retrospective

La piste de Santa Fé

Juif hongrois ayant fui son pays durant la « terreur rouge » (1919), Michael Curtiz réalise quelques films en Autriche avant d’être appelé par Hollywood dès 1926. Il devient rapidement le réalisateur emblématique de la Warner pour laquelle il tournera la majorité de ses films (soit plus de 80 pour un total de … 109 longs-métrages !). Excellent technicien et homme cultivé, Michael Curtiz se distingue par son utilisation très mobile de la caméra et son penchant pour les personnages historiques ou issus du folklore anglo-saxon. Si le cinéaste a souvent été considéré comme un simple bon artisan au service d’un producteur tout puissant (Jack Warner), une étude approfondie de ses meilleurs films (il en a réalisé de très mauvais) laisse apparaître des thèmes, des motifs et une esthétique personnels. Parmi les réussites indéniables de cet auteur, donc, on peut citer DR.X (1932) et MASQUES DE CIRE (1933), excellents films d’épouvante influencés par l’expressionnisme allemand puis la série de films qu’il réalisa ensuite avec Errol Flynn dont il lança la carrière : CAPITAINE BLOOD (1935), LES AVENTURES DE ROBIN DES BOIS (1938) ou LA CARAVANE HEROIQUE (1940). Son œuvre la plus célèbre demeure cependant CASABLANCA (1942) qui marque aussi le début du déclin de sa carrière.

Etats-Unis d’Amérique, 1854. Académie militaire de West Point. Nous faisons la connaissance de plusieurs officiers et amis dont Jeb Stuart (Errol Flynn) et le futur général George Custer (Ronald Reagan, A BOUT PORTANT de Don Siegel, 1964). Une violente querelle à propos de l’esclavage des Noirs éclate entre Jeb et l’officier Rader (Van Heflin, 3H10 POUR YUMA, de Delmer Daves, 1957). Ce dernier, exclu de la prestigieuse Académie, part rejoindre John Brown, un agitateur et fanatique de la cause abolitionniste. Alors que l’armée reçoit l’ordre de mettre fin aux troubles sociaux causés par Brown, l’amitié entre Jeb et George se trouve peut être menacée : tous deux s’éprennent de la même femme, Kit Holliday (Olivia de Havilland, AUTANT EN EMPORTE LE VENT de Victor Fleming, 1939, et partenaire à l’écran de Errol Flynn dans la plupart des films de Michael Curtiz).

LA PISTE DE SANTA FE est un film d’aventures historiques faisant partie à première vue des petits classiques de l’ « entertainment » hollywoodien : efficace, bien rythmé, sympathique quoique (parce que) désuet. Malheureusement, l’appréciation du long-métrage de Michael Curtiz achoppe sur deux problèmes dont le premier est celui du respect de la vérité historique. Celle-ci est en effet tronquée sur de nombreux points et notamment sur le fait que les deux héros (Stuart et Custer) n’étaient pas à West Point à la même période et ne furent jamais amis ! (le premier, Général Confédéré , sera d’ailleurs tué par une brigade du second durant la Guerre de Sécession). Cette pure invention scénaristique peut cependant se concevoir car elle permet d’illustrer en l’amplifiant le propos du film qui est de montrer la cohésion morale et politique du pays avant la guerre civile entre le Nord et le Sud. Le second problème que soulève LA PISTE DE SANTA FE est celui de son point de vue concernant l’abolitionnisme qui est nodal ici puisque source de toutes les tensions/résolutions dramatiques du récit . En choisissant de faire de la figure historique (beaucoup plus nuancée) de John Brown un fanatique religieux au regard d’halluciné dont le seul but semble être de mettre le pays à feu et à sang, en décrivant les anti-esclavagistes comme des brutes vénales (voir le personnage de Rader et la plupart des hommes de John Brown parmi lesquels, autre contre-vérité historique, ne figure aucun Noir…), les auteurs semblent prendre fait et cause pour l’autre camp. Celui-ci est en effet idéalement incarné par le toujours charismatique Errol Flynn dont le personnage, s’il ne prône tout de même pas les valeurs positives de l’esclavage (malgré l’absence du concept de « politiquement correct » à l’époque, le film aurait certainement eu de sérieux problèmes !), propose son abolition progressive et sans violence. Il faut donc accepter l’aspect apocryphe du film et sa structure manichéenne « inversée » (les Sudistes sont des philanthropes modérés, les Nordistes des renégats ou des traîtres) afin d’en apprécier les qualités purement cinématographiques. Michael Curtiz y déploie son sens du rythme et du mouvement, particulièrement lors des scènes d’action qui sont à la fois très lisibles et très fluides.De longs et rapides travellings alternent avec d’amples mouvements d’appareil lors de la première séquence de bravoure, celle de l’attaque du convoi de l’armée par la bande de John Brown et de la course-poursuite à cheval qui s’ensuit. Le dynamisme de la caméra, le choix de multiplier les échelles de plan et le montage court font de la séquence finale (l’assaut par l’armée de la grange de Harper’s Ferry où sont réfugiés les abolitionnistes armés jusqu’aux dents et prêts à mourir pour leur chef) un modèle d’action et d’efficacité. Le réalisateur excelle également dans la direction des acteurs, tous excellents alors que Michael Curtiz était, de l’avis général, une personnalité assez infecte, méprisant les comédiens et entretenant des relations quasi-haineuses avec Errol Flynn dont il fit cependant une star dans la lignée de Douglas Fairbanks. Bien que les personnages principaux (le triangle amoureux Stuart-Kit-Custer) fonctionnent comme d’évidents symboles de la jeune Amérique indépendante et valeureuse d’avant la guerre fratricide, la caractérisation est bien intégrée au récit et les protagonistes évoluent naturellement en fonction des développements de celui-ci. Le résultat est donc plutôt plaisant, Michael Curtiz parvenant, comme dans tous ses bons films, à unir harmonieusement romantisme et spectaculaire. Demeurent les réserves concernant l’ambiguïté morale de l’œuvre que l’on ne peut éluder ; conçu au début de la Seconde Guerre Mondiale et à la veille d’un possible engagement américain dans le conflit, le film reflétait-il les craintes des auteurs d’un nouvel embrasement du pays ? Michael Curtiz se rattrapera peu après en signant plusieurs films de propagande en faveur de l’interventionnisme dont le célébrissime CASABLANCA (1942).

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