Un texte signé Jérôme Pottier

Japon - 1973 - Toshiya Fujita
Titres alternatifs : Sweet scent of eros
Interprètes : Kaori Momoi, Hiroko Hisayama, Maki Kawamura, Chôei Takahashi, Hatsuo Yamaya, Hiroshi Gojô, Hajime Tanimoto, Yoshie Kitsuta

retrospective

Le Doux Parfum D’Eros

Le terme de roman porno est une trouvaille marketing de la société de production Nikkatsu, tout près de la faillite à la fin des sixties, c’est sous cette appellation qu’elle désigne les nombreux films érotiques qu’elle va produire à partir de 1971. Quelques réalisateurs vont alors s’imposer comme des spécialistes du genre, à l’image de l’acteur, producteur et réalisateur Toshiya Fujita. Un personnage singulier puisqu’il a réalisé des classiques dans différents genres et pour diverses firmes. Ainsi, pour la Toho, il signe en 1973 et 1974, un diptyque qui met en vedette la sublime Meiko Kaji : LADY SNOWBLOOD. Ces deux films, devenus des classiques du chambara, sont toutefois très éloignés de l’univers d’une autre bobine qu’il signe pour la Nikkatsu en 1973 : LE DOUX PARFUM D’EROS…
Deux couples de jeunes et un apprenti photographe singulier tentent de vivre en communauté dans le Japon des années 70. Les filles subviennent aux besoins des garçons à travers une triste vie professionnelle. Idéalistes, les mâles se rêvent artistes mais finissent par vilement exploiter des photos prises lors de leurs ébats…
Toshiya Fujita décrit, une fois de plus, des personnages à la marge qui se heurtent à un idéal brisé. Considéré comme un spécialiste du malaise de la jeunesse nippone, le cinéaste sociologue se fait ici anthropologue pour appuyer son propos. A travers l’observation de ces protagonistes en huis-clos il démontre, avec amertume, la fin d’un rêve. Les préceptes de la contre-culture hérités du mouvement hippie californien (et morts avec les exactions de la famille Manson) semblent se heurter non pas à l’exigüité des lieux mais plutôt au fait qu’ils soient d’anciens baraquements de GI’s, symboles d’une oppression passée encore prégnante. La victoire complète du capitalisme sur l’utopie socialiste est confirmée par la lente progression de ces individus qui se voudraient hédonistes. Au départ disciples de Paul Lafargue (LE DROIT A LA PARESSE) ils finissent par vendre des clichés de leurs ébats, ainsi, ils passent du statut de révolutionnaire à celui de vil exploiteur. Ils sont même ce qui se fait de pire puisqu’ils vendent le corps humain dans son expression la plus intime : la chair.
Une chair dont la beauté plastique contraste avec les supplications nées de l’oppression capitaliste, à l’image de la scène grotesque de décapitation d’un cochon vivant. Si la jouissance croise un surréalisme hérité du cinéma de Franju et Buñuel, elle est surtout un langage beaucoup plus puissant que la parole. Ainsi, lorsque le dialogue n’est plus possible, les corps prennent le relais. Malheureusement, même l’amour physique finira perverti par le consumérisme à travers sa marchandisation. Dès lors, le spectateur désarçonné comprend que ce qui intéresse le metteur en scène est la montée du désir. Il arrive à instaurer la fébrilité de l’excitation pré-coïtale malgré des discussions souvent aux antipodes du sujet. En d’autres termes, il fait fantasmer son public lors de discussions philosophico-marxistes, c’est dire la qualité de la réalisation !
A cette belle mise en images s’ajoute une interprétation au diapason. Hiroko Hisayama, déjà remarquée dans SAYURI STRIP-TEASEUSE (1972) de Tatsumi Kumashiro, deviendra une star du genre (on l’a revue récemment dans DEAD OR ALIVE II de Takashi Miike-2000). Autre habitué des pelloches de Kumashiro, Hatsuo Yamaya, bien connu des cinéphiles pour sa participation à QUAND L’EMBRYON PART BRACONNER (Koji Wakamatsu-1966), fait ici une prestation remarquée. La plus grande actrice du casting est sans conteste Kaori Momoi revue ensuite, entre autre, chez Akira Kurosawa (KAGEMUSHA L’OMBRE DU GUERRIER-1980) et Rob Marshall (MEMOIRES D’UNE GEISHA-2005).
Ce film demeure aujourd’hui d’une modernité absolue, aussi bien sur le fonds que sur la forme, à l’image de sa réalisation en osmose avec la bande originale (on peut même qualifier LE DOUX PARFUM D’EROS de long métrage free jazz). Cette bobine est très proche des INNOCENTS de Bernardo Bertolucci (2003), malheureusement si l’un de ces deux films doit passer à la postérité il y a fort à parier que le Toshiya Fujita sombre dans l’oubli, c’est là le triste destin du cinéma de genre!


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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