La Maison ensorcelée

Un texte signé Frédéric Pizzoferrato

Grande-Bretagne - 1968 - Vernon Sewell
Titres alternatifs : Curse of the Crimson Altars
Interprètes : Mark Eden, Boris Karloff, Christopher Lee, Barbara Steele, Michael Gough, Virginia Wetherell

Quoique très connue du public spécialisé, l’œuvre de Howard Philip Lovecraft restait obscure pour la majorité de la population jusqu’au succès des adaptations signées Stuart Gordon (RE ANIMATOR, FROM BEYOND,..) au milieu des années ’80. Cependant, dès les sixties, certains réalisateurs tentèrent de porter à l’écran l’univers si particuliers de l’écrivain Providence.

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Critique de La Maison ensorcelée de Vernon Sewell

L’indiscible à l’écran

En effet, pour donner suite au bon accueil, tant public que critique, de ses adaptations d’Edgar Allan Poe, l’américain Roger Corman se lance le premier dans l’aventure avec le très réussi LA MALEDICTION D’ARKHAM en 1963. Deux ans plus tard, Daniel Haller propose l’intéressant DIE, MONSTER DIE tandis que David Greene nous livre, en 1967, LA MALEDICTION DES WHATELEY, deux tentatives estimables mais inabouties.  

Puis viendront LA MAISON ENSORCELLEE en 1968 et THE DUNWICH HORROR en 1970. Lovecraft connaîtra alors une longue éclipse, servant de plus ou moins lointaine inspiration à divers longs métrages (LE CONTINENT DES HOMMES POISSONS, FRAYEURS, EVIL DEAD) avant de revenir sur le devant de la scène au milieu des années ’80, via les adaptations précitées signées par Stuart Gordon.

Horreur psychédélique...

Réalisé en 1968 (cela se sent dans l’esthétique et les thèmes abordés !), LA MAISON ENSORCELLEE s’inspire librement de la nouvelle « La maison de la sorcière » de Lovecraft pour accoucher d’une intrigue classique mais plaisante. Nous suivons Robert Manning, un antiquaire inquiet de la disparition de son frère, Peter, parti acheter des objets d’arts dans une grande demeure située dans un petit village isolé. Robert y débarque lors d’une célébration festive commémorant la mort d’une puissante sorcière locale, Lavinia Morley. L’antiquaire rencontre également les habitants de la vaste maison, accessoirement descendants de la sorcière jadis brulée vive, la belle Eve et son oncle J.D. Morley. Ne pouvant éclaircir les circonstances de la disparition de son frère, Robert accepte l’hospitalité des Morley mais ne tarde pas à ressentir l’atmosphère pesante de la maison. La découverte d’un passage secret et l’existence de rites étranges plongent alors le jeune antiquaire dans le monde trouble de la sorcellerie.

Si le héros de l’histoire est joué par le méconnu Mark Eden, lequel a essentiellement travaillé pour la télévision, le métrage reste surtout fameux pour son casting de « méchants » comprenant Christopher Lee, Boris Karloff et Barbara Steele. Karloff, à la toute fin de sa carrière (il avait alors 80 ans et devait décéder l’année suivant le tournage), incarne un lettré certes affaibli et fatigué par la maladie mais néanmoins convaincant face à un Christopher Lee moustachu. Karloff bénéficie même d’une blague sous forme de clin d’œil « méta » lorsque le héros déclare « dans une maison aussi lugubre on s’attend à tout moment à voir surgir Boris Karloff » !

De son côté, la reine du fantastique gothique Barbara Steele (LE MASQUE DU DEMON, L’HORRIBLE SECRET DU Dr HITCHCOCK) campe avec une belle énergie la sorcière Lavinia, dont la présence, discrète mais pesante, plane sur l’ensemble du métrage. L’actrice s’éloigna ensuite du septième art pendant une demi-douzaine avant d’effectuer son retour en 1974 dans un Women In Prison signé Jonathan Demme, CAGED HEAT.

Enfin, notons la présence du vétéran Michael Gough, figure familière de l’horreur (LE CAUCHEMAR DE DRACULA, KONGA, CRIMES AU MUSEE DES HORREURS) revu ensuite dans la tétralogie BATMAN lancée par Tim Burton.

Entre tradition et innovation

Par ce casting de comédiens spécialisés, le film s’inscrit donc dans la droite ligne de l’épouvante britannique de la fin des sixties mais le côté psychédélique et quelques touches sexy lui confèrent une certaine modernité. LA MAISON ENSORCELLEE se montre donc à la fois innovant et respectueux des traditions. Ainsi, le film recourt, parfois à bon escient, à de nombreux clichés du fantastique : la malédiction pesant sur une bourgade isolée, la maison maudite dans laquelle est camouflé un passage secret, les rites sataniques, la lourde hérédité, les cauchemars bien trop réels pour ne pas terrifier, la sorcière brulée vive plusieurs siècles auparavant, les commémorations – transformées en folklore – d’anciennes et terrifiantes histoires, le spécialiste en occultisme, la jeune ingénue, l’enquêteur amateur devenant, malgré lui, un héros menacé,…Rien de bien neuf mais Vernon Sewell lie l’ensemble de manière convaincante et plaisante en dépit d’un rythme languissant visant, sans doute, à créer une atmosphère d’angoisse palpable et de menace diffuse.

Toutefois, cette ambiance proche de l’épouvante gothique se voit régulièrement bouleversée par l’introduction parasitaire de séquences surprenantes qui utilisent une esthétique psychédélique étrange. Un brin daté, ces passages, typiques du cinéma d’exploitation de la fin des années ’60, inscrivent définitivement le film – pour le meilleur et pour le pire – dans son époque.

Les rituels sataniques, perpétrés par des officiants peu vêtus, se veulent, en outre, empreint d’un érotisme décadent. Ils témoignent d’une évolution des mœurs présentée par le cinéaste de manière fort négative et caricaturale, comme en témoigne cette demoiselle à moitié nue poursuivie par des agresseurs. En réalité, il s’agit d’un jeu de « cache-cache » sexuel, préambule à une orgie dans laquelle des jeunes filles se versent langoureusement du champagne sur le corps à la satisfaction des mâles en rut pressés de le lécher avidement. Une imagerie charmante, magnifié par une photographie soignée qui use et abuse de couleurs chaudes et contrastées.

Petite production sympathique, ne serait-ce que grâce à son casting, LA MAISON ENSORCELLEE demeure une agréable curiosité à l’esthétique agréable susceptible d’intéresser les amateurs de fantastique rétro et d’intriguer les inconditionnels de Lovecraft.

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- Article rédigé par : Frédéric Pizzoferrato

- Ses films préférés : Edward aux Mains d’Argent, Rocky Horror Picture Show, Le Seigneur des Anneaux, Evil Dead, The Killer - Ses auteurs préférés - Graham Masterton, Christophe Lambert, Thomas Day, Stephen King, Clive Cussler, Paul Halter, David Gemmell

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