Le convoi de la peur

Un texte signé Paul Siry

USA - 1977 - William Friedkin
Titres alternatifs : Sorcerer
Interprètes : Roy Scheider, Francisco Rabal, Bruno Cremer, Amidou

Quatre hommes, en délicatesses avec la justice ou la pègre, doivent fuir leur pays respectif. Ils trouvent refuge dans un bourg crasseux et reculé d’un pays d’Amérique latine sous le joug d’une dictature. Leur impécuniosité les empêche de repartir de ce qui s’apparente de plus en plus à un enfer… Jusqu’à ce qu’une offre – dangereuse mais rémunératrice – se présente à eux : convoyer par route défoncée et sur 300 km une cargaison de nitroglycérine instable et prête à exploser au moindre choc.

En 1976, William Friedkin sort de deux succès consécutifs : FRENCH CONNECTION d’abord et ensuite L’EXORCISTE, qui a révolutionné le film de peur et le box-office. Auréolé de cette gloire nouvelle, il veut défricher de nouveaux territoires cinématographiques et tente l’expérience, à la mode en ces années-là, de se frotter aux difficiles conditions de tournage de pays qu’on n’hésitait guère à l’époque à qualifier de sous-développés.

Auparavant, Werner Herzog avait posé les jalons du genre avec son séminal AGUIRE, LA COLÈRE DE DIEU (1972, Tangerine Dream, alors embarqué pour la musique, signe d’ailleurs également celle de SORCERER). Pas dégoutté, il y reviendra avec FITZCARRALDO (1982). De son côté, Francis Ford Coppola va bientôt s’épuiser à son tour dans le palmé APOCALYPSE NOW (1979), dont les conditions dantesques de tournage feront l’objet plus tard d’un documentaire exceptionnel.

Friedkin va, lui, tourner à Paris, Mexico, Jérusalem et en république Dominicaine… et ce pendant une année entière. Un tournage qui fut, lui aussi, loin d’une partie de plaisir, émaillé de maladies, d’accusation de trafic de drogue à l’encontre d’une partie de l’équipe, d’explosion du budget, et rendu encore plus éreintant par le tempérament pour le moins difficile de son réalisateur. A l’instar des Herzog et Coppola précités, ce genre d’ambiance de plateau percole petit à petit vers le public qui en cristallise une version mythifiée qui pare le résultat du label culte, que corroborera l’échec commercial afférent.

Ce qui n’enlève, précisons-le tout de suite, rien au résultat artistique, maitrisé de bout en bout.

On a coutume de dire que le voyage vaut plus que la destination. C’est encore plus vrai dans cette histoire qui voit des pécheurs (meurtrier, terroriste, braqueur ou voleur en col blanc) tombés en purgatoire voyager vers la rédemption à travers l’épreuve. Une lecture christique – ou du moins moraliste – nous amène donc à une parabole. Il n’est que de voir les derniers plans, alternant la nuit bleutée et glaciale s’effacer au profit des plans rougeoyants du brasier, terminus de cette quasi ordalie.

Au plan du seul spectacle, on reste scotché par les séquences du voyage, qui créent une pure tension avec ses camions en ruine brinquebalants sur des nids de poule, ballotés sur des ponts déliquescent, soumis aux caprices et colères d’une mère nature bien peu maternelle.

Auparavant, William Friedkin aura pris le temps nécessaire à présenter assez longuement nos protagonistes, ou plus exactement à filmer la chute sociale de chacun d’eux. En rentrant ensuite dans le cœur de l’action, nous obtenons alors des personnages réellement forgés, et non ces évocations poseuses qui les remplacent dans trop de films contemporains prompts à sacrifier sur l’autel de l’efficacité et du tape-à-l’œil de pourtant bien nécessaires séquences dites « d’exposition ».

L’Amérique latine du CONVOI DE LA PEUR est une outrance. Au-delà même de la vision qu’on pouvait en avoir à l’époque, on ne trouve ici qu’un monde de pauvreté, de crasse, de misère, d’exploitation (par la junte militaire, et par le capitalisme dénué de scrupules qui s’y est allié), où la vie humaine n’a aucune valeur. On pointe d’ailleurs plus une idée abstraite, un fantasme d’Amérique latine, plutôt qu’un pays précis : à peine un bref plan de passeport indique—t-il au final la Colombie, sans même que ce soit nécessairement le lieu de l’action. Auparavant, le mafieux qui a aidé à exfiltrer le personnage de Roy Scheider annonce l’indétermination du purgatoire en lui assurant « n’avoir aucune idée de l’endroit où il sera envoyé ».

Le climax de tension est atteint avec une séquence – démente – de traversée d’un fleuve déchainé sur un pont vermoulu et branlant. A une époque où on ne pouvait même imaginer les truquages numériques contemporains, l’exploit impressionne.

LE CONVOI DE LA PEUR est certes une adaptation du livre « Le salaire de la peur » de George Arnaud, mais bien plus encore une nouvelle variation de l’adaptation de ce roman, après celle, excellente, réalisée par Clouzot en 1952.

Friedkin explique ne pas avoir voulu simplement refaire le film de Clouzot, lequel est remercié dans le générique final, mais bien avoir développé, sur le même canevas, de nouvelles péripéties, pour en changer l’approche. Ce n’est donc pas un hasard si le titre original – SORCERER – diffère radicalement de celui de son modèle.

L’échec du film au box-office – et l’origine française du modèle – pousseront le distributeur hexagonal à lui préférer un titre plus directement référentiel : LE CONVOI DE LA PEUR résonne en effet mieux en écho au SALAIRE DE LA PEUR originel. Le titre d’exploitation américain, SORCERER – le nom donné à un des camions de transport -, reste moins bien compris et a pu induire en erreur une partie de son public sur la nature du film.

Parabole, évocations visuelles outrées, séquence de tension efficaces, voire matamoresques, cheminement vers la folie, SORCERER se pare de tant d’atouts qu’on ne peut que se réjouir de le redécouvrir dans de bonnes conditions, suite à la ressortie en salle en 2015 et les rééditions sur supports vidéos (DVD et Blu Ray)


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- Article rédigé par : Paul Siry

- Ses films préférés : Requiem pour un massacre, Mad Max, Ténèbres, Chiens de paille, L'ange de la vengeance


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