L’au-delà

Un texte signé Patrick Barras

Italie - 1981 - Lucio Fulci
Titres alternatifs : E tu vivrai nel terrore! L'aldila, The beyond
Interprètes : David Warbeck, Catriona MacColl, Veronica Lazar, Al Cliver, Cinzia Monreale, Antoine Saint-John

1927, Nouvelle-Orléans. Schweick, un peintre, est lynché dans sa chambre d’hôtel par un groupe de « bons citoyens » de la ville qui l’accusent de sorcellerie. Ce qui vaut à l’artiste un calvaire et une mise à mort particulièrement longs et sadiques, c’est d’avoir découvert que l’établissement qu’il habite est bâti sur une des sept portes de l’enfer disséminées sur terre, d’avoir pu entrevoir cet enfer et en revenir, mais également d’avoir osé peindre l’inquiétante vision qu’il a eu de l’au-delà.

Une cinquantaine d’années plus tard, une jeune femme, Liza (Catriona MacColl), qui vient juste d’hériter de l’hôtel se met en tête de le rénover. Dès le début des travaux, une suite d’accidents pour le moins inexplicables frappe des ouvriers, avant de toucher également le personnel qui est curieusement rattaché au lieu depuis des lustres. Rapidement, la route de Liza croise celle d’Émilie (Cinzia Monreale), une aveugle énigmatique qui la met en garde contre cette bâtisse et lui conseille vivement de ne pas s’y attacher. C’est d’ailleurs Émilie que l’on aperçoit chez elle lors du lynchage de Schweik, exempte de toute cécité, en train de lire un livre de sciences occultes – le livre d’Eibon – qui mentionne l’existence des sept portes infernales. Le fait est que cinquante ans plus tard, mis à part des yeux aux pupilles blanches et opaques, le temps semble n’avoir eu aucune prise sur elle…

Quand ses craintes naissantes concernant l’étrangeté et le caractère maléfique de son hôtel se concrétiseront et se confirmeront du fait, entre autres, d’une apparition terrifiante du cadavre de Schweick, Liza trouvera un soutient auprès de John (David Warbeck), le médecin venu au départ soigner un des ouvriers victime d’un accident. Si dans un premier temps celui ci est dubitatif quant aux allégations de la jeune femme, il devra bien se rendre à l’évidence quand au sein même de son hôpital des événements bizarres se dérouleront également et que les cadavres se réveilleront…

Une fois de plus, la genèse de L’AU-DELÀ ressemble à l’annonce d’un « tapis » de la part d’un joueur de poker qui n’a pas encore toutes ses cartes en main. En effet, le producteur Fabrizio De Angelis ne dispose à la base que d’un titre, du nom de Fulci et d’un projet d’affiche pour lancer son prochain produit sur le marché. De manière presque routinière (ça fera tout de même sept films au final…) c’est Dardano Sachetti qui se retrouve d’astreinte sur le script en un temps réduit, script auquel Fulci amène quelques touches et qui se retrouvera en partie remanié au tournage en fonction de certaines contraintes budgétaires. La routine, quoi. Et pourtant on se retrouve face à un métrage qui est un des fleurons de l’horreur des années 80.

Il est certain qu’à l’heure actuelle il est relativement difficile d’écrire quoi que ce soit de nouveau ou de pertinent sur le film sans risquer de ressasser les poncifs, d’éculer ou de galvauder les termes de « poésie macabre », « fantastique onirique », « cauchemar déstructuré » ou autres. Il est indubitablement plus intéressant de lire ou d’écouter Lionel Grenier en parler.
Néanmoins, en tant que spectateur lambda, ne peut on regretter l’absence de Fulci de nos jours (Mais non, on ne brandit pas le fameux « c’était mieux avant »…), où pour un IT FOLLOWS, par exemple, combien de remakes, de séquelles, préquelles et resucées diverses plus ou moins digestes (en forme de digests) ? Des produits alignés pour un public présupposé (voire sciemment soupesé) comme étant ignare et atteint d’inculture ou d’illettrisme cinématographique. Du spectateur considéré comme un simple consommateur à qui on peut allègrement refourguer du réchauffé, généreusement nappé d’une sauce clinquante, en terme d’effets spéciaux upgradés pour cadrer à un goût formaté, et des tics de mise en scène « tendance » tout aussi formatés et formatants.
Que la démarche apparemment cynique d’un Fabrizio De Angelis puisse se trouver contrebalancée un instant par le travail de quelqu’un de la trempe de Fulci est ce qui fait aussi l’intérêt d’un film comme L’AU-DELÀ. Il est autrement plus compliqué de réaliser une oeuvre de cet acabit que d’aligner de faux nanars, parce que c’est devenu finalement assez main stream de se bidonner devant des merdes qui ne sont souvent que de purs produits de marketing, sans même posséder l’alibi de l’amateurisme. C’est cette propension qu’a pu avoir le bonhomme à sauver à élever des montages mercantiles foireux qu’il convient d’estimer à sa juste valeur.
Il y a fort à parier que certains spectateurs gavés de CGI (coûteux et maîtrisés s’entend…) ricaneront devant la scène où des mygales, dont la moitié est maladroitement mécanisée, démantibulent le visage d’un malheureux tombé à terre et paralysé (nous étions déjà désolés en 1981…), ou devant d’autres où l’on sent que Gianetto De Rossi fait tout ce qu’il peut avec ce qu’on lui a alloué pour ses effets gore. Les faiblesses concernant les scripts et leur impact sur la structure narrative, les raccords à l’avenant, les ellipses abyssales, on connaît déjà. L’atmosphère qu’insuffle Fulci à l’ensemble suffit amplement à palier à tout cela. La scène finale, entièrement construite au pied du mur au vu des contraintes imposées par la production, celle où dans des plans muets tournés au ralenti, Liza réalise la vraie nature d’une Émilie ambassadrice coincée entre deux mondes, ou encore celle d’une gamine cernée dans une morgue par le magma sanglant provenant du visage de sa mère rongé par l’acide devraient conduire à une question. Que nous produirait à l’heure actuelle un Lucio Fulci doté de moyens décents et suffisants ?…
Alors certes, qu’il emprunte un peu trop aux succès de son époque (SHINNING, SUSPIRIA ou les films de zombies, injonction de la production oblige) ou donne dans l’auto-citation (Les énucléations, les lacérations à coup de chaines déjà vues dans LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME) est flagrant, mais pour le reste, la culture dont il fait montre par touches dans l’AU-DELÀ est aussi à prendre en compte comme corollaire de ses meilleures réussites. Le théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud (l’agression systématique détachée d’une simple structure narrative), la littérature avec le mythe Lovecraftien, le surréalisme, la peinture (que l’on se souvienne aussi des tableaux de Francis Bacon aperçus dans LE VENIN DE LA PEUR) contribuent à hisser définitivement le film un bon cran au dessus de la plupart des produits de l’époque.
Tiens, pour se faire vraiment peur, et si on imaginait la chose tournée par un Bruno Mattei ?…


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- Article rédigé par : Patrick Barras

- Ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Apocalypse now, Affreux, sales et méchants, Suspiria, Massacre à la tronçonneuse


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