Un texte signé Alexandre Lecouffe

retrospective

Le manoir de la terreur

Prolifique mais discret artisan du cinéma populaire italien, Alberto De Martino a tourné une bonne vingtaine de films entre le tout début des années soixante et le milieu des années quatre-vingt. Œuvrant ouvertement dans un registre commercial où le style et l’originalité ne se sont pas vraiment de mise, Alberto De Martino a signé plusieurs bandes de bonne qualité, que ce soit dans le péplum (le solide PERSEE L’INVINCIBLE, 1963), le western (l’efficace DJANGO TIRE LE PREMIER, 1966) ou le film de gangsters (les très recommandables LE NOUVEAU BOSS DE LA MAFIA, 1972 et LE CONSEILLER, 1973). Opportuniste, il réalise dans les années soixante-dix L’ANTECHRIST (1974), démarquage non dénué de qualités de L’EXORCISTE de William Friedkin qui a triomphé au box office un an plus tôt et HOLOCAUSTE 2000 (1977), intéressante variation autour de LA MALEDICTION (de Richard Donner), autre gros succès sorti un an auparavant.

LE MANOIR DE LA TERREUR est la seule incursion d’Alberto De Martino dans le genre alors en plein essor du fantastique-gothique ; comme beaucoup de ses confrères italiens travaillant dans la série B, il utilise, pour la première fois en ce qui le concerne, un pseudonyme « américanisé » (Martin Herbert) afin de mieux vendre le film. Il a été largement coproduit par l’Espagne, tourné principalement dans ce pays d’où sont originaires la plupart des comédiens et certains techniciens ayant œuvré sur le film. Ce dernier, sobrement intitulé HORROR en version “originale”, ne doit pas être confondu avec LE MANOIR DE LA TERREUR, film d’épouvante peu mémorable réalisé en 1981 par André Bianchi.

Angleterre, 1884. Ses études terminées, Emily Blackford revient au château familial en compagnie de son amie Alice et de John, le frère de cette dernière. Le père d’Emily est mort dans un incendie peu avant, c’est donc Roderick, le frère de la jeune femme, qui accueille le trio avec à ses côtés des individus à l’allure inquiétante : Aleister, le majordome, Eleonore la gouvernante et un médecin magnétiseur. La nuit, Alice est réveillée par des cris effrayants ; dans une pièce en haut d’une tour, elle surprend Eleonore, une seringue à la main, auprès d’un homme au visage entièrement brûlé. Roderick avoue alors que Lord Blackford est encore vivant mais que l’accident l’a rendu fou et dangereux pour Emily car il est persuadé qu’une malédiction pèse sur la famille : si la dernière descendante ne meurt pas avant ses vingt et un ans, la dynastie Blackford s’éteindra…Emily doit atteindre l’âge fatidique dans quelques jours…

Le film est sorti au mitan de l’âge d’or du fantastique italien (1960-66), à une période qui a vu le succès des deux HICHCOCK de Riccardo Freda, la consécration critique de Mario Bava (LES TROIS VISAGES DE LA PEUR, 1963) mais aussi la production d’œuvres plus discrètes mais néanmoins passionnantes comme LA DANSE MACABRE (Antonio Margheriti, idem) ou LE MANOIR MAUDIT (Antonio Boccacci, id.) dont le film d’Alberto De Martino est assez proche par son exploitation du thème toujours alléchant « des filles et un monstre »…LE MANOIR DE LA TERREUR développe en effet dans sa première partie un arc narratif assez simpliste avec jeune femme (Alice) en nuisette (légèrement) transparente découvrant la cachette du monstre, jeu de cache-cache avec ce dernier, cris d’effroi à répétition de la part d’Emily…la routine ! Mais passé un premier tiers, le métrage gagne en densité dramatique et en force d’évocation : au thème-cliché de la belle pourchassée par la bête se mêlent des thématiques comme la corrosion familiale, la dégénérescence physique et psychique, la nécrophilie…Si l’on y ajoute qu’une séquence-clé située à la fin du film met en scène un enterrement prématuré (la victime bien vivante est filmée à travers le couvercle en verre de son cercueil), nul doute que LE MANOIR DE LA TERREUR va puiser son inspiration morbide du côté d’Edgar Poe. Quant à l’importance des divers états « parallèles » dans lesquels se trouvera Emily (sommeil forcé, somnambulisme, hypnose, cauchemar, hallucination) ils cristallisent bien les différentes humeurs dans lesquelles sont plongés beaucoup de personnages de l’auteur de « La chute de la maison Usher » auquel le film se réfère d’ailleurs plus particulièrement. L’autre aspect grâce auquel LE MANOIR DE LA TERREUR gagne en profondeur est son recours à un rythme narratif qui épouse la mélancolie profonde qui affecte Emily (Ombretta Colli, belle italienne que l’on a pu voir dans LA PLANETE ERRANTE d’Antonio Margheriti, 1966). Si l’on comprend en effet que la jeune femme est certainement victime d’une machination qui la plonge dans un état second (est-elle hypnotisée, droguée à son insu, empoisonnée ?), ses déambulations nocturnes et son détachement progressif de tout ce qui l’entoure nous la fait apparaître comme un personnage romantique et tourmenté. Une des plus belles séquences du film, empreinte d’un subtil romantisme noir, nous fait suivre Emily en robe de nuit blanche à travers les ruines d’une abbaye dont les arceaux cadrés en contre-plongée semblent emprisonner l’héroïne dans ce lieu emblématique de la famille Blackford.

Mais ce qui fait la véritable force stylistique du film d’Alberto De Martino provient à la fois de son utilisation efficace de tous les topos de l’univers gothique et de la mise en valeur de la topographie dans laquelle ils se développent. L’amateur retrouvera en effet la plupart des motifs constitutifs du genre habilement disséminés et parfaitement intégrés à l’intrigue : hurlements sinistres, nuits d’orage, corridors menaçants éclairés au chandelier, monstre défiguré et insaisissable, crypte, cachot, meurtre ou disparition mystérieuse…et plus encore ! Quant au cadre diégétique, c’est celui du château médiéval (et réputé hanté) de la Coracera, situé près de Madrid. Si plusieurs plans du film ont recours à des maquettes peintes ou à des décors, la plupart des scènes en extérieur et toutes les séquences en intérieur sont tournées dans ce magnifique « castillo » qui servit de décor gothique à de nombreux films d’épouvante tournés en Espagne (plusieurs bandes de Jess Franco dont LES MAITRESSES DU DOCTEUR JECKYLL, 1964). L’impressionnant édifice est parfaitement mis en valeur par une photographie noir et blanc de toute beauté due au chef-opérateur espagnol Alejandro Ulloa (le très chaud PERVERSION STORY de Lucio Fulci, 1969) qui a su capter et mettre en valeur l’âme du lieu, jusqu’à la buée s’échappant de la bouche des personnages évoluant dans cet environnement authentiquement glacial et glaçant !

LE MANOIR DE LA TERREUR n’est bien sûr pas exempt de défauts et l’amateur exigeant regrettera un manque d’audace concernant l’érotisme ou des images vraiment graphiques. Le scénario, qui a été notamment coécrit par le futur réalisateur Sergio Corbucci, ménage suffisamment de fausses pistes et la mise en scène autant de trouées stylistiques pour que ce quatrième essai d’Alberto De Martino, film rare et plutôt négligé, puisse être réévalué à sa juste et haute valeur.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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