La porte du paradis

Un texte signé Philippe Delvaux

USA - 1980 - Michael Cimino
Titres alternatifs : Heaven's gate
Interprètes : Christopher Walken, John Hurt, Kris Kristofferson, Isabelle Huppert

En 1892, au Wyoming, les grands propriétaires de bétail s’unissent autour de la Wyoming Stock Growers Association, un groupe de défense d’intérêt constitué surtout pour lutter contre les nouveaux immigrants. Ces derniers, qui acquièrent de leurs pauvres économies des terres pour les cultiver, entrainent la diminution des surfaces libre de pâtures. Mais, plongés dans une misère noire et poussés par la faim, certains parmi ces nouveaux américains volent en outre du bétail pour survivre en attendant leurs récoltes. Les éleveurs prennent prétexte de ces larcins et engagent des mercenaires pour massacrer les immigrants. James Averill est issu de la classe aisée. Mais par idéal il a rejoint les plus pauvres et est devenu sheriff du comté de Johnson où ceux-ci résident. Ayant vent du projet des éleveurs, il tente de prévenir les habitants du massacre à venir et essaye de convaincre sa maitresse Ella Watson, tenancière du bordel local, de quitter la région pour sauver sa vie.

LA PORTE DU PARADIS doit sa célébrité autant à ses qualités propres – il s’agit d’un chef d’œuvre – qu’à ses tristes péripéties.
A contrario, et même si le film avait déjà été réévalué, on peut considérer que le regard porté aujourd’hui sur le film bénéficie des nouveaux modes de narration induits principalement par le succès des séries télévisées. Ces temporalités plus longues permettent de s’attarder plus aux personnages et nous font mieux comprendre l’attachement de Michael Cimino à ses protagonistes, à la peinture de la communauté rurale, aux atermoiements de certains. La porte du paradis prend le temps de se raconter, ce qui en fait sa force.
Visuellement, on ne peut que s’émerveiller des prouesses de la direction de la photographie, à la fois chromatique et dans le choix des cadres qui met en valeur les magnifiques paysages du Wyoming, pour un résultat à la fois élégiaque et terre à terre.

Fin des années septante, le nouvel Hollywood est encore puissant. Fin des années ’60, les films des grands studios peinent à conquérir le public. Leur formules sont désormais en porte-à-faux avec une époque qui a changé à grande vitesse. Emerge alors une série de nouveaux réalisateurs qui trouvent le chemin du succès en dehors des studios. Le « nouvel Hollywwod » est né. Il règnera la décennie suivante, qui accouche d’un nouvel âge d’or cinéphile. Michael Cimino est de ceux-là. Auréolé du triomphe de Voyage au bout de l’enfer (THE DEER HUNTER, 1978), il voit s’ouvrir une manne financière inédite pour réaliser son film suivant : LA PORTE DU PARADIS. Bénéficiant d’un budget confortable et d’une liberté artistique totale, il incarne alors une tentative de synthèse de ce nouveau cinéma d’auteur avec les moyens traditionnellement réservés aux films de studios. Hélas, au cinéma, la liberté financière complète perd souvent les réalisateurs . Et Cimino de rapidement exploser les limites de son budget, pourtant élevé pour l’époque (quinze ans plus tôt, des dépassements budgétaires similaires faillirent emporter la Fox, lors de la production de CLÉOPATRE). Le drame se produit lors de la présentation publique du premier montage : d’une durée de 3h40, celui-ci rebute et la critique, qui sera assassine, et le public, qui boudera massivement cette sortie. Au lendemain d’une avant-première désastreuse, la production exige un allègement notoire du film pour tenter de sauver la sortie commerciale. Ramené à 2h20 d’un montage peu satisfaisant, le film n’en restera pas moins un bide complet, un des pires échecs de sortie de l’histoire du 7e art. Le public claque littéralement la porte de ce paradis devenu enfer, le film ne récoltant que 3 millions de dollars de recette, au regard des 40 qu’il aura couté. L’échec entraine à sa suite la faillite des studios United Artists. Et la carrière de Michael Cimino en sera notablement affaiblie, il aura souvent le plus grand mal à trouver des financements, en dépit de la réussite de son film suivant, L’ANNÉE DU DRAGON. Quelques années plus tard, une mésaventure similaire attendra le Terry Gilliam des AVENTURES DU BARON DE MUNCHAUSEN (1987).

Les historiens du cinéma considèrent que l’échec de LA PORTE DU PARADIS aura sonné le glas du Nouvel Hollywood. Quelques années plus tôt, les grands studios ont retrouvé une nouvelle formule, qui va très vite triompher : celle des blockbusters qui, mêlant un budget important, un recentrage sur le divertissement et une attention spécifique portée à la promotion, leur permettra de reprendre durablement la main. Au Nouvel Hollywood qui avait permis aux réalisateurs d’obtenir le contrôle, les années ’80 voient les studios et les producteurs reprendre aux Etats-Unis le pouvoir sur le contenu des films.

Et non content d’avoir enterré le Nouvel Hollywood, Ces portes se seront également refermées sur le western, genre dont peu de productions notables seront à relever les années qui suivirent. Le western, déjà moribond au début des années soixante, avait retrouvé une vitalité nouvelle en Italie, laquelle, par rebond avait permis aux américains d’en moderniser et la forme et les thématiques fin des années ’60 et dans les années ’70. Après LA PORTE DU PARADIS, western atypique de par son rythme, il faudra attendre une bonne décennie avant de revoir un western américain ambitieux.

Mais pourtant, au fil du temps, LA PORTE DU PARADIS retrouve grâce aux yeux du public, notamment suite à son exploitation télévisée. Nimbé du statut de classique, il est aujourd’hui considéré comme un chef d’œuvre.

Pourquoi alors le public de l’époque l’a-t-il rejeté ? On peut avancer l’hypothèse de l’époque. La vague Flower power des années ’60 a engendré toute la contre-culture des années ’70, celle-là même qui a permis aux œuvres contestataires et engagées du Nouvel Hollywood de s’épanouir. Mais ce mouvement culturel et social très puissant, qui a fait bouger les lignes de la société occidentale s’est produit sur une période très courte, qui n’a sans doute pas permis son acceptation par l’ensemble de la société. Parallèlement, des forces contraires ont donc émergé et, par retour de balancier, ont engendré le retour de l’ordre moral qui va traverser les Etats-Unis des années ’80. LA PORTE DU PARADIS est arrivée trop tard, la société de 1980 n’est plus celle de 1970, les yuppies prennent le pouvoir et l’américain moyen n’a plus envie de films contestataires.

Il en a d’autant moins envie que LA PORTE DU PARADIS ouvre une critique du Capitalisme par le biais d’une anecdote historique. Le dogme de l’égalité des chances et celui de la liberté individuelle est battu en brèche par l’exemple de ces nantis qui s’unissent pour maintenir leurs privilèges sur le corps de ceux qui voudraient aussi se faire une place au soleil, et ce avec la bienveillance des plus hautes autorités et l’aide active de l’armée. Une page peu glorieuse de l’histoire américaine. Le crime de Cimino est donc aussi celui de l’anti-patriotisme, difficilement pardonnable aux USA, et surtout dans ceux de Ronald Reagan !


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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