La trâce des rêves

Un texte signé Angélique Boloré

Jean-Pierre Andrevon est l’un des auteurs français de science-fiction les plus reconnus. Et le lecteur sait bien pour quelle raison. Sa renommée n’a rien d’usurpé car c’est en véritable chef d’orchestre que Jean-Pierre Andrevon met en mouvement une « musicalité » de la langue au service d’une science-fiction véritablement poétique.
Dans La trace des rêves, il faut tout d’abord passer le cap des premières pages qui pourraient rebuter certains lecteurs et les décourager d’aller plus avant. Elles illustrent le cycle de la vie, manger et être mangé, être un prédateur et devenir une proie… Si cette introduction jette les bases des thèmes qui vont être développés plus loin, elle peut également froisser la sensibilité de certains lecteurs. En effet, dans cette introduction, les libellules ne sont pas des libellules mais des Æschnes… Et un diptère, ben ma foi, ça peut être une mouche… ou un autre truc qui vole… En tout cas, quelque chose qui se fait manger par la libellule qui se fait manger par un lézard, qui se fait manger à son tour par une couleuvre, qui meurt elle aussi, ha ! La trace des rêves s’apparente à un enchevêtrement sans fin de naissance et de mort, d’actif et de passif, de présent et de futur.
Cette introduction, déconcertante donc, emmène le lecteur bien loin dans l’introspection avant de le ramener dans une grande salle évidée, sous la lumière des néons, auprès des ronronnements de machineries antiques.
Des hommes s’éveillent et émergent de sarcophages poussifs. Quinze cercueils de plexiglas, ou cocons matriciels plutôt, s’alignent les uns à côté des autres… mais seuls treize hommes en sortent. Ils ne semblent pas avoir accès à leur mémoire. Ils se souviennent de leur nom et du langage. Parfois, des concepts effleurent par flashes leur conscience mais ils ne les associent plus à rien. Cette impression de savoir des choses sans les savoir vraiment, c’est-à-dire sans pouvoir les relier à un passé, à une expérience, à un apprentissage perturbe les personnages, et le lecteur par la même occasion.
Les hommes, parce qu’ils sont ce qu’ils sont, c’est-à-dire curieux, hardis, inconscients, parviennent à sortir de la caverne et s’aventurent dans le monde extérieur. Là, la nature qui les accueille est aussi dangereuse que bienfaitrice. Ils trouvent de quoi se nourrir mais y affrontent aussi des créatures extraordinaires et prédatrices. Ils ne survivront d’ailleurs pas tous les treize à leur périple. Ils ne connaissent pas ce monde. Et pourtant, il leur semble tellement familier !
Et au milieu de leurs hésitations, de leurs sentiments de déjà-vu, de leurs certitudes sans fondement, d’étranges idées leur traversent l’esprit. Ils veulent par exemple appliquer des rituels funéraires mais sans pouvoir déterminer pourquoi ils leur semblent appropriés, nécessaires, justes… Ils cheminent dans une sorte de « brouillard » social, intellectuel et culturel alors que leurs préoccupations immédiates se résument à une seule chose : leur survie, à abattre ou à être abattu.
Puis au cours de leur périple, ils rencontrent un autre groupe d’humains. Des êtres différents d’eux… subtilement différents… tout en étant fondamentalement différents : ils rencontrent un groupe de femmes. Le choc, la découverte, l’émerveillement… Cette rencontre se passera plutôt bien. Ce qui ne sera pas franchement le cas quand ils rencontreront finalement un autre groupe d’hommes et de femmes… noirs/noires. Leur affrontement, aveugle, sanglant, inutile apparaît absurde et même totalement criminel pour le lecteur qui a compris qu’il s’agit là des seuls survivants d’une grande catastrophe qui a décimé l’humanité. Mais le combat se termine néanmoins dans la fraternité. Ensemble, ils laissent leurs morts sur l’île protectrice qui a été le théâtre de la tragédie et partent à la conquête de territoires inexplorés. Des mystères les attendent, ils le pressentent.
Ils rencontrent alors des paysages différents et arides, des créatures encore plus grandes et dangereuses. A un moment, ils découvrent sur un plateau désertique le squelette fantastique d’un géant. Commence pour eux des réflexions, des confrontations d’opinions et de croyances. Ils n’ont pas tous le même avis, leurs chemins se sépareront alors. Un petit groupe partira à la conquête du savoir. Qui était ce dieu abattu ? Qui sont-ils eux-mêmes ? Qu’y a-t-il au bout du monde ?
La trace des rêves est comme un vieux compagnon de table de chevet, sans surprise mais toujours plaisant à feuilleter. Dans ses thèmes, il ne surprend pas, ne bouscule rien, n’arbore donc aucune originalité. C’est certainement dû au fait que l’auteur ressasse des sujets, situations et questionnements emblématiques de la plus pure tradition de la SF des années 50/60. L’homme, dans sa folie destructrice, déclenche l’hiver nucléaire et des scientifiques ont tenté de sauver quelque chose du désastre.
Rien de bien original dans le fond du propos donc. Mais en réalité, ce qui fait grandement l’intérêt de La trace des rêves, c’est la patte Jean-Pierre Andrevon, c’est-à-dire la qualité de la langue, sa joliesse, sa musicalité. Et pour ne rien gâcher, les réflexions, les sentiments des personnages sont très bien amenés et traités avec respect. Tout est intéressant, formateur, sans tomber dans une sensiblerie mielleuse. Son épaisseur laisse à l’auteur tout le loisir de décrire l’environnement, de développer les situations et de s’appesantir sur les sentiments des personnages, que du bonheur pour tout fan de science-fiction mettant en scène la survie de l’homme.
Il s’agit là d’un livre peu surprenant donc mais franchement très agréable à lire. Et petit conseil mine de rien : si le livre est un cadeau, autant tenter de trouver la version de chez J’ai Lu parue en 1988 et non pas celle de 1995 chez Poche car la couverture de cette dernière vend la mèche quant à LA révélation scénaristique, ce qui est franchement très dommage.


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- Article rédigé par : Angélique Boloré

- Ses films préférés : Autant en Emporte le Vent, Les dents de la Mer, Cannibal Holocaust, Hurlement, L’invasion des Profanateurs de Sépultures

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