La maisons des perversités

Un texte signé Philippe Delvaux

Japon - 1976 - Noboru Tanaka
Titres alternatifs : Le promeneur du grenier, The watcher in the attic, Edogawa Rampo ryoki-kan: Yaneura no sanpo sha
Interprètes : Junko Miyashita, Renji Ishibashi, Hiroshi Cho, Aoi Nakajima, Toshihiko Oda, Yumemura Shiro, Kazuko Tajima

Dans le Tokyo cossu et bourgeois de l’été 1923, Mme Minako loue une chambre dans une maison de rapport où elle s’adonne à ses fantaisies sexuelles les plus débridées, tout en étant épiée par un voyeur calfeutré dans le grenier. Leurs chemins croisent ceux d’un prêtre dévergondé, d’une soubrette, d’un clown, du mari cocu et consentant, d’une artiste peintre bohème et enfin d’un chauffeur fétichiste et soumis. L’exhibitionnisme de Mme Minako s’accorde parfaitement au voyeurisme de l’occupant du grenier. Mais très vite, les seuls plaisirs sexuels, aussi pervers soient-ils, ne suffisent plus. Un jeu mortifère commence alors où nos deux protagonistes se rapprocheront dans le crime.

Noboru Tanaka, le chantre et chef de file du « Roman porno » de la Nikkatsu croise ici le chemin de l’écrivain culte Edogawa Rampo, avec qui il partage d’évidentes affinités pour les atmosphères claustrophobes et les sexualités déviantes.

Pour rappel, la Nikkatsu, compagnie de production fondée en 1913, est, comme les autres grands studios japonais, au bord de la faillite à la fin des années 60 suite au désistement du public des salles au profit de la télévision. Le succès des productions érotiques indépendantes, vite baptisées « pink », donne l’idée aux dirigeants de la Nikkatsu de réorienter leurs films vers ce genre. Les budgets plus importants que ceux des indépendants que peut se permettre d’engager la Nikkatsu lui permettent d’offrir au public des produits de qualité très correctement scénarisés et mis en scène. Aussi, pour distinguer les érotiques Nikkatsu du tout venant de la production « pink », ses dirigeants lancent-ils un nouveau terme : le « Roman porno » est né, contraction de « romantisme » et « pornographie ». Il règnera pendant 17 ans, jusqu’à son éviction par le marché du direct-to-video dans les années 80.

Comme dans tous les genres qui ont perduré et engendré un nombre conséquent de produits, on peut dénombrer plusieurs périodes ou sous-genres dans le roman porno. WATCHER IN THE ATTIC date de 1976 et développe une première ramification : le roman porno a déjà quelques années derrière lui et pour ne pas lasser le public, les films doivent se différencier de leurs prédécesseurs. Aussi commence-t-on à voir à cette époque des productions plus violentes, ou jouant sur des codes de sexualités plus « malsaines ». WATCHER IN THE ATTIC n’est cependant évidemment pas un précurseur absolu dans cette voie : il nous suffit d’évoquer la vague « éro-gore » cornaquée par Teruo Ishii (la série des « Joy of torture ») ou les œuvres de Yasuzo Masumura (TATOUAGE, LA BETE AVEUGLE…). Nous ne citons pas ces noms au hasard : tant Masumura (dans LA BETE AVEUGLE) qu’Ishii (dans BLIND BEAST VERSUS KILLING DWARF et HORROR OF MALFORMED MEN) ont adapté Edogawa Rampo. On retrouve d’ailleurs dans WATCHER IN THE ATTIC des éléments de la nouvelle « La chaise humaine » déjà présents dans HORROR OF MALFORMED MEN.

