Le jeu des sabliers

Un texte signé Angélique Boloré

Le héros du récit, Jern, est un jongleur exceptionnel… passé maître dans son art, mais assez instable. Il ne reste jamais longtemps au même endroit, employé dans le même cirque. Il se révèle désespérément attiré par les voyages interstellaires et le sentiment de liberté, ou peut-être d’urgence, qui va avec. Une nuit d’insomnie, sous la pluie, il rencontre Olym. Son contrat vient d’être racheté par le mystérieux vieillard. Ce dernier lui explique qu’il fait dorénavant partie d’un groupe qui va se lancer dans une quête.
A part lui, le jongleur de foire, l’équipe est composée d’une guerrière redoutable au symbiote parasite accroché à sa colonne vertébrale, d’un nain enfantin et pourtant réceptacle infaillible de tout ce qu’il entend et pour finir du vieil Olym, leur employeur.
Si les cartes ne semblent pas, ni toutes retournées, ni même toutes mises sur la table, le but de la quête est cependant, en ce qui concerne Jern, vite dévoilé. Il s’agit de récupérer, dans un lieu secret et dangereux, les sabliers du temps. Ces trois sabliers offrent l’immortalité à celui qui les détient. Nul ne peut les tenir longtemps sous peine d’en mourir, les talents de jongleur de Jern sont donc essentiels à l’opération. Pour atteindre les sabliers, les talents de la guerrière sont également évidents. En ce qui concerne le nain, son utilité est un peu plus floue, d’où des relations complexes, ambiguës voire peu saines entre les quatre membres du groupe.
Ainsi, Le jeu des sabliers présente au lecteur une quête, à l’image des romans d’heroic fantasy. Et bien qu’il s’agisse ici d’une quête « futuresque », le parallèle est vite trouvé.
Nous avons le vieux sage aux motivations alambiquées qui pourrait tenir le rôle du magicien. Parce qu’il lui prête une adresse et une force surhumaines en échange de son énergie vitale, la guerrière arbore un symbiote accroché à son dos mais cela pourrait tout aussi bien être un dragon apprivoisé. Pour le nain, ma foi, plus qu’une personne de petite taille, il pourrait faire partie du mythique grand peuple des nains fouisseurs.
Le jongleur ? Hum, voyons… C’est le héros ? En théorie, il devrait l’être. Sauf que Jean-Claude Dunyach parvient à présenter dans son histoire un personnage principal qui n’exalte pas franchement les foules. Voici dans ce récit la première entorse de l’auteur : son héros n’inspire pas grand-chose. Et ce n’est pas parce qu’il l’a avantageusement remplacé par l’entité groupe. En effet, même s’il éprouve bien quelques sentiments pour les uns ou les autres, le lecteur n’est pas transporté non plus… tout simplement parce que le groupe n’existe pas en tant que tel. Il n’y a pas de soutien, pas d’unité, pas de sentiments entre les membres de l’équipe, ou en tout cas, pas de « beaux » sentiments. Les motivations et envies secrètes de chacun forment une barrière contre l’empathie que pourrait ressentir le lecteur. Le procédé de l’auteur est ici un peu surprenant. Cependant, il réserve plus loin d’autres surprises à son lecteur.
Les personnages tendent donc des liens forts vers l’héroic fantasy et ses codes. Ce que Jean-Claude Dunyach sacrifie néanmoins à la science-fiction, ce sont les mondes visités. L’une des planètes, brûlante et ensablée, se révèle un bel hommage à Dune et l’œuvre de Franck Herbert. L’inspiration est évidente, les différences subtiles. Arborer des références à l’un des maîtres de la science-fiction, sans tomber dans la fade copie, c’est toujours plaisant pour le lecteur avide.
A ce point du récit, notre sympathique lecteur est envoûté par le récit, longuement préparé par les pages et péripéties précédentes. Il est cette fois totalement immergé dans l’histoire et c’est comme cela qu’il sombre dans la dernière partie du livre. Cette partie, totalement hallucinée, précipite le lecteur dans un monde de fantasmagorie délirante. Les décors, incroyables, aux sols perpendiculaires, aux pans verticaux, aux angles durs et tranchés, aux lignes fuyantes, délimitent un monde infernal, plein d’un vide terrifiant. La lumière, dure, incisive, aux couleurs monochromes met en exergue les obscurs dangers et cache dans les ténèbres les sombres menaces.
Cette fin de la quête de nos héros, totalement inattendue au vu de ce qui précède dans le récit et surprenante en science-fiction, présente un cadre halluciné à l’aboutissement de leur périple. En réalité, Jean-Claude Dunyach a réussi, avec de simples mots mis bout à bout, le tour de force de dépeindre de manière juste et précise un monde expressionniste délirant et cauchemardesque. Quelle belle prouesse littéraire !
En conclusion, Le jeu du sablier présente peut-être quelques longueurs, ainsi qu’éventuellement une défaillance dans le domaine de l’empathie. En effet, le lecteur peut facilement ressentir peu d’attachement vis-à-vis des personnages. Alors on peut dire que le tout n’est pas excellent, cependant il est indéniable que le lecteur sera surpris, déstabilisé, inquiété et finalement séduit.


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- Article rédigé par : Angélique Boloré

- Ses films préférés : Autant en Emporte le Vent, Les dents de la Mer, Cannibal Holocaust, Hurlement, L’invasion des Profanateurs de Sépultures

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