La Nuit Excentrique 2015

Un texte signé Sophie Schweitzer

Cette année la mythique salle du Grand Rex accueillait la 11ème nuit excentrique. Avec ses quatre films projetés, la Nuit Excentrique est un rendez-vous d’initié devenu quasi culte. Créée il y a dix ans au sein de la Cinémathèque française à Paris, cette nuit est vouée au cinéma dit « nanar » à savoir des films souvent à petit budget où les règles élémentaires du cinéma se voient bafouées. Souvent qualifiés de pires films du cinéma, dans lesquels une certaine naïveté règne, pouvant provoquer de bons éclats de rire s’ils sont projetés dans une salle de cinéma à l’ambiance festive. Au fil des ans, le succès monstre de la nuit provoquait une rupture de place en quelques secondes et chaque année de nombreux refoulés vivaient une immense frustration à l’idée de rater cet événement unique.

Il faut bien le comprendre, des films comme ça, les salles françaises n’en projettent plus depuis la fin des années 80. C’est tout un pan de cinéma disparu des salles, mais pas des sorties DVD ni des téléchargements plus ou moins légaux, qui voit son jour de fête arriver en cette période de l’année. La Nuit Excentrique célèbre un cinéma généreux, naïf, maladroit, drôle et parfois même émouvant et poétique. Des films où le budget souvent riquiqui n’a pas entamé la volonté de réalisateurs ne doutant de rien de concevoir ces généreux navets. Entre des répliques devenues cultes – « Je mets les pieds où je veux et c’est souvent dans la gueule » disait Chuck Noris dans l’extrait qui ouvre rituellement la Nuit Excentrique – et ses moments de bravoures, le nanar a aujourd’hui son public d’initiés qui en dehors de cette nuit particulière visite régulièrement le site Nanarland ; parrain bienfaiteur de cette manifestation.

Somme toute assez ritualisée, la Nuit Excentrique se déroule de la même manière chaque année : quatre films, souvent avec des nazis et des ninjas, de nombreuses scènes érotiques, des monstres de tout poil, des plagiats éhontés du cinéma hollywoodien et de bonnes tranches de rire, le tout entrecoupé des cuts réalisés par Nanarland. On y retrouve toutes les excentricités de ce cinéma là : répliques cultes, effets spéciaux excentriques, scènes de combats improbables, discours épiques ou catastrophiques selon le ton… En bref, il y en a pour tous les goûts. A chaque fois, on s’étonne que l’équipe de Nanarland trouve encore de nouvelles pépites. Bien sûr, il y a aussi des bandes annonces d’époque en pellicule sélectionnées par la Cinémathèque française qui donnent souvent dans la répétition, avec une voix off balançant des punchlines et des arguments supposés attirer le chaland, certaines frisant le ridicule mais donnant très envie de voir le dit film. La nuit se clôture souvent par une petite sélection classée X pour récompenser ceux qui sont restés jusqu’au bout.

Alors qu’on croyait la nuit terminée avec sa dixième édition en 2014 annoncée comme la dernière, en 2015 Cyril Despontin, organisateur du PIFFF, décide de reprendre le flambeau sans pour autant oublier les fondateurs de la Nuit Excentrique, à savoir la Cinémathèque et Nanarland. Promue par Mad Movies, organisée par l’équipe du PIFFF, cette nuit là regorgeait d’une nouvelle énergie tout en restant dans la droite lignée et l’esprit des précédentes, à savoir savourer collectivement de la série Z foireuse, des films totalement foutraques où tout est spectaculairement raté !

Pas étonnant dès lors de voir le bas de la grande salle du Rex quasi remplie, le balcon largement chargé de public. 1200 places ont été bien occupées par un public électrique, parmi lequel on pouvait y croiser des spectateurs portant un bandeau rouge de ninja, le masque de Jason Voorhees et bien sûr tout un tas de tee-shirts déclarant un amour généreux au genre. Comme d’habitude, le spectacle a autant lieu sur l’écran que dans la salle qui donne aussi bien dans la reprise des répliques qu’elles soient cultes ou non que dans les vannes privates jokes. Ici on vient tous ensemble se marrer toute la nuit comme on vient à la messe. C’est un rassemblement unique en son genre où une énergie toute spéciale règne jusqu’au bout de la nuit.

En ce qui concerne les bandes annonces, on retiendra l’extraordinaire LE MANOIR MAUDIT où une série de photos accompagnées d’une voix questionne le spectateur « mais qui est cette femme ? », « mais qui est ce couple ? » entre deux adjectifs nécessaires à la compréhension du genre du film : « scène effroyable », « scène pleine de mystère ». On retient aussi l’incroyable « elles font tout » qui consiste à la répétition inlassable du titre du film ; pas la seule bande annonce fonctionnant sur ce système mais sans doute la seule se contentant de montrer uniquement le titre du film sans une seule autre image. D’autres bandes annonces ont provoqués des éclats de rires, bien sûr, mais ces deux là ont particulièrement agité le public.

