Le bossu de la morgue

Un texte signé Philippe Chouvel

Espagne - 1973 - Javier Aguirre
Titres alternatifs : El jorobado de la morgue, Die Stunde der grausamen Leichen
Interprètes : Paul Naschy, Rosanna Yanni, Alberto Dalbes, Victor Alcazar, Maria Elena Arpon, Maria Perschy

Gotho est un homme contrefait, bossu et doté d’une intelligence limitée. C’est par contre un être sensible, utilisé comme factotum à l’intérieur d’une morgue située dans une petite ville de Bavière. Dans ce sinistre lieu, Gotho voit défiler les cadavres de patients décédés, que les médecins de l’hôpital n’ont pu sauver, et qui sont autopsiés avant d’être le plus souvent destinés à la fosse commune. Devenu au fil des années la risée et le souffre-douleur des étudiants en médecine, et suscitant au mieux l’indifférence des responsables de l’établissement, le bossu est épris d’Ilse, une malade qui est la seule personne à lui montrer de la compassion et même de l’affection. La jeune femme souffre de tuberculose, et malheureusement son mal est incurable. Lorsqu’Ilse décède, Gotho est inconsolable, refusant d’admettre sa mort. Il demande alors de l’aide auprès du Docteur Orla, un médecin renommé. Celui-ci poursuit des expériences scientifiques que la morale réprouve, et afin d’être en mesure de les continuer, il a besoin de l’aide de quelqu’un en qui il peut faire une confiance absolue, quelqu’un qui fera tout ce qu’il lui demandera, sans poser de questions. Orla promet alors à Gotho de ramener Ilse à la vie. En échange, Gotho va devenir l’exécuteur des basses besognes, aménageant un laboratoire secret pour le scientifique, mais surtout en lui ramenant des cadavres pour ses expériences.
Icône incontestable du cinéma fantastique espagnol, Jacinto Molina (alias Paul Naschy) s’est fait connaître grâce à son personnage de loup-garou dans LES VAMPIRES DU DR DRACULA, en 1968. Ce lycanthrope, répondant au nom de Waldemar Daninsky, il va l’incarner une douzaine de fois, jusqu’en 2004. Mais réduire l’acteur à ce seul personnage serait un tort, car l’acteur eut l’occasion, durant sa longue carrière, de se faire remarquer (dans le bon sens du terme) à travers bien d’autres rôles. Et celui de Gotho dans LE BOSSU DE LA MORGUE est assurément l’un de ses plus marquants.
Son personnage de bossu s’apparente à un mélange de plusieurs personnages issus de la littérature classique. En tant que serviteur difforme d’un savant fou, il est difficile de ne pas faire un rapprochement avec le mythe de Frankenstein. L’amour impossible entre un homme laid et bossu et une femme très belle évoque quant à lui le roman « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo.
Dans LE BOSSU DE LA MORGUE, les rôles positifs sont tenus par les personnages féminins. Ainsi, Ilse, lucide quant à sa santé déclinante, accepte la perspective de mourir avec beaucoup de courage et de lucidité. Frieda, la femme de Tauchner, le médecin associé à Orla pour ses expériences secrètes, est la première à deviner que les travaux d’Orla représentent un danger pour tout le monde. Enfin, Elke, médecin à l’hôpital, sera capable d’aimer Gotho physiquement, en faisant abstraction de son apparence pour ne retenir que ses qualités morales.
Côté masculin, par contre, le tableau est beaucoup moins reluisant. Scientifique mégalomane, policiers incompétents, internes en médecine alcooliques et obsédés sexuels et personnel hospitalier brutal s’entrecroisent tout au long du film, laissant au spectateur le sentiment que le monstre n’est pas forcément celui qu’on croit. Et pourtant, Gotho, malgré des traits de caractère incitant à le trouver sympathique, n’en est pas moins un être violent et surtout un meurtrier.
Javier Aguirre, le réalisateur, se fit connaître au début de sa carrière pour ses documentaires et des courts-métrages, domaines de prédilection qu’il n’abandonnera pas au fil des années, ce qui explique pourquoi on connaît peu ses longs métrages, la plupart n’ayant pas été exportés. Ses trois films les plus connus, il les a fait avec Paul Naschy. La même année que LE BOSSU DE LA MORGUE, il tourne LE GRAND AMOUR DU COMTE DRACULA, dans lequel Molina incarne le prince des ténèbres. Puis, en 1976, il met en scène EL ASESINO ESTA ENTRE LOS TRECE, un giallo en huis-clos inspiré du roman « Dix petits nègres » d’Agatha Christie, où Naschy n’a cette fois qu’un rôle secondaire, celui
d’un domestique.
LE BOSSU DE LA MORGUE, pour en revenir au film qui nous concerne, est une œuvre présentant un caractère anachronique. En effet, bien que se déroulant à l’époque du tournage (soit au début des années soixante-dix), son cadre ainsi que son ambiance (l’auberge, la morgue…) donnent l’impression d’avoir fait un bond dans le passé d’environ un siècle. Cela contribue à donner au film d’Aguirre ce côté gothique qui le rapproche par moments de certains films de la Hammer (les Frankenstein, notamment). Le jeu de Paul Naschy, quant à lui, évoque plus celui des acteurs du cinéma muet. On peut supposer que des personnalités comme Lon Chaney ont dû exercer une certaine influence sur la vedette espagnole.
Si LE BOSSU DE LA MORGUE souffre de quelques défauts au niveau du fond (l’enquête policière, absurde) et de la forme (quelques effets spéciaux grossiers), le film n’en est pas moins soigné dans son ensemble et possède une véritable atmosphère. Et bien que brassant plusieurs genres, du gothique traditionnel au Grand Guignol, en passant par un érotisme sulfureux rappelant certaines bandes dessinées d’Elvifrance (la nécrophilie et le fétichisme avérés de Gotho, les tendances sadomasochistes des patientes de l’hôpital, par exemple), il est à classer parmi les fleurons du film d’horreur ibérique de cette époque.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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