L’Affaire Jonathan Harker

Un texte signé Patryck Ficini

France - 2011 - Tamaillon Stéphane
Titres alternatifs : Krine et Crocs

« Le souterrain que la jeune femme empruntait était sombre et répugnant. Ses murs, noirs de suie, ruisselaient d’humidité. Un pot-pourri d’excréments et de différentes autres matières en décomposition empuantissaient le tunnel. Au sol grouillaient des dizaines de rats. De véritables messagers de mort, porteurs de fièvres et de maladies infectieuses, comme le choléra. Tout cela aurait suffi à décourager n’importe qui, mais pas elle. (…) D’ailleurs les gaspards ne s’y trompaient pas. Ils s’écartaient avec crainte et respect, leurs rangs se divisaient en deux colonnes sur son passage. On la vénérait pour ce qu’elle était (…) : une créature de la nuit. » (P. 81)
L’alliance de la beauté et de la laideur. Cette vampire à la séduction troublante est d’ailleurs l’un des plus beaux personnages d’un roman qui n’en manque pas.
Revoici Krine, détective de l’occulte et digne héritier (ou précurseur !) de Dirty Harry et Sherlock Holmes ! Impossible de s’ennuyer avec ce second épisode (si on aime le mélange steampunk/horreur). L’action ne faiblit pas, même si Krine semble un peu en retrait au début, et les enjeux sont d’importance : la Reine Victoria en personne est visée par un complot mené par Brachislavich (le pire ennemi de Krine) allié au premier vampire de l’histoire, Caïn.
Ce qui frappe dans L’AFFAIRE JONATHAN HARKER (comme dans LES PILLEURS DE CERCUEILS), c’est la qualité de l’écriture. Stéphane Tamaillon ne décrit pas le Londres victorien, on EST dans le Londres victorien. Les hautes sphères comme le peuple de l’abîme (cher à Jack London), deux milieux que Krine est amené à fréquenter, sont extrêmements vivants. Personnages et décors, tout est impeccable. L’auteur s’est très bien documenté sur le Londres d’alors, mais au-delà de ce qui ne pourrait être qu’une simple application de ses recherches historiques, Tamaillon parvient à recréer réellement l’époque choisie. Une fin de XIXème siècle fascinante qui vite naître des mythes immortels, fictifs comme Holmes ou Dracula, ou bien réels comme Jack l’Eventreur.
Il est assez incroyable de penser que L’AFFAIRE JONATHAN HARKER a été pensé pour la jeunesse tant cette oeuvre s’avère profondément… adulte, tant sur le fond que sur la forme. La prostitution n’est par exemple pas occultée du tout. Un bordel de luxe joue même un rôle de premier plan dans l’intrigue puisque c’est là que la fille vampire déjà évoquée tue ses amants de la haute ! (Le chapitre Le Salon Sanglant est un pur régal.)
Ce roman, précisons-le, n’est pas une nouvelle variation sur DRACULA, à la Fred Saberhagen. Le Roi des vampires n’apparaît d’ailleurs jamais. Les noms de personnages du roman de Stoker ( et Stoker lui- même !) sont juste repris en guise de clin d’oeil ou, plutôt, d’hommage tant l’amour du fantastique et de l’épouvante gothique sont évidents chez Stéphane Tamaillon. Les « bonus » explicatifs, passionnante visite guidée des coulisses du roman, l’attestent pour ceux qui en douteraient encore après lecture.
Signe d’une parfaite maîtrise du genre, la présence de l’Homme Invisible en personne, dans un rôle très actif, est tout sauf gratuite. La « créature » de Wells est parfaitement intégrée à l’histoire, tout comme Mr Hyde ou les vampires – même si ce sont ces derniers qui ont ici la vedette. Toutes ces citations ne sont jamais ironiques, cyniques, à la façon d’un Quentin Tarantino unanimement acclamé dans sa distanciation pourtant assez détestable.
Ici, Le respect pour ces vieilles légendes chères à nos coeurs est présent de la première à la dernière page.
Notons aussi, parmi les excellents méchants (les vampires seront difficilement oubliables), la présence remarquée de Petterson, un flic infâme et corrompu malgré tout émouvant quand on connaît ce qu’il a dû subir par le passé. Des souffrances d’où peuvent naître un héros… ou le pire des salauds.
« Dépourvu de nez, le bas de son visage se prolongeait par un rostre allongé. L’appendice buccal, rougi de sang, ne laissait aucun doute sur la façon dont le monstre se nourrissait. (…) une paire de crochets recourbés. Elle servait à perforer la peau et à recueillir le précieux liquide permettant au parasite d’étancher sa soif. » (P. 183)
Vampires !


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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