Le Diable

Un texte signé Franck Boulègue

Pologne - 1972 - Andrzej Zulawski
Titres alternatifs : Diabel
Interprètes : Malgorzata Braunek, Iga Mayr, Monika Niemczyk, Wojciech Pszoniak, Leszek Teleszynski…

Des cris, de l’hystérie, du chaos, des meurtres sanglants, de l’inceste, de la folie, des massacres, des crises d’épilepsie, des suicides… voici les ingrédients de cette œuvre de jeunesse d’Andrzej Zulawski, le futur réalisateur, au style inimitable, tourbillonnant et brutal, de L’AMOUR BRAQUE et de POSSESSION. Tourné en 1972 dans une Pologne encore située de l’autre côté du Rideau de Fer, dans un climat politique difficile auquel le film fait directement référence à travers son intrigue tourmentée, LE DIABLE devra attendre la chute du Mur de Berlin avant de pouvoir être diffusé librement dans son pays d’origine. Mais alors qu’il avait dû batailler avec les pouvoirs publics sous le régime communiste, ce seront les autorités religieuses qui lui donneront du fil à retordre lors de sa projection sur les écrans de la Pologne post-1989.

Les régimes passent, la censure perdure…

L’action de cette œuvre dérangeante se déroule à la fin du XVIIIème siècle, au moment où les armées Prussiennes envahissent le pays dans un froid glacial, afin de l’annexer définitivement. Partout, le désordre règne en maître absolu – on court, on crie, on assassine. Surgi de nulle part, un étrange petit personnage vêtu de noir, boitant bas, pénètre dans un couvent où l’on retient prisonnier un certain Jakub, auteur d’une tentative d’assassinat sur le souverain du pays déliquescent. Il l’aide à sortir de sa geôle, à passer sans difficulté le barrage armé du nouvel occupant germanique, et lui confie une nonne pour l’accompagner dans sa fuite face à l’avancée des troupes.

Une fois parvenu à l’abris du choc des armées, Jakub s’interroge sur les motivations de son mystérieux sauveur, qui lui demande de le considérer comme une sorte de prêtre, désireux de lui faire découvrir les changements qui se sont déroulés durant son emprisonnement. Jakub prend alors conscience de la folie qui s’est emparée de ce qui fut son quotidien : son père s’est suicidé avant de mettre le feu à sa maison ; sa sœur, avec laquelle son père a eu des relations avant de mourir, est violentée par son nouvel amant, le demi-frère de Jakub ; sa mère se prostitue aux alentours, et organise d’étranges cérémonies érotiques à destination des possédants ; sa fiancée s’est mariée avec celui qui fut son meilleur ami et compagnon de conspiration…

Devant pareil amoncellement de nouvelles traumatisantes, le comportement de Jakub ne tarde pas à se dégrader. Il perd progressivement le contrôle de ses nerfs, devient la proie d’étonnantes crises d’hystérie. La surcharge d’informations dérangeantes provoque ainsi chez lui (de même que sur l’ensemble des personnages qu’il côtoie) de violents court-circuits synaptiques, générateurs d’irrépressibles attaques épileptiques. Et quand son mystérieux compagnon lui glisse incidemment un rasoir entre les mains, après lui avoir fait découvrir telle ou telle nouvelle abomination, il se transforme sans trop en avoir conscience en meurtrier possédé par le désir de purifier ce monde devenu fou.

Peut-être tout ceci est-il le résultat de sa tentative d’assassinat sur une tête couronnée ? Peut-être cet acte sacrilège l’a-t-il damné à tout jamais ? Et si le Diable du titre n’était autre que le compagnon boitillant de Jakub, toujours prompt à le pousser au meurtre, toujours disponible quand il s’agit de révéler le côté sordide de l’existence ?

LE DIABLE n’est pas un film d’horreur au sens strict, mais l’horreur est partout présente dans l’univers qu’il décrit. Les personnages sont torturés, physiquement et mentalement, la démence est omniprésente. La caméra virevoltante de Zulawski, qui colle au plus près de cette folie, transcrit parfaitement l’aliénation permanente des individus, dans un style qui n’est pas sans faire penser à certaines œuvres de Werner Herzog, elles aussi possédées (surtout celles avec Klaus Kinski au générique). Dans ce monde qui court à sa perte, hostile et froid, la dérive meurtrière de Jakub paraît dénuée de sens, étrangement en phase avec le cours de choses. On sort de ce film épuisé, exténué par la dépense d’énergie nerveuse saisie par le cinéaste. Tout ici est excessif, démesuré, travaillé par la folie et la pulsion de mort. LE DIABLE constitue donc un spectacle limite, sans concessions, qui séduit avant tout du fait de cette extravagance surréaliste typiquement Est-européenne.


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- Article rédigé par : Franck Boulègue

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