Le Fantôme de Milburn

Un texte signé Frédéric Pizzoferrato

USA - 1981 - John Irvin
Titres alternatifs : Ghost Story
Interprètes : Fred Astaire, Melvyn Douglas, Douglas Fairbanks Jr, John Houseman, Craig Wasson, Alice Krige, Patricia Neal

Ce film d’épouvante de prestige, réalisé par John Irvin en 1981, se base sur l’excellent roman « Ghost Story » de Peter Straub. Par la qualité de son écriture, le pavé littéraire de Straub s’impose comme une des meilleures histoires de fantômes existant, distillant une angoisse palpable par le biais de son atmosphère chargée de regrets et de culpabilité. Malheureusement l’adaptation cinématographique ne parvient que rarement à en restituer le climat terrifiant.
A l’époque de sa sortie le cinéma fantastique amorçait une grande mutation : les monstres du répertoire classique retournaient hanter leur crypte poussiéreuse et les acteurs de jadis cédaient la place à des adolescents bruyants et délurés. LE FANTÔME DE MILBURN, en dépit de ses nombreux défauts, s’inscrit pour sa part dans la tradition du fantastique classique hérité des décennies précédentes. Il bénéficie donc d’un certain charme suranné, celui généré par une production académique mais exécutée avec savoir-faire.
L’intrigue tourne autour de quatre vieillards habitant la petite ville de Milburn ayant fondé un club « La Société de la Chaudrée ». Chaque semaine, ils se réunissent pour se conter des récits horrifiques en dégustant un cigare et un verre d’alcool et exorcisent par cette peur contrôlée leur sentiment de culpabilité. En effet, le quatuor cache un noir secret lié à la rencontre, 50 ans plus tôt, d’Eva, une belle jeune fille aux mœurs légères qui les avaient séduits tour à tour.
LE FANTÔME DE MILBURN bénéficie tout d’abord d’un casting impressionnant dominé par quatre vétérans d’Hollywood âgés de 80 ans. Fred Astaire, qu’on ne présente plus, retrouvait enfin un premier rôle après plus de 20 ans d’apparitions en « vedette invitée » comme dans LA TOUR INFERNALE pour lequel il fut nominé à l’Oscar même si, incroyablement, l’acteur ne reçut jamais la récompense suprème.
John Houseman, lui, fut alternativement producteur, écrivain, cinéaste, enseignant d’art dramatique et acteur. Il reçut nombre de récompenses dont l’Oscar du meilleur second rôle et apparut dans deux films fantastiques célèbres : THE FOG et ROLLERBALL (nous parlons évidemment des originaux et non des récents remakes !).
Considéré comme un des meilleurs acteurs de sa génération, Melvyn Douglas côtoya lui-aussi nombre de talentueux metteurs en scène durant ses 50 années de carrière. Même si il se consacra surtout à la télévision à partir de 1960 il gagna deux Oscars et connut un regain de popularité peu avant son décès en jouant dans L’ENFANT DU DIABLE, LE LOCATAIRE et BIENVENUE Mr CHANCE (pour lequel il reçut sa seconde statuette).
Notre dernier doyen est Douglas Fairbanks Jr, une grande vedette de Hollywood dans les années 30, qui apparut dans des titres tels LE PRISONNIER DE ZENDA et incarna ensuite le rôle titre dans le SINBAD de 1947. Fils du légendaire acteur bondissant, Fairbanks Jr a pourtant vu son étoile décliner à partir des années 50, devant se contenter d’assurer la narration de longs-métrages ou d’apparaître dans des séries télévisées comme « La Croisière s’amuse » et surtout les 46 épisodes de « Douglas Fairbanks Jr présente ». LE FANTÔME DE MILBURN lui permit de revenir sur les grands écrans près de 35 ans après les avoir désertés.
Excepté John Houseman qui continua sa carrière jusqu’à sa mort en 1988, LE FANTÔME DE MILBURN fut donc la dernière occasion de voir briller sur une toile ces légendes d’Hollywood qui devaient hélas décéder peu après.
