Lasse Braun : French Blue / Sensations / Body Love

Un texte signé Éric Peretti

Pays Bas, Scandinavie, France - 1974,1975 - Lasse Braun
Interprètes : Brigitte Maier, Véronique Monet, Dawn Cumming, Willy Braque, Nico Tierlier, Catherine Ringer

Copenhague, 4 juin 1969. Sous l’impulsion de la révolution sexuelle et de la libéralisation des mœurs en découlant, la censure étatique s’effondre et légalise totalement la pornographie. Lasse Braun, jeune italien alors installé en Scandinavie, pornographe clandestin, va profiter de cette opportunité pour s’imposer comme l’une des figures incontournables de l’industrie européenne du sexe. Depuis longtemps conscient de la pauvreté et de la médiocrité des matériels disponibles sur le marché, il s’était efforcé de proposer des produits luxueux, esthétiques pour l’emballage et la présentation, artistiques au niveau du contenu. Bien lui en pris car très vite ses simples initiales devinrent un gage de qualité, et ce même au-delà de l’Atlantique. Mais c’est bien depuis le vieux continent que Lasse Braun va construire sa carrière, tentant sans cesse d’innover tout en restant dans les limites exiguës qu’impose le genre pornographique. Pour aborder son œuvre, mieux vaut débuter par la pièce maîtresse de sa filmographie, SENSATIONS (1975), chef d’œuvre charnel qu’il signera de son véritable nom, Alberto Ferro.
Bénéficiant d’un budget fastueux pour l’époque, tourné en 35 mm, principalement en Hollande, le film raconte le voyage à Amsterdam d’une américaine, Margaret, qui vient y rejoindre son petit ami photographe. Prude et réservée, la jeune femme découvre avec effroi l’univers du libertinage au gré de ses rencontres. Progressivement gangrenée par la luxure ambiante, elle se laisse finalement glisser dans la spirale des plaisirs de la chair, quitte à s’y perdre à jamais…
En soignant ses cadrages et son éclairage, Lasse Braun sort enfin le hard européen de sa médiocrité visuelle et rivalise avec la vague porno chic américaine. Mais tout artistique qu’il soit, SENSATIONS reste un porno et comporte son lot de scènes chaudes, avec une montée en puissance de celles-ci à mesure que son héroïne s’abandonne.
Margaret est incarnée par la jolie Brigitte Maier, ex playmate de Penthouse et égérie, sous contrat d’exclusivité, du réalisateur. Le film s’offre également la présence de la sculpturale Frédérique Barral, de la charnue Véronique Monet (qui participe également au scénario) et de l’étrange Dawn Cumming. A noter, la présence de l’écrivain masochiste Jan Wilton (Sylvia Bourdon est responsable du casting) dans le rôle d’un majordome dont l’une des mains est remplacée par un crochet métallique.
Remontons à présent le temps pour parler de FRENCH BLUE (1974), son premier long métrage, co-signé par Falcon Stuart. Initialement titré PÉNÉTRATION, il s’agit plus d’un documentaire, sur Braun lui-même et son univers, que d’un film. Nous assistons au tournage d’un loop, CLOSE UP, pour lequel Lasse Braun décide de filmer une double pénétration anale, idée originale mais difficile à mettre en pratique. Les ennuis commencent lorsque les deux comédiens, Nico Tierlier et Willy Braque, ont des difficultés à maintenir une érection en même temps. La serviable Dawn Cumming apportera son concours pour remédier à ce problème. Puis, il faut trouver la bonne position, celle qui va permettre de réaliser cet exploit tout en laissant un champ de vision suffisant pour imprimer l’acte sur la pellicule… Le tournage se déroule dans la bonne humeur : Willy, ancien cascadeur, proposera quelques bonnes idées pour relever le défi, Nico fait le clown après avoir fumé un joint et Brigitte Maier, souriante et détendue, se prête à toutes les exigences de son Pygmalion…
Le relatif suspense est maintenu par l’insertion régulière de loops, à tendances humoristiques pour la plupart, au sein desquelles l’amateur éclairé reconnaîtra les futures exhibitionnistes de Davy, Claudine Beccarie et Sylvia Bourdon. Bonheur suprême, l’ouverture du film se fait par un cartoon, coréalisé par le dessinateur Siné, jouissif par son côté férocement anticlérical et antimilitariste. Bref, FRENCH BLUE est une bande surprenante, pas franchement excitante, mais diablement sympathique.
Passons maintenant à BODY LOVE (1976) dans lequel un couple de châtelains libertins préparent une orgie pour que leur fille, Martine, puisse y perdre sa virginité avec panache. Si esthétiquement le film est assez léché, les scènes hard sont de factures plus classiques et loin des sensations provoqués par ses premiers opus… Du moins durant une cinquantaine de minutes, au terme desquelles le talent de Braun refait surface, lors d’une longue séquence orgiaque où des corps immobiles s’animent progressivement pour se confondre et s’articuler dans un frénétique ballet sexuel au contact de la jeune pucelle. Rythmée par une partition originale du grand compositeur de musique électronique Klaus Schulze (ancien membre de Tangerine Dream), cette scène justifie à elle seule la vison du film.
Autre atout majeur de BODY LOVE, Lolita Da Nova, jeune starlette étonnante qui joue le rôle de Martine. Physiquement moins sensuelle que Brigitte Maier, elle parvient pourtant à susciter rapidement l’excitation par son côté innocemment pervers. Pour la petite histoire, après quelques autres pornos de moindre qualité, elle fera une superbe carrière de chanteuse sous son vrai nom, Catherine Ringer, sans jamais renier son expérience dans le hard. Notons encore la présence au générique de deux acteurs accoutumés au genre, mais toujours marrant à voir, Jacques Gateau et Carmelo Petix.
Pour en finir avec l’univers cochon de Lasse Braun, régalons nous avec une trentaine de loops qui, malgré l’absence de son, restent très plaisant à regarder. Tournés pour la plupart bien avant les longs métrages évoqués ci-dessus, dans la clandestinité, ils sont en quelque sorte la carte de visite de leur réalisateur. Regroupés par séries thématiques aux titres équivoques (Deep Arse, Wet Sex, Casanova, Tropical, Love in Scandinavia…), ils témoignent du travail d’orfèvre de Braun à ses débuts pour s’imposer sur le marché, et viennent confirmer tout le bien que l’on pensait du bonhomme.
Aujourd’hui, Lasse Braun ne tourne plus mais se consacre à son site web et à l’écriture. Son roman historique, Lady Caligula, sur les mœurs dissolues de l’ancienne Rome, est en cours de traduction dans le monde entier. Peut être le début d’une nouvelle carrière pour ce personnage hors norme…


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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