Dossierretrospective

L’antéchrist

La famille Oderisi est issue d’une haute lignée, les deux frères (Massimo et Ascanio) possédant respectivement les titres de prince et d’évêque. Dans sa somptueuse demeure aux allures de palais, Massimo vit avec sa fille Ippolita, son fils Filippo et sa nouvelle compagne, Greta.
Ippolita, paralysée des membres inférieurs à la suite d’un accident de voiture qui coûta la vie à sa mère (alors que son père conduisait), voit d’un très mauvais œil cette nouvelle liaison et considère Greta, à peine plus âgée qu’elle, comme une rivale. Petit à petit, la jeune femme est témoin d’étranges phénomènes à caractère blasphématoire, se manifestant uniquement en sa présence. Elle se confie à son oncle Ascanio, et ce dernier décide de la faire examiner par un psychiatre. Celui-ci parvient à hypnotiser Ippolita et apprendre ainsi que celle-ci est la réincarnation d’une lointaine aïeule qui fut accusée de sorcellerie et condamnée à mort par le tribunal de l’Inquisition au XVIème siècle. Possédée par un démon, elle retrouva la foi juste avant de mourir et sauva ainsi son âme.
Aujourd’hui, le démon est de retour, déterminé à réussir là où il avait autrefois échoué. Rien ni personne ne pourra l’empêcher de posséder Ippolita, corps et âme. A moins que…
En 1973, la sortie du film L’EXORCISTE est un véritable événement. Un succès tel que très vite des producteurs de tous pays, sentant le bon filon commercial, engagent des réalisateurs afin de mettre en chantier des succédanés de l’œuvre de Friedkin. Ainsi, William Girdler tourne ABBY qui sort aux Etats-Unis l’année suivante. Mais le phénomène provoqué par L’EXORCISTE se répand essentiellement sur le continent européen ; en Allemagne avec MAGDALENA LA SEXORCISEE (Walter Boos), en Espagne avec EXORCISMO (Juan Bosch) et LA ENDEMONIADA (Amando de Ossorio), et jusqu’en Turquie avec l’exotique SEYTAN de Metin Erksan. Mais c’est surtout en Italie que fleurissent les ersatz du film de William Friedkin, où même le renommé Mario Bava se voit contraint par son producteur de remonter son dernier film, LISA ET LE DIABLE, pour rajouter des scènes de possession lorgnant ouvertement vers L’EXORCISTE. Un remontage qui aura pour titre LA MAISON DE L’EXORCISME. Dans la foulée, sortent également sur la péninsule italienne LA POSSEDEE (Mario Gariazzo), LE DEMON AUX TRIPES (Ovidio G. Assonitis) et BACCHANALES INFERNALES (Franco Lo Cascio & Angelo Pannaccio).
A ces films, il convient donc de rajouter L’ANTECHRIST, probablement le meilleur des succédanés de L’EXORCISTE, le plus abouti, le plus spectaculaire, et celui qui possède le casting le plus remarquable. Cette œuvre, on la doit à un réalisateur beaucoup trop mésestimé, à qui l’on a souvent reproché de surfer sur les films à succès pour en exploiter la renommée. C’est vrai, d’une certaine façon, mais ce cinéaste, Alberto De Martino, n’en a pas moins livré des produits d’excellente facture souvent à la hauteur des œuvres sources d’inspiration.
Ainsi, LE MANOIR DE LA TERREUR (1963) est un excellent film gothique aux allures de giallo, dans la lignée des œuvres fantastiques signées Mario Bava, Riccardo Freda ou Antonio Margheriti ; THE MAN WITH THE ICY EYES (1971) est un thriller présentant quelques éléments communs à LA MACHINATION de Lucio Fulci ; et HOLOCAUST 2000 (1977) s’inspire (mais avec intelligence) de LA MALEDICTION de Richard Donner ; alors qu’au contraire MISSION SPECIALE LADY CHAPLIN (1966) et son duo d’espionnes de choc incarnées par Daniela Bianchi et Ida Galli anticipent PLUS FEROCES QUE LES MALES de Ralph Thomas, réalisé l’année suivante.
Oui, assurément, Alberto De Martino possède un véritable savoir faire, ce qui ne l’empêchera pas de commettre quelques ratés au cours de sa carrière, parmi lesquels L’INCROYABLE HOMME PUMA de sinistre mémoire.
Fort heureusement, L’ANTECHRIST n’est pas un raté, loin de là, bénéficiant déjà d’une musique somptueuse composée par deux maîtres en la matière : Ennio Morricone et Bruno Nicolai. La photographie est aussi l’une des réussites du film, grâce au travail de Joe D’Amato qui, rappelons-le, en dehors de son métier de réalisateur prolifique, fut également un directeur de la photographie particulièrement talentueux, officiant en tant que tel sur LES VIERGES DE LA PLEINE LUNE. Les scènes de sabbat, lors desquelles Ippolita revit l’initiation de son aïeule à un culte démoniaque, sont d’une beauté époustouflante, saturées d’une lumière bleutée qui accentue le caractère maléfique de ces cérémonies païennes. On retiendra également la scène d’ouverture avec la ferveur hystérique d’une foule implorant le miracle de la Vierge Marie, et le final près du Colisée sous une pluie battante, où Massimo parviendra à sauver sa fille des griffes du démon, dans un geste désespéré.
L’ANTECHRIST, s’il réutilise quelques artifices de L’EXORCISTE (télékinésie, lévitation, langage grossier, jet de vomi verdâtre…), se démarque néanmoins de l’original, notamment parce que son personnage principal n’est pas une enfant mais une femme. Rappelons d’ailleurs que Carla Gravina était alors âgée de trente-trois ans lors du tournage. Sa beauté et son talent permettent au réalisateur d’exploiter d’autres possibilités que Friedkin ne pouvait évidemment pas envisager avec Linda Blair. Entre autres, la sexualité refoulée d’Ippolita, invalide à l’amorce de la puberté, et reportant son amour sur son père. La possession d’Ippolita réveille cette sexualité et donne lieu à des scènes particulièrement malsaines, voyant la jeune femme séduire un lycéen lors d’une visite touristique (celui-ci se laissera tenter, ce qui le conduira à sa perte), puis tenter son frère Filippo de consommer le « fruit défendu ». L’interprétation de l’actrice italienne, vue notamment dans SANS MOBILE APPARENT, L’HERITIER, BIG GUNS et COMME UN BOOMERANG, est tout simplement remarquable. Et comme les autres interprètes principaux le sont tout autant, qu’il s’agisse de Mel Ferrer (SCARAMOUCHE, LES MAINS D’ORLAC), Arthur Kennedy (LA SENTINELLE DES MAUDITS), Umberto Orsini (L’HOMME SANS MEMOIRE) ou Alida Valli (LES YEUX SANS VISAGE, SUSPIRIA), il en résulte que L’ANTECHRIST est un film d’horreur en tous points efficace, et l’une des plus grandes réussites du film de possession.

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