La Montagne Sacrée

Un texte signé Franck Boulègue

Mexique - 1973 - Alexandro Jodorowsky
Titres alternatifs : The Holy Mountain
Interprètes : Alexandro Jodorowsky, Horacio Salinas, Zamira Saunders, Juan Ferrara, Adriana Page…

Les qualificatifs manquent pour décrire cette œuvre grotesque, baroque, initiatique, surréaliste et psychédélique du réalisateur / alchimiste en chef Alexandro Jodorowsky. Après le succès de EL TOPO, premier « Midnight Movie » de l’histoire, le cinéaste d’origine chilienne s’est attaqué à ce vaste conte mystique qui ne relate pas tant le cheminement d’un individu que celui d’un groupe d’initiés. Il s’est, pour ce faire, inspiré de deux œuvres aux thèmes approchants : « Le Mont Analogue » de René Daumal et « L’ascension du Mont Carmel » de Saint Jean de la Croix.

Plastiquement parlant, visuellement parlant, ce film est une pure merveille. Il regorge d’idées à chaque plan. Le moindre segment du film pourrait fort bien, à lui seul, constituer la substance d’un long-métrage complet. Cette profusion confère parfois au résultat un aspect un peu fourre tout, qui ne se révèle jamais déplaisant ou rébarbatif. On en prend plein la vue, c’est tout. Cette richesse, ces débordements graphiques et symboliques permettent toutes les interprétations envisageables, toutes les analyses souhaitées. Devant pareille somme, on ne saurait rester de marbre.

Il s’avère cependant ardu de résumer le propos d’un tel foisonnement scénaristique.

Un voleur descendu de sa croix, sorti à moitié nu du désert, lapidé par une bande d’enfants, parcourt une ville infestée de militaires en uniformes et de touristes dénués de sens moral. Les scènes de massacre se succèdent, réminiscences des multiples dictatures politiques qui sévissent alors en Amérique du Sud. C’est dans ce contexte troublé qu’une maquette géante, reproduisant la conquête du Mexique au XVème siècle par les troupes venues d’Espagne, est montée sur une place publique. Seulement, les Aztèques sont ici incarnés par des caméléons, vêtus de costumes traditionnels. Quant aux conquistadores, c’est à des crapauds qu’il revient l’honneur d’interpréter leur rôle. La scène, baroque à souhait, se termine, comme il se doit : dans des torrents de sang et de multiples explosions qui font voler la maquette (des temples) en éclats.

Le voleur, pour qui la tentation est grande de se faire passer pour un Christ de substitution, monte à l’assaut d’une tour rouge d’où l’on fait descendre de l’or au bout d’une ancre. Etrangement, l’intérieur de la tour se révèle plus vaste que l’extérieur. Il avance, couteau en main, à travers un décors peint aux couleurs de l’arc en ciel, en direction d’un homme vêtu d’un costume d’alchimiste (Jodorowsky lui-même), flanqué d’une femme nue tatouée d’inscriptions mystérieuses sur tout le corps. Rapidement défait par celui qui devient alors son Maître, le voleur entreprend une initiation spirituelle destinée à lui faire prendre conscience de son potentiel. L’alchimiste commence par transmuter ses fèces en or, histoire de bien lui faire comprendre le processus qui va lui être appliqué. Celui d’une purification.

Afin de l’aider dans sa quête, il lui adjoint sept compagnons, issus du monde du pouvoir et de l’argent, qui comme lui vont devoir apprendre à se dépouiller de l’accessoire afin de tendre vers l’essentiel. Il s’agit de Fon, industriel produisant des produits de beauté, des cosmétiques ; d’Isla, marchande d’armes ; de Klen, qui dirige une usine d’art ; de Sel, qui produit des jouets de guerre et qui participe au conditionnement à la violence des enfants dès leur naissance ; de Berg, conseiller financier du président, qui n’hésite pas à décréter le massacre de millions d’individus afin de sauver l’économie du pays ; d’Axon, chef de la police tout droit sorti d’un MAD MAX, qui collectionne les testicules des hommes sous ses ordres ; et de Lut, directeur d’un cabinet d’architecture, concepteur d’un nouveau modèle d’appartement en forme de cercueil.

Ils vont tous entreprendre de conquérir l’immortalité en gravissant la montagne sacrée de l’Ile de Lotus. Une fois arrivés à son sommet, ils pourront remplacer les immortels qui siègent là et qui dirigent le monde depuis ce lieu. Pour ce faire, il va leur falloir devenir sages, oublier leur individualisme au profit du collectif.

Ils commencent par brûler leur argent (ils tuent leur argent pour ne pas mourir) ainsi que leurs images (en fait, des mannequin), afin de se libérer de leur « moi ». Cette mort symbolique leur permet de dire adieu à leurs possessions, de s’affranchir du passé.

Ils prennent ensuite la route, par monts et par vaux, pèlerins des temps modernes, en direction de la fameuse montagne, qu’ils gravissent tels des alpinistes. « Tu n’as pas peur de tomber mais de grimper ! », entend-t-on un personnage s’exclamer. Une fois au sommet, chacun subit une épreuve individualisée, conçue de manière à tester son évolution spirituelle.

Encore une fois, résumer pareil film ne fait pas vraiment sens. Il s’agit là d’une expérience sensorielle à vivre, d’un « trip » qu’il faut absorber en laissant derrière soi sa pensée rationnelle. La morale du récit nous informe d’ailleurs que plutôt que de viser à l’immortalité, mieux vaut se concentrer sur la réalité qui nous entoure. Alors en route en compagnie du grand alchimiste Jodorowsky pour un voyage qui ne saurait laisser quiconque indifférent !


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- Article rédigé par : Franck Boulègue

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