retrospective

La mort était au rendez-vous

Après avoir œuvré au début des années 60 dans le genre du drame réaliste, le réalisateur Giulio Petroni (décédé en 2010) s’est converti au western alors en plein essor en Italie après le succès phénoménal de POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS (1964) de Sergio Leone. Il ne signera cependant qu’un petit nombre d’œuvres, souvent teintées de comédie (CIEL DE PLOMB, 1968) voire de burlesque (ON L’APPELLE PROVIDENCE, 1972). Mais c’est probablement grâce à l’excellent western « zapata » TEPEPA (1969, avec l’incroyable duo Orson Welles/Tomas Millian) que Giulio Petroni bénéficie d’une petite réputation, ainsi qu’au présent film, régulièrement acclamé par les amateurs parmi lesquels le réalisateur post-moderne Quentin Tarantino qui lui rend largement hommage dans KILL BILL 2 (2004).

Par une terrible nuit d’orage, le jeune Bill Meceita assiste au massacre de sa famille par une bande de cinq tueurs venus dérober l’or de ces simples prospecteurs. Le garçon, qui s’est dissimulé sous une table, a le temps de saisir des signes particuliers appartenant aux assassins (un tatouage, une cicatrice, une boucle d’oreille…) ; il est mis à l’abri par un homme qu’il ne peut identifier…Quinze ans plus tard, Bill est devenu un as du six-coups obsédé par la vengeance quand il croise la route d’un dénommé Ryan qui sort de quinze années de bagne. Ce dernier semble être sur la piste des mêmes hommes que ceux traqués par Bill ; mais quelles sont les motivations de l’ex-prisonnier ? Quel rapport a-t-il avec les tueurs ? Les deux hommes vont-ils s’unir ou s’affronter ?

Filmé durant l’âge d’or du western italien (1964-68), LA MORT ETAIT AU RENDEZ VOUS sort à l’époque où les trois grands « Sergio » offrent au genre plusieurs opus incontournables : Leone avec LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND (1966), Corbucci avec DJANGO (1966) et Sollima avec LE DERNIER FACE A FACE (1967). Le film de Giulio Petroni appartient bien au genre (re)créé par les réalisateurs précités à partir des bases du western américain et de leur détournement par l’adjonction d’une hyper-violence, d’une bonne dose de nihilisme, d’humour noir et le refus des bons sentiments et du manichéisme. Tous ces éléments latins irriguent LA MORT ETAIT AU RENDEZ VOUS, de même que le sens de l’hyperbole qui caractérise la mise en scène de tout western « spaghetti » digne de ce nom. A ce titre, la séquence d’ouverture qui figure l’arrivée des tueurs et le massacre de la famille du jeune héros se distingue par une emphase des effets visuels et sonores : une pluie diluvienne et des coups de tonnerre accompagnent la sinistre bande, les coups de feu et leur impact sont amplifiés par un montage sur-découpé et les très gros plans sur tout ou partie du visage des assassins accentuent encore, jusqu’à l’exagération, le sentiment quasi-religieux de chaos et de fin du monde. De même, plusieurs séquences dont celle où le justicier entre dans un village mexicain balayé par une tempête de sable laissant entrevoir des squelettes de crânes humains puisent leur inspiration dans une imagerie gothique et horrifique que seul le western italien n’hésitait pas à convoquer afin de décupler la force délétère de son atmosphère. Si dans l’ensemble le film obéit aux codes narratifs et visuels des modèles précités, LA MORT ETAIT AU RENDEZ VOUS partage surtout certains traits communs avec le second western de Sergio Leone, ET POUR QUELQUES DOLLARS DE PLUS (1965). Tous deux scénarisés par le grand Luciano Vincenzoni, ils développent des thématiques similaires et leurs protagonistes forment deux duos qui se font clairement écho : outre la présence de l’acteur américain Lee Van Cleef dans chacun des opus, John Phillip Law (qui interprète Bill) est une sorte d’épigone, moins mutique et plus souriant, du personnage sans nom du film de Sergio Leone. Mais LA MORT ETAIT AU RENDEZ VOUS a plus d’ambition que d’être un habile démarcage et Giulio Petroni n’essaie en aucun cas de plagier le style maniériste et opératique du réalisateur d’IL ETAIT UNE FOIS DANS L’ OUEST (1968) ; en dépit de quelques afféteries et de détails sur-signifiants, sa mise en scène se veut plus proche du « classicisme » américain. Le film va progressivement délaisser les atours les plus voyants du western transalpin (sa violence outrancière, l’ambigüité morale de ses protagonistes, son cynisme parfois un peu forcé…) pour aller dans le sens d’une véritable épure narrative et figurative. Au-delà des topos tels que la vengeance ou la quête de rédemption, le film parvient à développer un sous-texte plus inattendu où le rapport de filiation et la dimension initiatique du récit finissent par devenir sa raison d’être. La relation à la fois conflictuelle et paternelle qui lie le jeune héros (John Phillip Law, bellâtre surtout connu pour son rôle dans l’excellent DANGER DIABOLIK de Mario Bava, 1968) au vieillissant personnage interprété par le grand Lee Van Cleef, donne au film une profondeur et une mélancolie que l’on retrouve assez rarement dans le western européen. L’acteur américain au visage d’aigle, « deuxième couteau » dans son pays (L’HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE de John Ford, 1962) devint une véritable star en Italie où il eut souvent des rôles principaux et des rôles-titres (SABATA de Gianfranco Parolini, 1969). La présence de Lee Van Cleef dans LA MORT ETAIT AU RENDEZ VOUS apparaît ici comme une volonté de la part du réalisateur italien de signifier sa dette envers le modèle américain et d’inscrire son œuvre, à l’instar de ses deux personnages principaux, dans un rapport de filiation.
En dépit d’un récit principal cousu de fil blanc et de quelques lourdeurs ou simplifications dans la caractérisation de ses personnages secondaires, le film est un très bon spécimen de western « métis », bien équilibré, filmé avec talent, offrant plusieurs séquences mémorables et un duo convaincant. A ne pas manquer.

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