La Retape

Un texte signé Philippe Chouvel

Italie - 1985 - Joe D'Amato
Titres alternatifs : L'alcova, The Alcove, Zerbal, Lust
Interprètes : Laura Gemser, Al Cliver, Lilli Carati, Annie Belle, Giovanni Pazzafini, Roberto Caruso

Officier dans l’armée italienne, Elio De Silveris rentre victorieux de la campagne d’Abyssinie, en 1936. Il regagne son domaine où l’attend sa femme Alessandra. Parmi le personnel, en dehors du jardinier, il y a aussi la jeune Wilma, engagée comme secrétaire, et qui entretient une relation lesbienne avec Alessandra. De cette guerre contre l’Ethiopie, Elio n’est pas revenu les mains vides. Il a ramené de nombreux cadeaux, mais aussi un trophée pour le moins inattendu, à savoir une princesse, qu’Elio s’est vu offrir pour avoir sauvé son père. Zerbal, au corps magnifique, ne va pas accepter longtemps sa condition d’esclave. C’est en observant ses nouveaux maîtres qu’elle va trouver la faille et inverser peu à peu les rôles, dans un jeu de séduction où elle va se montrer la plus forte…
Joe D’Amato s’est fait connaître, entre autres, par ses œuvres érotiques dans les années 70 (notamment la série des BLACK EMANUELLE) et quelques films d’horreur marquants comme ANTHROPOPHAGOUS et BLUE HOLOCAUST, avant de glisser peu à peu dans le cinéma pornographique. En ce qui concerne l’érotisme pur, le cinéaste a alterné le bon, le passable et le très médiocre. Réalisé en 1985, LA RETAPE (mot argotique signifiant racolage ou prostitution) rentre dans la première catégorie. Cela pour plusieurs raisons. D’abord, le réalisateur a situé le cadre de l’action dans un contexte particulier dans l’histoire de l’Italie, celui de la guerre contre l’Ethiopie, alors que Mussolini était au pouvoir. L’Italie basculait vers le fascisme et ce conflit éthiopien fut l’une des causes du rapprochement avec l’Allemagne nazie. Ensuite, il a concentré son histoire dans un unique endroit avec très peu de personnages (quatre principaux et deux secondaires), dans un huis-clos où D’Amato était à même de développer comme il se faut les caractères de chaque protagoniste. Il est à ce titre intéressant de constater que le seul personnage masculin important, Elio, représente à la base l’autorité absolue dans son contexte. C’est un militaire gradé, vainqueur d’un conflit, revenant en triomphateur dans son pays où le racisme et le fascisme sont solidement ancrés.
Mais derrière le vernis, Elio est en fait un être faible doublé d’un écrivain refoulé, tentant d’effacer son complexe en tournant de petits films pornographiques avec la complicité des femmes partageant son toit. De ce trio féminin, c’est Zerbal qui va tirer les ficelles, en parvenant à séduire la maîtresse de maison, évinçant par la même occasion la secrétaire.
De par son contexte, et son climat, il n’est pas impossible que D’Amato ait puisé une partie de son inspiration dans deux films importants : THEOREME, de Pasolini, et LE CONFORMISTE, de Bernardo Bertolucci.
Cela dit, L’ALCOVA demeure un pur film d’exploitation dans lequel les trois actrices ne manquent pas de se déshabiller fréquemment et de pratiquer le saphisme de manière intensive. Le spectateur aura donc l’occasion d’apprécier les plastiques avantageuses de Laura Gemser, l’égérie de Joe D’Amato (elle reste l’inoubliable BLACK EMANUELLE) et de Lilli Carati (AVERE VENT’ANNI) qui après un début de carrière prometteur, sombrera dans le porno de seconde zone, tout comme sa compatriote Paola Senatore. N’oublions pas enfin la troisième femme, la française Annie Brilland, qui débuta au cinéma en 1974 devant la caméra de Jean Rollin, dans LEVRES DE SANG. Deux ans plus tard, elle poursuivra sa carrière en Italie, sous le pseudonyme d’Annie Belle, essentiellement dans des longs métrages érotiques (LAURE), mais aussi dans LA MAISON AU FOND DU PARC, un thriller glauque de Ruggero Deodato.
Le premier rôle masculin est quant à lui interprété par Al Cliver, une figure familière du cinéma-bis, qui a traîné sa chevelure blonde et sa moustache dans pas mal de films de Fulci, parmi lesquels L’ENFER DES ZOMBIES et L’AU-DELA. Un dernier mot concernant les acteurs : le rôle du jardinier est campé par Giovanni Pazzafini. Un nom inconnu pour beaucoup, et pourtant cet éternel figurant puis second couteau du cinéma compte quarante ans de carrière et presque deux cents films à son actif. Il a écumé le 7ème art, montrant son faciès inquiétant (le cantonnant à des rôles de méchant) dans tout ce que le cinéma bis a pu produire : films d’aventures et d’espionnage, péplums, westerns, sexy-comédies, polars, heroïc-fantasy et post-nuke. Comme bien d’autres, Pazzafini fait partie de ces acteurs dont on oublie le nom mais jamais le visage.
En résumé, LA RETAPE compte parmi les bons crus dans la longue liste des productions érotiques de Joe D’Amato. Bien sûr, il ne s’agit pas d’une œuvre remarquable, mais elle dépasse de loin, en qualité, des films comme ONZE JOURS ONZE NUITS, TOP MODEL ou CHINESE KAMASUTRA. Et puis, JOE D’AMATO était un remarquable directeur de la photographie, un talent que l’on ne peut pas lui enlever et qui est encore flagrant dans LA RETAPE.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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