La vengeance de l’homme invisible

Un texte signé Frédéric Pizzoferrato

Au début des années ’40, la Universal sent le vent tourner dans la mauvaise direction et leurs plus populaires franchises commencent à battre de l’aile même si la compagnie tente, vaille que vaille, de les exploiter un maximum. Lancés, au début de la précédente décennie, par des productions prestigieuses comme DRACULA (1931), FRANKENSTEIN (1931 également), LA MOMIE (1932) et L’HOMME INVISIBLE (1933), les « grands monstres » du répertoire classique connaissent quelques séquelles d’intérêt divers mais souvent réussies comme LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN ou LE FILS DE DRACULA.

Toutefois, il faut attendre le début des années ’40 pour voir la Universal exploiter frénétiquement son fonds de commerce via des titres moins fortunées (LA TOMBE DE LA MOMIE, LE FANTOME DE FRANKENSTEIN, SON OF FRANKENSTEIN), puis d’improbables réunions dans lesquels les « monstres » s’affrontent inlassablement (FRANKENSTEIN RENCONTRE LE LOUP GAROU, LA MAISON DE DRACULA,…). L’ultime étape sera la parodie, assurée par le duo « comique » (ce point reste discutable) composé d’Abbot et Costello, lesquels affronteront tour à tour Frankenstein, la Momie, l’Homme Invisible, etc.

LA VENGEANCE DE L’HOMME INVISIBLE, sorti en 1944, marque la cinquième apparition à l’écran d’un « héros » invisible après L’HOMME INVISIBLE, sa suite directe LE RETOUR DE L’HOMME INVISIBLE et deux variations sur le thème (LA FEMME INVISIBLE et L’AGENT INVISIBLE CONTRE LA GESTAPO). Dans cette réinterprétation du classique de Whale, le héros se nomme à nouveau Griffin mais, en dépit de ce patronyme référentiel, n’entretient aucun lien de parenté avec les hommes invisibles des deux premiers opus.
Robert Griffin rentre en Grande Bretagne où ses anciens associés ont fait fortune en son absence. Apparemment, Griffin fut jadis laissé pour mort en pleine jungle, non loin d’un important gisement de diamants. Ayant longtemps souffert d’amnésie, Griffin retrouve la mémoire et réclame sa part sur les bénéfices engrangés par ses « amis ». Malheureusement, ceux-ci, à savoir Sir Jasper Herrick et sa femme Irène, ont dilapidé leur fortune et sont incapables de rembourser Griffin. Notre ancien amnésique, qui soupçonne le couple de l’avoir volontairement abandonné à son sort au fin fond de l’Afrique, prend très mal la situation. Par la suite, Irène drogue Griffin et s’empare d’un contrat pouvant servir de preuve au tribunal, ce qui prive notre « héros » de tout recours juridique. Après une infructueuse tentative d’extorsion orchestrée par Griffin, aidé d’un pauvre ivrogne et d’un avocat véreux, le chef de la police prête main forte à Sir Herrick et expulse l’apprenti maitre chanteur. En fuite, ce-dernier est recueilli par le docteur Drury, lequel effectue des recherches sur un produit révolutionnaire capable de rendre invisible tout à chacun. Griffin accepte de servir de cobaye au savant mais, une fois invisible, comprend l’intérêt qu’il peut tirer de ce pouvoir et décide de se venger de Sir Herrik et son épouse.

Sans égaler le classique HOMME INVISIBLE de James Whale, plus ambitieux et intéressant, ce nouvel opus s’avère plaisant. Les effets spéciaux, même après tant d’années, restent étonnants et crédibles, les techniciens des trucages rivalisant d’ingéniosité pour proposer des scènes inédites. Parmi les plus belles prouesses visuelles, citons la scène où notre invisible héros se tartine la moitié du visage de farine pour apparaître aux yeux d’un de ses amis. Ou encore cette séquence étonnante durant laquelle il glisse sa main dans un aquarium.

Si le ton général demeure sérieux, LA REVANCHE DE L’HOMME INVISIBLE propose quelques scènes humoristiques efficaces dont la plus réussies reste, sans conteste, celle impliquant un concours de fléchettes au cours duquel un ivrogne reçoit l’appui de l’homme transparent pour réussir d’incroyables prouesses. Le personnage de John Carradine permet, lui-aussi, quelques gags amusants, lorsqu’il promène son chien invisible ou écoute le chant de ses petits oiseaux en cage, eux aussi, bien évidemment, invisibles. Les interprètes sont d’ailleurs convaincants. Jon Hall, après avoir incarné le rôle-titre de l’AGENT INVISIBLE, campe ici un homme spolié de ses biens et décidé à se venger, à la manière de Monte-Christo, d’une famille corrompue. Notons d’ailleurs que le script ne justifie jamais les actions du personnage. Ses prétentions sur la fortune de ses rivaux sont-elles légitimes ? Les accusations qu’il porte tiennent t’elles la route ou sont-elles le délire paranoïaque d’un esprit dérangé ? Le film n’offre aucune réponse, laissant au spectateur le soin de choisir entre une vengeance motivée ou, au contraire, la soif de pouvoir d’un dément.

Si l’intrigue s’avère convenue, elle reste agréable à suivre en dépit de certaines facilités, la rencontre fortuite du principal protagoniste et du scientifique s’avérant par exemple difficile à avaler et trahissant une facilité frisant la désinvolture.
Heureusement Ford Beebe, grand spécialiste du serial et réalisateur d’une centaine de films mettant en scène les principaux héros pulp américains (BUCK ROGERS, GREEN HORNET, FLASH GORDON), dirige avec énergie cette cinquième aventure qui alterne moments de suspense et passages humoristiques, une durée restreinte (à peine 75 minutes) lui conférant un rythme soutenu.

Une série B rondement menée, bien interprétée et servie par des effets spéciaux étonnants. Bref, un divertissement des plus appréciables pour les nostalgiques.