Pour ce qui est des longs métrages eux-mêmes, nous avons eu pour commencer THE MAD FOXES ou l’incroyable épopée d’un beau gosse qui se retrouve confronté à une bande de nazis à l’allure évoquant clairement Alex et sa bande dans ORANGE MECANIQUE. Après le viol de sa petite amie, cet homme décide de se venger, et la scène de vengeance assez succulente nous offre l’affrontement intense des nazis contre des ninjas. Seulement après une première demi-heure d’une rare violence, le film délaisse l’intrigue des nazis et tourne soudainement au film érotique avec un certain dédain des règles élémentaires d’écriture scénaristique, pour le plus grand bonheur des spectateurs évidemment !
Suivi par LES NOUVEAUX BARBARES, réplique italienne de MAD MAX 2 qui nous offre des moments de cinéma incroyables comme une série de coiffures et tenues hautement improbables, qui ferait passer les tenues de danseurs de disco pour austères, une scène érotique sous une tente en plexiglass et le clou du spectacle : une course poursuite en voiturette de golf d’une intensité épique incroyable ! Néanmoins, quelques bonnes trouvailles cinématographiques ont permis aux spectateurs de rester parfaitement éveillés.
TROLL 2, troisième long programmé, reprenait quand à lui les codes du film d’horreur, où une petite famille se retrouve confrontée à un environnement rural agressif. Le cannibalisme des bouseux s’expliquant ici par le fait qu’en réalité ce sont des trolls… Les dites créatures ne sont pas, comme dans la légende, gigantesques mais ridiculement petites – à peu près la même taille et le même look improbable que les ewok – avec un maquillage en caoutchouc si mal animé qu’il en devient presque effrayant ! Le manque de moyen a des effets parfois désastreux comme par exemple les transformations que les personnages subissent qui en théorie devraient bénéficier d’effets spéciaux sont du coup camouflées avec des fausses plantes vertes. Outre le maquillage désastreux, le look improbable des méchants, il y a le jeu d’acteur souvent médiocre parfois carrément dantesque (tellement mauvais que ça en devient épique). Et c’est la sorcière qui gagne la palme avec son roulement d’yeux annonçant une réplique sensée susciter la terreur. Elle aussi a eu le malheur d’avoir un maquillage digne d’un enfant allant faire le tour des maisons en quête de bonbons un soir d’Halloween… Ou d’une gamine piquant le maquillage de sa mère… Allez savoir. Ajoutons au tableau des moments de suspense intense ! Prenez le dernier quart d’heure, sensément le climax, quand la petite famille a compris qu’elle était la cible de trolls voulant la manger au dîner. Cernés par les villageois – les trolls donc, vous l’aurez compris – ils ont largement le temps de s’enfermer dans la baraque, et passer ainsi devant une bonne dizaine de méchants trolls qui les laissent gentiment s’échapper pour ensuite camper toute la nuit devant la maison. Une telle gestion du suspense dépasse largement Hitchcock pas vrai ? Tout ça cumulé doit expliquer que le film a acquis la réputation de plus mauvais film du monde. Bon, il suffit de regarder les cuts de Nanarland pour remettre cette réputation en cause. Néanmoins, les incohérences dans l’écriture et les lenteurs n’ayant pour seule explication que de combler le vide narratif, bien sûr le maquillage de toute beauté, et le jeu d’acteur valant bien un oscar, en font un bon candidat au titre de pire film. Nous n’évoquerons pas le fait que le gamin présent sur l’affiche n’a rien à voir avec le héros de l’histoire… En bref Troll 2 démontre pas mal d’aberration qui en font un film emblématique pour comprendre le nanar et montrer tout ce qu’il ne faut pas faire au cinéma.
Le dernier film nous a offert la meilleure réplique de la nuit : « Tu ne nous avais pas dit que tu avais un père » prononcée par une bande de jeunes étudiants qui jouent la nuit dans un groupe de rock et qui le jour affrontent des ninjas et des organisations criminelles. Avec certainement le budget des trois autres films réunit, MIAMI CONNEXION tente de fournir tous les éléments d’un film d’action pour teenagers, sauf qu’il se plante dans les grandes largeurs, devenant donc un très bon film pour terminer une Nuit Excentrique ! Rien de tel qu’une masse de ninjas qui au lieu d’attaquer ensemble choisissent de s’en prendre aux héros les uns après les autres, qu’un chef de gang qui dit « il faut les éliminer » sans donner plus de raisons que cela, qu’une sous intrigue n’ayant aucun lien avec l’intrigue principale offrant des respirations absolument pas nécessaires ! Mais c’est une chose assez commune dans les nanars d’ajouter des scènes sans véritable lien avec les précédentes ou avec l’intrigue simplement pour combler le vide et permettre de tenir les 1h10 règlementaires pour prétendre au titre de long métrage. On notera des combats très rapides puisqu’il suffit aux héros d’assommer les ninjas pour s’en débarrasser ! Et dire que tout cela a commencé parce que le frère de l’héroïne, accessoirement chef d’un gang de dealers, n’aimait pas le petit ami de cette dernière, lui même combattant impeccable qui, s’il peut battre une armée de ninjas sans aucun problème, se fait dérouiller dans la première scène par un mec lambda sans pouvoir répliquer… Mais dans ce type de film, on ne s’attend guère à une cohérence scénaristique pas plus qu’on espère un minimum de crédibilité. Au contraire, plus le combat semble improbable mieux c’est. MIAMI CONNEXION parvient tout de même à enchaîner les scènes rock’n’roll et les scènes de combats, ce qui en fait un film distrayant, en plus de ses répliques assez incroyables, le plaçant en haut du panier des nanars ! Idéal donc pour réveiller tout ce petit monde à 6h du mat.

C’est ainsi que la nuit s’achevait, où les spectateurs les yeux tous à moitié endormis reprenaient des forces avec un café et un croissant offert en se remémorant les meilleurs moments de bravoure de la soirée, de la qualité intrinsèque de la production et le courage de ces réalisateurs, qui décidément ne doutent de rien.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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