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Le sang des immortels

Verfébro, planète insolite perdue au fond de l’espace, représente un maigre intérêt commercial. En effet, cette planète arriérée a été frappée de « Restriction Technologique » à la suite de mouvements indépendantistes virulents et meurtriers. Les autochtones étant très hostiles à l’invasion, il est interdit d’importer sur le sol de Verfébro une technologie trop poussée. C’est fait dans le respect des peuples à disposer d’eux-mêmes mais aussi dans le souci pratique de ne pas offrir à des fanatiques indépendantistes des armes de destruction massive.
Une forte colonisation en douceur s’avère également impossible car une immense forêt verdoyante et terriblement prolifère s’est lancée à l’assaut de la moindre surface disponible. Elle recouvre en réalité la totalité de la planète. Les hommes sont constamment dans l’obligation de défendre leurs installations contre l’agression incessante des plantes poussant leurs racines ravageuses dans le moindre interstice. Et quand il s’agit de passer au-dessus de l’océan, la Maréselva, cette jungle magnifique, déploie des trésors d’ingéniosité pour continuer à proliférer et coloniser l’immense étendue d’eau de mer.
Le personnage principal, Jemi, est un natif de Verfébro. Il a un temps côtoyé les indépendantistes mais les a aussi quittés. Accusé de tiédeur, il manquait apparemment de la ferveur autonomiste de base nécessaire. Pour se payer une place au soleil dans la tour blanche et aseptisée de la compagnie commerciale possédant la planète, il vend ses services à un groupe de quatre extramondiens venus des quatre coins de l’univers en quête du légendaire Drac. Comme toute créature mythique qui se respecte, celle-ci est merveilleuse. Son sang fournirait l’immortalité à celui qui le boit. La forêt impénétrable la cacherait en son sein et un peuple élu évincerait les impudents. Alors naturellement, avant d’approcher le saint des saints, il faut vaincre la forêt inextricable et aux moult dangers mortels.
Jemi est donc le guide autochtone et il conduit ses compagnons a priori sans états d’âme. Affer tient le rôle du mercenaire, froid et professionnel. Nemrod incarne le chasseur fortuné, présomptueux, calculateur et aguerri. L’anthropologue, Liaren semble être une femme dévouée et désintéressée alors que le dernier larron, Jok se révèle être un prêtre défroqué, aux motivations différentes, plus obscures et surtout aux forts relents mystiques.
Dans le roman de Laurent Genefort, la quête du divin Drac se construit comme tout récit épique digne de ce nom. Une fois notre groupe constitué, l’aventure s’articule autour de rencontres fortuites (comme par exemple les peuplades vivant sur des radeaux mécaniques au-dessus de la canopée). Elle dissémine ici et là des courses-poursuites échevelées (les indépendantistes, jaloux gardiens de l’intégrité de la sacro-sainte forêt). Elle jalonne l’affaire d’épreuves exténuantes comme lors de la migration aveugle et meurtrière des gozals (sorte de gnous terriens dans l’absurde migration mais de l’honorable taille d’un éléphant).
Au final, en ce qui concerne la quête, son but, les péripéties, le tout réserve peu de surprises. Les motivations des personnages, eux-mêmes des stéréotypes relativement peu développés, représentent un peu le point faible du récit. En revanche, les évènements, les actions, le fil de l’histoire intéressent au plus haut point le lecteur de science-fiction avide. Car heureusement, Laurent Genefort est un conteur assez doué pour permettre au lecteur de s’intéresser à l’action, au décor, aux détails qui fourmillent comme des vers sous l’écorce apparemment saine.
Verfébro est la quintessence de cet « enfer vert » que tout homme redoute et pourtant appelle de tous ses vœux. L’être humain moderne sait que cet environnement hostile conduirait à sa perte. Et pourtant, pour lui, la forêt unique, vierge, originelle, incarne la représentation ultime de ce jardin d’Eden perdu. Le récit de Genefort met en exergue cette dualité. Le lecteur, placé dans la peau de l’être humain technologique, civilisé, fort de son savoir et confortablement installé dans son mode de vie sécurisant et sans heurt, soupire après cette forêt effrayante, fascinante, impitoyable et magnifique.
En tout cas, c’est l’image, comme inscrite au fer rouge dans l’imaginaire du lecteur, qui reste après la lecture du roman. L’auteur a su décrire un monde différent et ensorcelant, surprenant et exigeant, magnifique et pourtant mortel.
L’histoire, la quête fantastique, les personnages, restent relativement convenus et peu surprenants. Cependant, ne pas s’encombrer d’originalité dans le caractère des personnages peut éventuellement permettre de se concentrer sur la peinture d’un monde différent. En tout état de cause, le livre Le sang des immortels tire toute sa force dans le monde qu’il dépeint.
En outre, cerise sur le gâteau de ce récit à tendance gentiment écolo, la fin de l’histoire de Laurent Genefort, très visuelle, porte la tension à son paroxysme. Le dénouement de la quête délivre angoisse et baisse de pression. Après les dernières pages, le lecteur pourra estimer que la chute l’a délivré, l’a déprimé, l’a ravit… quoi qu’il en soit, il s’agit là d’un beau choix.

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