Le colosse de New-York

Un texte signé Philippe Chouvel

Etats-Unis - 1958 - Eugène Lourié
Titres alternatifs : The Colossus of New-York
Interprètes : John Baragrey, Mala Powers, Otto Kruger, Ross Martin, Robert Hutton, Charles Herbert

Dans la famille Spensser, inutile de chercher des cancres… Au contraire, on ne compte que des cerveaux brillants. William, le père, possède la double étiquette de neurochirurgien et d’atomiste. Le fils aîné, Henry, est un éminent électronicien. Enfin, son frère Jeremy, qui travaille sur la résistance des plantes au gel, vient de se voir attribuer le prix Nobel de la paix. Des travaux qui pourraient résoudre les problèmes de la faim dans le monde, ce qui explique pourquoi Jeremy Spensser se trouve sous le feu des médias. Hélas, le destin se montre particulièrement cruel, lorsque le prix Nobel en question se fait renverser par un camion. Un accident fatal, la mort est instantanée. Mais William refuse l’évidence et fait transporter son fils dans son laboratoire, où il tente le tout pour le tout. Si le neurochirurgien n’a pas le pouvoir de ressusciter son fils, il parvient néanmoins à extraire son cerveau et à le préserver dans une solution chimique. Ceci en secret, personne dans la famille n’ayant été mis dans la confidence. Le temps passe, et William Spensser reste confiné dans son laboratoire, refusant toute visite. Son but est de construire un corps qui pourra accueillir le cerveau de Jeremy. Le savant y parvient, mais quel sera le prix à payer ?
La question est posée : le corps et l’esprit sont-ils indissociables ? La transplantation du cerveau a été un sujet récurrent dans le cinéma fantastique (LE CERVEAU QUI NE VOULAIT PAS MOURIR, LE RETOUR DE FRANKENSTEIN, L’HOMME AU CERVEAU GREFFE), et au regard de ces œuvres, le verdict est sans appel : l’homme, aussi intelligent soit-il, n’est pas l’égal de Dieu. Sans âme, nous sommes tous des monstres, tel est le message délivré par le réalisateur du COLOSSE DE NEW-YORK, Eugène Lourié.
D’origine russe, Eugène Lourié (1903-1991) émigre en France peu après la fin de la première guerre mondiale. Il oriente assez vite sa carrière dans le cinéma, d’abord comme décorateur (il travaillera notamment pour Jean Renoir), puis comme directeur artistique lorsqu’il part aux Etats-Unis, en 1941. Mais on lui doit également quatre films en tant metteur en scène, tous à connotation fantastique : LE MONSTRE DES TEMPS PERDUS (1953), LE COLOSSE DE NEW-YORK (1958), BEHEMOTH THE SEA MONSTER (1959) et GORGO (1961).
Le gigantisme est donc pour Lourié un thème de prédilection, auquel LE COLOSSE DE NEW-YORK ne fait pas exception. Car l’enveloppe physique que revêt l’esprit de Jeremy Spensser est celle d’un géant de métal. Il s’agit en réalité d’un corps grossier n’ayant rien d’humain, ou presque. Sa démarche et maladroite, ses gestes le sont tout autant. Le génie de Jeremy est prisonnier d’une carcasse métallique privée de ses cinq sens. Et paradoxalement, ironie du sort, il se met à développer une forme de sixième sens, une clairvoyance qui pourrait être salutaire. Mais un être qui souffre, ne peut plus aimer sa femme, serrer son enfant dans ses bras, se nourrir, vivre comme avant, voit inéluctablement sa raison vaciller.
La science a ses limites, vaste débat que Mary Shelley avait exposé dans son célèbre roman « Frankenstein », et qui fut exploité par la suite au cinéma en de maintes occasions. On ne compte plus les films mettant en lice des savants fous, mégalomanes, ou refusant tout simplement l’échec. Eugène Lourié, dans son œuvre, confronte un père égoïste voulant à tout prix que le monde profite du génie de son fils, et celui-ci qui souffre tellement au point de vouloir qu’on le détruise.
C’est Ross Martin, le fameux Artemus Gordon de la série LES MYSTERES DE L’OUEST, qui incarne le malheureux Jeremy Spensser. Il avait auparavant joué dans un autre film de science-fiction, LA CONQUETE DE L’ESPACE de Byron Haskin. Le rôle de William Spensser est tenu par un ancien acteur du muet, Otto Kruger, que l’on verra notamment dans LA FILLE DE DRACULA (1936) puis dans plusieurs films à succès comme LE TRAIN SIFFLERA 3 FOIS. A noter aussi la présence de Robert Hutton, aperçu dans LES CROCS DE SATAN et qui fut un acteur régulier de Freddie Francis, pour qui il tourna dans THEY CAME FROM BEYOND SPACE, LE JARDIN DES TORTURES, TROG et HISTOIRES D’OUTRE-TOMBE. Enfin, le petit Charles Herbert, âgé de dix ans à l’époque, fut souvent utilisé dans le créneau fantastique et horrifique. On put le voir la même année dans LA MOUCHE NOIRE, puis dans le 13 GHOSTS de William Castle. Il arrêtera prématurément sa carrière en 1968.
Un mot sur la partition musicale, très classique et essentiellement composée au piano. On la doit à Van Cleave, qui travaillera entre autres avec Byron Haskin (LA CONQUETE DE L’ESPACE, ROBINSON CRUSOE ON MARS) et William Castle (PROJECT X). Martiale, voire ennuyeuse, cette bande musicale aurait plutôt tendance à desservir un film qui manque déjà de rythme. Car avouons-le, LE COLOSSE DE NEW-YORK n’est pas vraiment spectaculaire. Les effets spéciaux sont plutôt limités, la faute à un budget assez restreint. Cela dit, de par son thème et le message qu’il véhicule, sa vision n’en est pas moins conseillée.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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