La Planète des tempêtes

Un texte signé Stéphane Bex

Russie - 1962 - Pavel Kloushantsev
Interprètes : Vladimir Yemelyanov, Georgiy Zhzhonov, Georgi Tejkh, Yuriy Sarantsev, Gennadi Vernov, Kyunna Ignatova

Trois vaisseaux tournent en orbite autour de Vénus. Quand une météorite géante percute l’un d’eux, l’équipage des deux autres est décidé à se rendre sur la planète encore inexplorée. Ils vont y découvrir des formes de vie préhistoriques et affronter les menaces d’une nature hostile.

Etrange objet cinématographique que cette PLANETE DES TEMPETES (PLANETA BUR) tourné en 1962 et dû au cinéaste soviétique Pavel Kloushantsev. Le réalisateur, fasciné par l’aventure spatiale aurait été destiné, dit-on, à filmer des reportages sur la culture des pommes de terre dans les kholkozes. Le lancement du spoutnik qui fait de la conquête spatiale un enjeu majeur dans la guerre froide et un outil de propagande soviétique permet à Kloushantsev de rejoindre les studios cinématographiques et devenir un des spécialistes des effets spéciaux et du space opera. En route vers les étoiles accompagne ou peu s’en faut le lancement du spoutnik et documente la vie d’astronautes construisant une base orbitale. La planète des tempêtes suit de près : tourné en 1961 et sorti en 1962 dans presqu’une trentaine de pays, le film consacre le réalisateur soviétique comme spécialiste de la fiction spatiale et ouvre la voie à la science-fiction pop et au space opera des années 60 (FLASH GORDON, BARBARELLA, STAR TREK, LE VOYAGE FANTASTIQUE, Fleisher ou la sci-fi italienne d’Antonio Margheriti) tout autant qu’aux expérimentations de Kubrick (2001) ou la veine plus métaphysique d’un Tarkovski (STALKER, SOLARIS).
Hybride, la fiction de Kloushantsev l’est donc pleinement; le début du film d’une austérité documentaire présente l’équipage et le dilemme posé après la destruction d’un des vaisseaux : se poser sur la planète au risque de ne plus pouvoir revenir ou rester en orbite mais affronter les dangers des météorites. Occasion pour le réalisateur de confronter la froideur de la technologie humaine et le sublime d’un lyrisme spatial : la description de Vénus, enveloppée d’un brouillard épais, tout en adoptant les éléments descriptifs conventionnels dans l’imaginaire science-fictionnel au début des années 60 (présence d’eau, monde préhistorique) retravaille les motifs avec une étonnante poésie. Si les effets spéciaux manquent parfois de crédibilité (l’attaque des dinosaures est plutôt ridicule), l’exploration de la planète vue à travers le déchaînement des forces naturelles est l’occasion de quelques plans saisissants donnant au voyage une dimension cosmique.
Kloushantsev ne délaisse pas pour autant l’aspect humain de l’aventure ; d’une manière étonnante, ce film de propagande s’éloigne du manichéisme habituel outre-atlantique en période de guerre froide. L’équipage comporte également un Américain, dont le cynisme sera finalement remis en cause par la solidarité et l’esprit d’entraide des autres membres. Les déclarations de principe et le patriotisme de convention laissent la place à une vision plus large de la place de l’homme dans l’univers, et à la question de son origine et son devenir. Le film n’hésite pas ainsi à citer Darwin en s’interrogeant sur le paradoxe que constitue la présence humaine au sein d’un monde préhistorique dont l’histoire des espèces le tient normalement éloigné. L’épopée spatiale est ainsi l’occasion pour Kloushantsev de repenser, comme le fera Kubrick plus tard, la définition de l’humain ayant quitté son sol natal.
Robot, féminité, alien et créatures préhistoriques représentent dès lors les figures auxquelles s’affronte l’humain. John, le robot de l’expédition, avatar déglingué du Robby de PLANETE INTERDITE, machine à calculer froidement et aide précieuse dans un premier temps, s’avèrera finalement un danger plutôt qu’un secours. Kubrick encore se souviendra dans 2001 de la chanson de musique pop entamée par la machine à la demande humaine dans un moment critique, passage plein d’un humour pulp dans le film de Kloushantsev. Le personnage féminin, laissé en orbite et empêché de participer à l’expédition vénusienne est peut-être le plus malmené dans le film. Figure maternelle et protectrice, pleurant au départ de son fiancé – scène censurée par le pouvoir russe ayant décrété que la femme russe ne pleure pas – et mettant en péril la mission, elle reprend les traits stéréotypés de la femme soviétique dont l’héroïsme reste indirect et vouée à combattre une faiblesse naturelle. La Vénus maléfique et séductrice est, quant à elle, imagée dans les plantes carnivores de la planète menaçant de dévoration les explorateurs imprudents.
La figure la plus intéressante demeure celle de l’alien, autre ne se manifestant qu’à travers une voix-off flottant au travers des paysages et avertissant les héros des futurs dangers. Une pierre ramassée par le géologue de l’expédition et qui sera ouverte juste avant le départ laisse deviner un secret dont se souviendra Brian de Palma dans MISSION TO MARS.

Au final, cette Planète des tempêtes, dans son caractère à la fois étrange et familier, redonne pleine valeur à une poésie qui n’a rien de suranné. La découverte d’une cité sous-marine, forme d’Atlantis engloutie, celle d’une sculpture de dragon à l’oeil de rubis faisant écho à l’oeil cyclopéen du robot s’allumant quand il commence à se détraquer ou encore l’ouverture de la pierre, redéfinissent une esthétique sci-fi éloignée à la fois de l’orgie pop des années 60 et de l’abstraction froide qui débute à partir des années 70. De grands moments de liberté dans la mise en scène comme dans cette séquence qui voit la femme danser en apesanteur après avoir enlevé ses chaussures, prouvent la maîtrise du réalisateur dans l’articulation du discours de propagande avec plaisir de filmer et exigences de la narration. Cette oeuvre mal connue, ayant pourtant largement inspiré – Kubrick et surtout Corman qui la pillera dans VOYAGE TO THE PLANET OF PREHISTORIC WOMEN – mérite qu’on la redécouvre pleinement et, avec elle, un auteur ayant su utiliser les contraintes d’un genre pour mieux les dépasser.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Stéphane Bex

- Ses films préférés :


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link