Un texte signé Alexandre Thevenot

- 2007 - Jean Rollin
Interprètes : Ovidie, Françoise Blanchard, Jean Loup Philippe...

Dossierreview

La nuit des horloges

Isabelle hérite d’une grande demeure à la mort de son cousin Michel Jean, écrivain et cinéaste. C’est l’occasion pour elle de marcher sur les traces et la mémoire d’un proche qu’elle ne connaissait pas assez. Passant d’abord au cimetière, puis dans des lieux caractéristiques où se rendait le défunt, elle se perd dans un univers à mi-chemin entre la réalité et l’imaginaire. Un voyage au cœur de la mémoire et du pouvoir de la création.

Avant-dernier film de Jean Rollin, et peut-être son plus personnel, LA NUIT DES HORLOGES est une œuvre particulière qui a notamment la spécificité de dédoubler le réalisateur dans son personnage principal (Michel Jean rappelant immanquablement ses deux premiers prénoms Jean Michel Rollin Roth Le Gentil) et de consacrer, avant l’heure, sa propre mort. Les problèmes de santé de Jean Rollin l’avaient déjà rappelé à l’ordre à plusieurs reprises. Il devait sentir qu’après celui-ci, il n’y aurait pas beaucoup d’autres films.

Le choix d’Ovidie comme actrice principale n’est certainement pas étranger au fait qu’elle avait réalisé son premier film ORGIE EN NOIR en s’inspirant justement des ambiances gothiques du cinéaste (cimetières, cachots et lenteur de certains mouvements). Si son jeu est souvent inégal, elle reste crédible en incarnant ce personnage qui découvre un univers et qui essaye, en vain, de le comprendre. En cela aussi, elle endosse le rôle du spectateur : une étrangère à la découverte d’un nouveau monde, déroutant, personnel et surtout unique en son genre.

Le titre du film, quant à lui, se réfère à cette passion qu’avait Jean Rollin pour les objets poussiéreux du temps passé. L’horloge est le lieu de passage par excellence : passage du temps, passage d’un monde à l’autre. Sa forme imposante lui donne une consistance et elle ressemble de façon toujours très symbolique à une porte ou à un cercueil. Il y en a dès ses premiers films (LE FRISSON DES VAMPIRES, etc) et l’horloge apparaîtra à de nombreuses reprises, plus tard comme dans LA FIANCEE DE DRACULA. Elle est souvent citée en exemple par Jean Rollin notamment quand on l’interroge sur la raison pour laquelle ses films s’inscrivent toujours dans le cinéma fantastique. « Si dans un film « traditionnel » je montre une femme qui sort d’une horloge, on ne va pas me laisser faire alors que ça peut passer dans un film fantastique » dit-il (entretien publié dans Sueurs froides n°10, page 29). Le titre LA NUIT DES HORLOGES devient alors facilement compréhensible, il suffit de mesurer combien l’attachement de Jean Rollin à cet objet est fort. Si fort qu’il en devient représentatif de son univers.

Le film en lui-même retrace l’existence et la création de l’imaginaire d’un homme. Jean Rollin semble dire à tout le monde qu’en dépit de son manque de reconnaissance et des amalgames qui ont pu être fait à l’évocation de son nom (certains disent qu’il est le Ed Wood du cinéma français), il a su bâtir un monde spécifique, intemporel, cohérent et propre à lui même. Cet aspect est renforcé par la présence d’extraits de films plus anciens qui font le lien entre passé et présent et qui montrent par delà les films, que ce ne sont pas eux en eux-même qui sont à retenir, mais bien l’univers qui se dégage de toutes ses œuvres. Ce film est au fond le plus typique de son cinéma, il montre le mieux comment s’opère la magie de Jean Rollin : rythme lent qui échappe à tout critère narratif traditionnel, personnages perdus (géographiquement ou mentalement), atmosphère mystérieuse qui va souvent puiser son inspiration dans les œuvres populaires (roman feuilleton, roman gothique) ou les mouvements d’avant-garde (surréalisme, nouveau roman), entités imaginaires qui hantent des lieux et qui n’ont de fantastique que leurs noms et accoutrements… Tout est là pour construire une image poétique véritable comme une sensation fugitive mais fulgurante qui restera dans la mémoire du spectateur.

En conclusion, il est difficile de parler de ce film qui est à cheval entre fiction et testament et de savoir à qui il est véritablement adressé. C’est une très belle conclusion de carrière qui nécessite de connaître d’autres œuvres du cinéaste pour véritablement l’apprécier. LA NUIT DES HORLOGES restera très certainement un film confidentiel. Cependant, son existence est primordiale pour tordre les idées reçues et montrer l’intégrité d’une œuvre que beaucoup décrivent comme étant non maitrisée. A coté de cela ressort aussi l’idée d’une nostalgie. Jean Rollin signe une œuvre dans laquelle il offre une reconnaissance à son propre univers qui l’a accompagné toute sa vie durant. Curieux geste, c’est sûr, mais à la fois beau et noble !


- Article rédigé par : Alexandre Thevenot

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