Le Diable dans le Sang

Un texte signé Patryck Ficini

Grande-Bretagne - 2008 - Julian Doyle
Titres alternatifs : Chemical Wedding
Interprètes : Simon Callow, Kal Webber, Lucy Cudden, Jud Charlton, Paul McDowell

Le sataniste Aleister Crowley (1875-1947) se réincarne dans un innocent professeur d’université. Le démoniaque magicien, semeur de chaos, va tout mettre en œuvre pour s’emparer d’une étudiante afin d’en faire sa promise…
On sait combien le rock, et plus particulièrement le hard rock et le metal ont toujours eu une attirance (sincère ou commerciale) pour le diable et le satanisme. Et notamment pour le célèbre Aleister Crowley, la « grande bête 666 », théoricien et précurseur en la matière. Qu’on se souvienne, avant les excès ont ne peut plus explicites du black metal, du Sympathy for the devil des Stones ou de la figuration de Crowley sur la pochette du Sergent Pepper des Beatles. Jimmy Page, des Led Zeppelin, fut un immense collectionneur et connaisseur de tout ce qui se rapportait au fondateur de l’abbaye de Theleme. Plus modestement, Ozzy Osbourne signa un Mr Crowley. Pas étonnant à bien y réfléchir : Crowley, c’était le sexe et la drogue, il manquait juste le rock n’roll…
L’intérêt pour Crowley touche vraisemblablement aussi Bruce Dickinson, le chanteur de Iron maiden (Moonchild !) puisqu’il a co-écrit le scénario du DIABLE DANS LE SANG (le titre original, CHEMICAL WEDDING, qui est aussi celui d’un album de Dickinson, se réfère à une pratique mystique de Crowley).
Dickinson, romancier et escrimeur à ses heures, est une figure attachante du heavy metal britannique qui en a plus dans la tête qu’un jugement hâtif pourrait le laisser supposer –ce jugement méprisant qui jette parfois l’opprobre sur les capacités intellectuelles des métalleux de tous poils. On se demande bien pourquoi ? Parce leur musique et leur univers manqueraient de subtilité ? Même ce point de vue superficiel se discute – du moins ailleurs qu’ici.
Aleister Crowley a inspiré des écrivains comme Sommerset Maugham, Leonardo Sciascia et, plus récemment Claudia Salvatori pour son roman d ‘espionnage Golden Dawn (du nom de la société ésotérique dont Crowley fur un membre actif avec des écrivains comme Bram Stoker ou Algernon Blackwood). Le cinéma lui-même s’en est largement emparé, comme on a pu le lire dans le magazine italien Amarcord n°14/15, avec des films comme BLUE BLOOD de Andrew Sinclair ou JEUX PERVERS de Guy Green.
Avec LE DIABLE DANS LE SANG, c’est cependant la première fois à notre connaissance que Crowley est le personnage central d’un film, d’une façon aussi franche. Habituellement, écrivains et cinéastes s’inspiraient de l’occultiste pour donner vie à d’autres mages noirs. Comme dans UNE FILLE POUR LE DIABLE, de Peter Sikes, d’après le spécialiste Dennis Weatley (et toujours selon Amarcord).
Crowley était un pré-sataniste qui pratiquait la magie sexuelle sans crainte de choquer la morale bourgeoise de ses contemporains. Crowley, profondément original (certains diraient complètement fou) parvint à être accusé d’être un sympathisant nazi tout en étant expulsé d’Italie par les chemises noires mussoliniennes et en proposant son aide à Churchill pour vaincre Hitler ! Tout est dit. Crowley fut un personnage complexe, contesté, discuté ; autant de qualités qui lui permettent d’exercer aujourd’hui encore un véritable pouvoir de fascination, bien au-delà des satanistes, sur tous ceux qui s’intéressent à ce qui réside derrière le miroir.
LE DIABLE DANS LE SANG a pour principale qualité de faire de la réincarnation de Aleister Crowley son personnage principal. Voire ce bonhomme lubrique, habillé comme un pimp de la blaxploitation, traquer la Femme écarlate (c’est ainsi qu’il surnommait ses maîtresses, en référence à la Bible) pour pratiquer avec elle un « mariage chimique » est un plaisir. Simon Callow, qui le personnifie, joue brillamment, parvenant à être excessif… sans en faire trop.
Au passage, le professeur d’université qu’il était urine sur ses étudiants (peut-être pas assez attentifs…), organise une partouze magique (bien filmée) et crucifie une prostituée qui l’a déçu sur la porte d’un bordel. Quand il n’allie pas masturbation frénétique et flagellation douloureuse !
Le Crowley du DIABLE DANS LE SANG est déchaîné et bien plus dangereux que son modèle. Sa devise, « Fais ce que tu veux », est un credo qu’il applique avec la ferveur d’un tueur en série !
Si le film de Julian Doyle ne s’égarait dans les expériences pseudo scientifiques de réalité virtuelle (on aurait préféré un retour de Crowley seulement surnaturel), ce serait mieux. On aurait aussi apprécié que Doyle joue parfois un peu moins sur les grosses ficelles du film d’horreur. Ceci dit, en l’état, le film n’en est pas moins aussi intéressant que la personnalité trouble, troublante et peut-être diabolique de Aleister Crowley. Géniale, enfin, l’idée de la réincarnation pour situer le film de nos jours… parce que la production n’avait pas les moyens pour un film d’époque ! Voilà le vrai esprit de la série B.


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà


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