A côté de ces monstres sacrés Patricia Neal paraît presque juvénile même si, âgée de 55 ans à l’époque, elle avait déjà une longue carrière derrière elle, récompensée par un Oscar en 1969. Enfin, le solide Craig Wasson (vu ensuite dans FREDDY 3) complète la distribution en face de la superbe Alice Krige. Cette beauté venait de débuter dans LES CHARIOTS DE FEU et poursuit aujourd’hui encore une carrière diversifiée même si les amateurs de science-fiction la connaissent surtout pour son interprétation de la Reine Borg dans de nombreux épisode de la série télévisée « Star Trek The Next Generation », rôle qu’elle reprit ensuite dans la déclinaison cinéma STAR TREK PREMIER CONTACT.
Au niveau des solides professionnels, on retrouve au montage Tom Rolf, qui avait travaillé sur LA PORTE DU PARADIS et PROPHECY et qui gagna deux ans plus tard un Oscar pour L’ETOFFE DES HEROS.
La photographie de Jack Cardiff (réalisateur du fabuleux DERNIER TRAIN DU KATANGA) se révèle pour sa part une nouvelle fois splendide et les plans de Milburn sous la neige possèdent les qualités de tableaux évocateurs d’un passé trop longtemps oublié.
Enfin citons le légendaire Dick Smith en charge des « illusions de maquillages » et en particulier du corps pourrissant de la revenante.
Techniquement l’œuvre s’avère donc soignée et les grands noms ici rassemblés laissent rêveur. C’est justement ce qui rend l’ensemble un peu décevant tant le spectateur pouvait espérer un chef d’œuvre du fantastique.
Le scénario du FANTÔME DE MILBURN n’est pourtant pas mauvais mais l’intrigue de Peter Straub semble avoir été totalement vidée de sa substance. Difficile en effet de condenser un roman de 600 pages en un métrage d’à peine 110 minutes. Si la ligne narrative reste identique toutes les subtilités et sous-intrigues passent à la trappe. Plus grave, le climat de culpabilité, la sexualité réprimée des personnages et l’atmosphère de la petite ville disparaissent quasi totalement. Lawrence D. Cohen (responsable de l’adaptation de CARRIE qui récidiva ensuite en transposant pour la télévision des romans « Ca » et « Tommycknockers » de Stephen King) passe donc à côté de l’essentiel en se focalisant sur ce qui apparaît, dès lors, comme une banale vengeance d’outre tombe.
Heureusement, LE FANTÔME DE MILBURN garde un certain intérêt par le professionnalisme appliqué de sa confection. Les scènes de flash-back sont par exemple assez efficaces, en particulier celles détaillant la relation entre l’enseignant et la maléfique Eva revenue d’entre les morts. Vénéneuses, chargées d’un érotisme trouble et bien servie par l’interprétation de la très belle Alice Krige qui n’hésite pas à tomber la robe à plusieurs reprises, ces séquences sont peut-être les plus impressionnantes du métrage. A contrario la chute de Craig Wasson (en nu intégral) devant un écran-bleu des plus visibles aura dû mal à ne pas provoquer les ricanements des spectateurs.
Cinéaste éclectique mais souvent porté sur l’action pétaradante, John Irvin (LES CHIENS DE GUERRE, HAMBURGER HILL, LE CONTRAT) emballe donc ce FANTÔME DE MILBURN avec une certaine application mais sans parvenir à transcender le matériel mis à sa disposition. Le final tombe même complètement à plat et donne une triste impression de bâclé peu crédible (Fred Astaire se tire d’un accident de voiture spectaculaire sans une égratignure, le corps de Eva est découvert et sorti de l’eau en quelques minutes,…) venant gâcher un titre sinon honorable.
En dépit de sa peu flatteuse réputation, LE FANTÔME DE MILBURN constitue donc un honnête film fantastique qui saura divertir les amateurs de métrages confectionnés à l’ancienne. Mais, pour éprouver vraiment les frissons de l’angoisse, mieux vaut se replonger dans la lecture du chef d’œuvre de Peter Straub.


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- Article rédigé par : Frédéric Pizzoferrato

- Ses films préférés : Edward aux Mains d’Argent, Rocky Horror Picture Show, Le Seigneur des Anneaux, Evil Dead, The Killer

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