Le chevalier du château maudit

Un texte signé Stéphane Bex

Italie - 1959 - Mario Costa
Titres alternatifs : Il Cavaliere del castello maledetto
Interprètes : Massimo Serato, Irene Tunc, Luisella Boni, Pierre Cressoy

Un mystérieux cavalier noir (non, ce n’est pas Zorro) soutient les paysans dans leur lutte contre Ugone, le « Bâtard » qui a emprisonné et fait passer pour mort Duc Olivier, le souverain légitime du duché et bien aimé de ses sujets. Aidé par sa maîtresse Fiamma, Ugone veut épouser la comtesse Isabella, fille d’Olivier et ainsi s’emparer du duché. Le chevalier noir parviendra-t-il à contrecarrer l’ascension de l’infâme Ugone ?

Ouvrant en fanfare la nouvelle collection « Chevalerie » du catalogue Artus, on nous trouvons le CHEVALIER DU CHATEAU MAUDIT réalisé par Mario Costa et sorti en 1959, sous le label de la Romana Films, grande pourvoyeuse de péplums et de films d’espionnage et d’action dans les années 50 et 60. Costa, essentiellement connu pour son dernier film, LE GOUT DE LA VENGEANCE (LA BELVA, 1970), un western âpre et brutal, et auteur de nombreux drames et comédies, signe avec cette œuvre un tournant dans sa carrière. Succédant au CHEVALIER DU CHATEAU MAUDIT, PRISONNIERS DE LA TOUR (I REALI DI FRANCIA), LA REINE DES PIRATES (LA VENERE DEI PIRATI) ou encore LA BATAILLE DE CORINTEH (IL CONQUISTATORE DI CORINTHO) vont en effet confirmer le goût de Costa pour le film de cape et d’épée et le péplum dont on trouve ici les prémices. En bon élève, Costa tente donc ici pour son premier essai de retrouver l’esprit romanesque et bondissant qui anime les réalisations de Richard Thorpe au cours des années 50 (IVANHOE, LE PRISONNIER DE ZENDA, LES CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE, LES AVENTURES DE QUENTIN DURWARD).
Las : le cinéaste transalpin n’arrive pas à la cheville de son modèle. Le rouge éclatant sur lequel se déploient les lettres gothiques du générique laisse espérer un moment le flamboiement du technicolor de Thorpe mais en vain : l’art du chef opérateur Augusto Tiezzi – que Mario Costa retrouvera d’ailleurs dans PRISONNIERS DE LA TOUR – consistera ici à opposer le monde des paysans (couleur terreuse ; ambiance nocturne) et celui plus bariolé de la cour (chatoiement mitigé des étoffes de la cour ; lumière diurne), dichotomie qui ne sera abolie qu’une seule fois, à l’occasion d’une visite impromptue de la comtesse chez les sujets de son père.
De même, les combats bondissants et les chevauchées épiques de Thorpe laissent ici la place à des batailles mollassonnes et sans grande conviction comme à des poursuites qui avortent immédiatement. Et il faudra attendre presque la fin du film pour que l’on ait droit à de véritables affrontements se déroulant entre le mystérieux chevalier noir et quelques gardes. On est cependant loin des acrobaties des sémillants Stewart Granger ou Robert Taylor. Ici les épées se font lourdes, les gestes maladroits, les duels balourds. Costa se montre si empêtré dans le réglage des scènes de groupe et d’action que l’on voit des ennemis s’effondrer sans qu’on les touche et les paysans qui les affrontent avec des haches tremblantes improviser comme ils peuvent pour maintenir la tension devant l’inertie grotesque de chevaliers censément aguerris.
Heureusement, les acteurs tiennent ici avec une certaine justesse leur partition. On remarquera ici la prestation très honnête de Massimo Serato – qui retrouvera Mario Costa dans LA REINE DES PIRATES – dans le rôle du fourbe Ugone, à la barbe rusée et au langage duplice. Pierre Cressoy, qui s’est illustré au cours de sa carrière italienne dans le péplum avec DAVID ET GOLIATH ou le western spaghetti avec NAVAJO JOE prend ici le rôle du jeune premier, honnête et blond, unissant les vertus du poète et du chevalier, occasion d’offrir quelques tirades mémorables qui sont à l’amour courtois ce que les discours de Michael Bay et de ses héros sont à l’art oratoire. Luisella Boni dans le rôle de la Comtesse Isabella n’offrant rien de remarquable, il reste à la belle Irène Tunc, dans le rôle de l’amoureuse et jalouse Fiamma, la charge d’emporter le film, ce dont elle se charge avec un certain brio : passant tour à tour de la complainte de la femme délaissée à la colère de la maîtresse trompée, elle se détache largement au-dessus des autres rôles. Conservant la beauté de son plus grand rôle dans L’ESCLAVE D’ORIENT (AFRODITE, DEA DELL’AMORE) où elle côtoie déjà Massimo Serato, elle illumine le film de son port royal et de son regard glissant vers des profondeurs sentimentales qui sauvent nombre de scènes d’une fatale médiocrité. Hélas, voilà une flamme qui s’est malheureusement éteinte bien trop tôt.

Que reste-t-il donc à sauver de ce film, hors le duc Olivier croupissant dans une prison et occasion pour Ugone d’exercer son chantage sur la belle Isabella ? Peut-être cette vision d’un Moyen Age auquel fait écho une Italie contemporaine soumise aux tribulations politiques : la révolte des paysans contre le lourd tribut que leur impose Ugone n’est pas en effet sans rappeler la grogne des petits agriculteurs qui fit tomber – avec l’alliance des milieux d’affaire – Amintore Fanfani, le secrétaire général de la Démocratie chrétienne en 1959. Comme quoi les happy ends de cinéma n’ont pas toujours tort et les petits peuvent l’emporter aussi !


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- Article rédigé par : Stéphane Bex


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