review

Le Fil de la Vie

Dans un monde d’Heroic Fantasy, LE FIL DE LA VIE raconte, à première vue, l’histoire classique de deux peuples qui se déchirent et s’entretuent. Ainsi, on trouve une scission manichéenne avec d’un côté les gentils et de l’autre les méchants. Ces derniers, cantonnés à l’extérieur du château, complotent et fomentent une rébellion…
Mais les apparences sont trompeuses et, très vite, on s’aperçoit que LE FIL DE LA VIE ne sera pas aussi simpliste et manichéen que prévu.
Celui qui s’attend à une histoire classique bêtement racontée par des marionnettes comprendra rapidement que la présence de ces protagonistes-là n’a rien de gratuit. D’ailleurs, tout est dans le titre du film : le fil de la vie. Ces petits personnages de bois sont tout à fait conscients d’être des marionnettes et ces fils représentent, pour eux, la Vie. A partir de ce point crucial, le film développe de nombreuses idées toutes plus étonnantes les unes que les autres, mais surtout un monde complètement nouveau, truffé de détails qui en font toute sa richesse. Par exemple, comment concevoir les portes dans un monde où les personnages sont reliés par des ficelles qui partent vers le ciel ? Pour empêcher les intrus de pénétrer dans l’enceinte du château, la présence de portes est inutile. Une simple barrière posée en hauteur empêchera une marionnette de passer. Imaginez alors à quoi doit ressembler une prison !
Certaines idées s’avèrent même troublantes puisque le film n’hésite pas à aller parfois assez loin dans le morbide. On pense aux ” sages à un fil ” dont la vie ne tient effectivement plus qu’à un unique fil qui ne retient plus que leur tête. Isolés dans une pièce sombre, leur bois est, de plus, très abîmé. Plus glauque, on évoquera ces marionnettes esclaves, qui ne servent qu’à fournir des membres sains aux soldats éclopés après des batailles.
Inutile de vous cacher que cette représentation est tout à fait fascinante, d’autant plus qu’elle s’accompagne d’une réflexion intéressante sur le Bien et le Mal.
Rares sont les films à prendre des risques dans ce domaine. Pour preuve, au début LE FIL DE LA VIE s’avère quelque peu troublant dans son parti pris que l’on pourrait résumer de la sorte : Dans un monde où le manichéisme est prôné, êtes-vous bien certains d’être du bon côté ? Les premiers personnages qui nous sont présentés se considèrent être du bon côté justement et le spectateur les accepte ainsi. Mais, lorsque le personnage principal envoie des sujets lui chercher une main de rechange sur un pauvre esclave, le doute s’installe !
En plaçant le centre de son intrigue et en la racontant du point de vue des ” méchants “, le film nous renvoie l’image de notre propre société. Ces marionnettes ont en effet de nombreux points communs avec nous. Tout comme nous savons que nous sommes des hommes, elles sont conscientes d’être des marionnettes, et, tout comme elles, nous sommes persuadés d’être les gentils. Parce qu’on leur a parlé de certains bouts d’Histoire en en oubliant d’autres, les personnes vivant dans la cité sont persuadées d’être les gentils confrontés à une menace grandissante qui grogne aux portes du palais. Parallèlement, nos héros n’hésitent pas à piller les propres corps de ceux auxquels ils refusent l’entrée dans le palais et qu’ils ont réduit à l’état d’esclaves. LE FIL DE LA VIE est ainsi une belle parabole des relations qu’entretiennent les pays civilisés avec ceux du tiers monde. Si elle n’a rien de très nouveau, le fait de plonger le spectateur du côté de ceux qui exploitent la misère a le mérite de le confronter à ses propres responsabilités.
Evidemment, LE FIL DE LA VIE n’est pas un film pour enfants et Anders Ronnow-Klarlund dresse une critique vive du monde occidental en utilisant les marionnettes dans un décor digne d’un conte d’Andersen. Malgré les moyens importants qui ont été mis en œuvre pour faire ce film et la présence des plus grands marionnettistes du monde, tout n’est malheureusement pas parfait. Certaines séquences ne sont pas toujours réussies comme la bataille finale par exemple, confuse et pas du tout impressionnante. De même, si la mort des marionnettes est toujours superbement mise en image, leur naissance, quant à elle, est un peu décevante. Il ne s’agit heureusement que de quelques détails car, pour le reste, LE FIL DE LA VIE est assurément un film magnifique. Les marionnettes, superbement sculptées et animées, évoluent dans de nombreux décors splendides (glace, désert, forêt ” enchantée “, sous la pluie…). La photographie très belle finit de transformer ce monde en un spectacle enchanteur. Un monde enchanteur mais également cruel, et le regard critique de Anders Ronnow-Klarlund sur notre monde apporte une vraie profondeur à ce film brillant qui évite avec éclat l’ineptie dans laquelle sombre pourtant 95% des films qui prennent la voie d’un cinéma original.

Share via
Copy link