE). Ce petit clin d’œil n’empêchera pas les fans du réalisateur de rester sur leur fin. Afin d’apprécier un minimum LA LUNE DE SANG, il conviendra de le considérer comme un film d’horreur calibré, honnête mais sans grand relief, comme il s’en fit beaucoup au lendemain des œuvres référentielles signées par John Carpenter et Sean S. Cunningham. Quant à Jess Franco, il n’était manifestement pas à l’aise, et guère inspiré, mais son savoir faire a suffit pour qu’il rende une copie acceptable. Dans le créneau horrifique, il se rattrapera quelques années plus tard avec LES PREDATEURS DE LA NUIT, une adaptation trash et sans retenue du classique LES YEUX SANS VISAGE.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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