La poupée diabolique

Un texte signé Philippe Delvaux

Le ventriloque et hypnotiseur Vorelli triomphe à Londres avec sa poupée Hugo, laquelle ne se contente pas de parler, mais se meut de surcroît. Ce qui attise la curiosité du journaliste américain Mark English, qui envoie sa fiancée, la riche héritière Marianne Horn, se faire hypnotiser lors d’un spectacle. Mark veut percer le secret du saltimbanque et de son intrigante poupée. Laquelle lui apparait bientôt dans sa chambre et l’appelle à l’aide. Est un cauchemar ? Est-il sujet à hallucinations ou sous l’emprise, lui aussi, du pouvoir hypnotique de Vorelli ? Mark veut percer ce dernier à jour, d’autant plus que le sinistre saltimbanque se rapproche d’une Marianne qui semble soudain éprise de lui.

Ecrire à propos d’un film plus d’un demi-siècle après sa réalisation peut s’appréhender de plusieurs manières. Par exemple en resituant le film dans son époque, ou au contraire en lui appliquant une grille de lecture contemporaine. Le choix d’une méthode plutôt que l’autre permet parfois de réévaluer ou au contraire de déconsidérer un film prisé ou ignoré par l’autre. Ici, on se facilitera la tâche : LA POUPÉE DIABOLIQUE ne brille pas plus à l’œil contemporain qu’elle n’a enchanté les mirettes du spectateur de 1964, n’en déplaise à certains de ses thuriféraires.

L’oeuvrette appartient au gothique anglais du pauvre, encore engoncé dans la structure fort classique du micro budget qui, de toute éternité, est trop souvent le lot commun du cinéma fantastique.

Pour faire bref, des héros aussi amidonnés que leurs costumes sauvent de chastes donzelles, à la fois potiches et proies, de quelque escogriffe encapé avec cette « vigueur » qui fera, bien plus tard, école dans les Derrick d’un après-midi lymphatique. LA POUPÉE DIABOLIQUE reprend laborieusement tous les passages obligés du genre : les médecins aussi suffisants qu’impuissants, les parents désemparés, le vilain charismatique (important, ne ratez pas votre grand méchant), le manoir, marque du classicisme chic et de la tradition que vient confronter le héros qui, lui, incarne par sa profession de reporter une modernité autrement plus dynamique…

Bien que doublé à l’époque, La poupée diabolique semble n’avoir pas connu de distribution en salles françaises. On n’ira pas jusqu’à soutenir que le public a manqué une étape essentielle de l’évolution du genre. IMDB lui recense un titre d’exploitation belge, LA POUPEE SANGLANTE, mais sans que la Cinémathèque royale de Belgique n’ait conservé trace d’un distributeur belge.

En filigrane, on retrouve la trame qui a servi au décalque du scénariste : l’inévitable Dracula de Bram Stocker, remis au gout du jour quelques années plus tôt par le triomphe de la Hammer. Gardez à l’esprit les situations, personnages et motivations du roman, vous en retrouverez nombre d’éléments dans LA POUPÉE DIABOLIQUE, le plus évident restant le remplacement de la morsure par l’hypnose pour capter l’innocente jeune fille dans les rets de l’infâme, qui cherche ici fortune.
Autre influence déterminante, quoique jamais explicite, le vaudou. Sur ce point, on se gardera cependant de vous dévoiler plus avant l’intrigue.

Il est toujours amusant de voir l’époque ou le contexte de production exsuder d’un scénario. Par exemple l’origine américaine du héros – nommé cependant « English » ! – pour mieux vendre le film aux USA par ses producteurs qui y étaient installés tout en étant originaires d’Albion. Par exemple encore du passage berlinois qui permet d’une part de mieux surligner le méchant (l’Allemand est encore, en 1964, un ancien « boche » pour un certain nombre de spectateurs potentiels) mais pourrait presque invoquer les mânes de quelques illustres prédécesseurs expressionnistes.

On s’amusera des situations peu crédibles d’un hypnotiseur qu’une salle de spectacle entière – dans cette encore très prude époque – laisse sans réagir torturer (l’homme persuadé qu’on va l’exécuter) ou humilier (la femme soumise à strip-tease dans la version alternative américaine) ses victimes. Mais après tout, notre propre époque n’a-t-elle pas érigé l’humiliation et la « torture » en spectacles-roi dans les innombrables téléréalités et autres jeux de survie.

Les années ’60 ont vu l’érotisme s’inviter de manière lourdement allusive au début, plus explicite par après, dans le cinéma fantastique. En 1964, La poupée diabolique nage encore entre deux eaux. N’était le sadisme inhérent à toute situation d’asservissement féminin – lot commun de tant de productions -, l’érotisme reste ici pour le moins tenu. Il ne résulte ni des situations, ni de leur mise en image. Ou si peu : on aperçoit bien le sein grassouillet gratuitement exhibé par Magda – l’assistante et maitresse de Vorelli – par ailleurs pour le surplus toujours en résille et justaucorps de scène ; on devine le viol d’une Marianne hypnotisée, mais chastement éludé par le montage… pas grand-chose à se mettre sous la dent. Les américains eurent droit à un montage légèrement érotisé, augmenté d’une scène de strip-tease (une poitrine dénudée !) et nanti d’une séquence alternative ou la maitresse d’un correspondant berlinois de Mark expose elle aussi ses charmes mammaires, dont seront privés les spectateurs européens. En 1964 en effet, l’Amérique a succombé depuis quelques années déjà au « nudie cuties » puis aux « roughies ». La nudité est désormais tolérée, ce qui explique le besoin commercial de ces scènes pour ce marché. L’Europe et très certainement l’Angleterre est de ce point de vue alors en retard.

Si LA POUPÉE DIABOLIQUE nous a laissé sur notre faim, c’est aussi par cette tare de trop de bandes fauchées : l’absence d’action. Entre les postures hiératiques et les discussions de gentleman, l’intrigue patauge. L’ensemble reste par trop statique et la progression navigue entre poncifs et deus ex machina (et plops, la révélation berlinoise). Et on s’en voudrait de vous spoiler le final… si ce n’est cependant pour signaler une poussée plus dynamique, lors d’un combat qui nous réveille enfin tout ce beau monde.

LA POUPÉE DIABOLIQUE, on l’a dit, c’est du micro budget, 25.000 livres sterling de l’époque semble-t-il. Et ça se voit : les plans serrent les comédiens, quelques stock-shot figurent le voyage à Berlin, l’ensemble restant confiné en studio, sauf quelques échappées dans manoir gothique – assez peu exploité – et dans un théâtre, qui l’est déjà plus, c’est bien le moins vu le sujet. Dans ces années d’entre deux chromatique, La poupée diabolique se cantonne encore au noir et blanc.

On retiendra quand même le magnétisme de Briant Halliday – de la part d’un hypnotiseur quoi de plus normal ? -, et le sujet qui mixe ventriloquie, hypnotisme, vaudou (en quelque sorte). Si pour notre part, c’est insuffisant à susciter notre franche adhésion, on vous laisse toute liberté d’en décider autrement.

Vous pourrez donc vous faire votre idée avec la sortie française de LA POUPÉE DIABOLIQUE en dvd en 2016 auprès de l’éditeur Artus, infatigable explorateur du passé du genre. Comme à chaque fois, Artus soigne ses produits par des suppléments qui redonnent leurs lettres de noblesse au terme « bonus » : cette fois une scène coupée et une séquence alternative, ainsi qu’une copieuse interview du toujours érudit Alain Petit qui, 38 minutes durant, livre anecdotes et contexte de production.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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