Noboru Tanaka met donc l’emphase sur les déviances sexuelles au cœur d’une partie de l’œuvre de l’écrivain japonais. Et elles sont nombreuses à y passer : travestissement zoophile, dévoiement d’homme de religion, fétichisme et transformation en objet, voyeurisme, exhibition, tromperie. Mais tout cela n’est que mise en appétit et nous quitterons vite les rives de l’érotisme pur pour naviguer dans des eaux plus houleuses où Eros s’entremêle à Thanatos. Dès la transformation de l’amante en mante, il se déclenche l’engrenage d’un amour fou qui doit moins aux surréalistes qu’à Sade et où tout doit se réduire aux caprices d’une passion. Cet amour fou, on l’avait déjà découvert quelques années plus tôt dans deux transpositions d’un même fait divers : L’EMPIRE DES SENS (Nagisa Oshima) d’un côté, LA VERITABLE HISTOIRE D’ABE SADA de l’autre, cette dernière adaptation étant déjà signée Noboru Tanaka. Avec WATCHER IN THE ATTIC, il creuse cependant cette relation folle qui conduit à la mort : aux deux amants seuls au monde se substituent ici deux pervers qui, se découvrant, font vibrer leur passion en faisant fi de la vie de qui les entoure. On se situe dans les mêmes eaux que celles du VOYEUR de Michaël Powell.

On ne le rappellera jamais assez, les années 70 ont vu émerger quantités d’œuvres qui se permettaient une amoralité qu’évite soigneusement la majorité des productions contemporaines destinées aux salles. On note cependant que, sans doute pour éviter des problèmes de censure, l’amoralité du produit est protégée par une quadruple distanciation : l’intrigue est située dans le passé, les protagonistes sont issus de la bourgeoisie aisée et oisive, ils sont de culture occidentalisée. Dernière distanciation, WATCHER IN THE ATTIC est une adaptation littéraire, dont le cachet est de surcroît relevé par l’aura dont jouit alors Edogawa Rampo. Ce dernier a fait l’objet d’innombrables adaptations, surtout dans les années 60-70. Récemment, un cinéaste européen s’est à son tour frotté à l’univers de l’écrivain. Hélas, Barbet Schroeder, pourtant déjà coutumier des atmosphères sexuelles extrêmes avec MAITRESSE, a échoué avec son INJU à transformer son intrigue en spectacle cinegénique.

En filigrane se dessine alors le portrait métaphorique d’une époque finissante, l’ère Meiji qui est ici vue comme celle d’un japon licencieux (largement fantasmé), ouvert à l’occident et qui va bientôt (1926) céder la place à l’ère Showa, celle d’un retour aux traditions, qui conduit à la militarisation du pays et à son entrée en guerre. Témoigne de cette thématique l’irruption en fin de métrage d’images d’archives du grand tremblement de terre de 1923 qui a rasé Tokyo et préfigure donc le changement de régime.

L’érotisme est celui qu’autorise la censure japonaise de l’époque : le cadrage évite soigneusement de montrer des nudités frontales (le fameux interdit de la pilosité). Pour autant, cela ne diminue en rien la qualité du résultat qui, comme souvent, se révèle supérieur à la production moyenne qu’on obtenait à la même époque dans la production érotique occidentale.

Bien scénarisé, mis en scène et interprété, LA MAISON DES PERVERSITES ne pourra que retenir l’attention de qui s’intéresse à l’érotisme japonais.

Notons que WATCHER IN THE ATTIC a été remaké deux fois, en 1994 (EDOGAWA RAMPO MONOGATARI: YANEURA NO SANPO SHA, Akio Jissojin, lequel adaptera encore Rampo dans sa coréalisation de 2005 RAMPO NOIR et en 1998 dans MURDER ON D STREET) et en 2007 (YANEURA NO SANPOSHA, Mitsuhiro Mihara).

Il aura fallu attendre l’été 1990 pour en voir une exploitation en salle française sous les titres LA MAISON DES PERVERSITES et LE PROMENEUR DU GRENIER, en même temps que deux autres Noboru Tanaka, LA VERITABLE HISTOIRE D’ABE SADA et LE MARCHE SEXUEL DES FILLES.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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