La Nuit des Sangsues

Un texte signé Jocelyn Manchec

USA - 1986 - Fred Dekker
Titres alternatifs : The Night of the Creeps
Interprètes : Tom Atkins, Jason Lively, Steve Marshall, Jill Whitlow, Allan Kayser, Dick Miller

Outre son légendaire opportunisme à décliner la moindre licence de boogeyman à vengeance plus ou moins valide en de surnuméraires épisodes, le mitan des années 80 vit également poindre une ironie certaine bientôt et implacablement nimber la moindre de ses productions horrifiques.
A l’hémorragie des séquelles impérieuses répondait ainsi bientôt une dérision systématique, entre nostalgie madeleiniste (le B-movie 50’s de double-programmes servant souvent de base), potacherie mordante et complaisant espoir de tiroir-caisse, sur le mode “beurre et argent du beurre”.
A ce titre, NIGHT OF THE CREEPS n’est pas la pire des productions. Elle n’est pas la meilleure non plus (LE RETOUR DES MORTS-VIVANTS de Dan O’Bannon (1985), certains des délires de Sam Raimi, de Stuart Gordon ou, plus rares, de Jim Muro se posant tout de même là !).

Dans la famille des réalisateurs de Genre biberonnés à la Série B SF fifties, ne demandez non pas Spielberg, ni les poulains espiègles Joe Dante (EXPLORERS, 1985) et Tobe Hooper (L’INVASION VIENT DE MARS, 1986), mais le petit outsider sans franc lendemain ni nette attache: Fred Dekker.
Pour le premier de ses trois films (ROBOCOP 3 refermera sa filmo avec pertes et fracas !), le jeune homme, qui avait tout d’même signé l’histoire originale de HOUSE (Miner, 1986), se poserait en une sorte de John Landis, “à petit pied”. Même goût de la private joke (tous les personnages de NIGHT OF THE CREEPS sont baptisés avec le nom d’émérites réalisateurs (Corman, Romero, Cronenberg, etc.), égal enclin vers le pastiche et le Genre (le film est un peu à la SF ce que INTO THE NIGHT est au Film Noir), faisant enfin preuve d’une proche gourmandise pour le mauvais goût, le réalisateur aurait presque mérité son propre segment dans LA QUATRIEME DIMENSION initiée par Steven Spielberg en 83 (il s’essayera, par défaut ?, aux CONTES DE LA CRYPTE les 90’s venues) !
“A petit pied” seulement car sans doute moins rigoureux dans le potache, (une condition pourtant sine qua non !) que le barbu ayant lâché friponement un loup-garou américain dans Londres ou deviné le zombie chez Michael Jackson.
Empilant les registres autant que les intrigues (le film, un long temps confus, s’ouvre sur un double prologue et propose une fumeuse intrigue parallèlement temporelle), Dekker ne manque en outre pas de d’abord disperser son propos par de réguliers à-côtés goguenards.
Entre dialogues cauteleux commentant, façon méta-, le propre statut du film (“qu’est-ce que c’est: c’est une affaire criminelle ou un mauvais film de série B ?” s’interroge le détective Cameron) et clins d’yeux farceurs (la parodie azimutée (26’15”) de Roy Scheider scrutant la plage dans LES DENTS DE LA MER, et celle, inaugurale, des couloirs du Nostromo dans ALIEN), le film se refuse longtemps à assumer sa trame et ne cesse de faire le petit malin. Sa mise en place interminable, aux enjeux et modus moyennement clairs, peine ainsi à laisser s’installer (enfin !) une dernière demie-heure mieux équilibrée (top départ à la 56ème minute !), ménageant autant son gore que son mauvais esprit, sans jamais se départir de sa tonalité ouvertement dérisoire.

Embarrassante caution “voyez-comme-j’ai-du-recul-dans-l’ironie”, les personnages de Tom Atkins et le CJ à béquilles n’étant alimentés qu’à la dérision perpétuelle (consciente ou non), ils créent vite une distance assez poussive et contre-productive entre la production et le spectateur. Et s’ils s’avèrent un tant soit peu rehaussés à l’oreille de certains (les deux punchlinant sans cesse aucune !), c’est bien par le contraste induit par un casting proprement indigent (Anthony Michael Hall n’aurait-il pas offert un Chris de meilleure tenue ?) et vraisemblablement négligé, quand bien même nous offre-t-il brièvement la trogne toujours indispensable de Dick Miller !

Sans verser dans la parodie hargneuse façon CRITTERS (Herek, 86) ou la majeure partie des livraisons Troma (telle le MONSTER IN THE CLOSET de Fred Dahlin (86)) ni se vautrer dans le spoof qui s’épanouira 15 ans plus tard (Scary Movie (Wayans, 2000)), NIGHT OF THE CREEPS précède toutefois la caravane de ces productions type LE RETOUR DES TOMATES TUEUSES (DeBello, 88): drôles mais stérilement illégitimes. Et, surtout, à l’ambition trop négligée.
Car c’est en faisant montre d’une cinéphilie foutraque embrassant autant Ed Wood (littéralement cité par le biais d’une télé diffusant PLAN 9 FROM OUTER SPACE (1959) !) que le Campus Movie à la sauce … Landis et National Lampoon’s (bières, confréries hellénistes et papier toilette en guirlandes), que le film offre toutefois mieux que la plupart de ses cousins dégénérés. En affichant un vrai goût, sincère même si maladroit, pour le matériau gentiment mis en boîte, Dekker ne manque ainsi pas toujours le coche visé. Et s’il se prend les pieds dans le psychotronique brouillon de sa posture (fort couarde par ailleurs !), NIGHT OF THE CREEPS, qui attache un soin certain davantage à ses effets spéciaux qu’à son script (écrit en 7 jours…), vaut curieusement mieux que la désinvolture dont il est apparemment nimbé… et qu’il a logiquement suscité en retour jusqu’alors (au point qu’il ne sortit qu’en VHS en France !).
Percluse de scories, la curiosité demeure toutefois à débusquer !


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- Article rédigé par : Jocelyn Manchec

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