Le spectre du Professeur Hichcock

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1963 - Riccardo Freda
Titres alternatifs : Lo spettro
Interprètes : Barbara Steele, Peter Baldwin, Leonard G.Elliot, Harriet White

Cinéaste phare du cinéma populaire italien des années 40 à 60, Riccardo Freda a excellé dans des genres aussi divers que le mélodrame (son adaptation du roman de Victor Hugo « Les Misérables » : L’EVADE DU BAGNE, 1948), le film de capes et d’épées (LE FILS DE D’ARTAGNAN, 1950), le drame historique (LE CHATEAU DES AMANTS MAUDITS, 1956) ou le péplum (qu’il relance en Italie avec SPARTACUS, 1953). S’il est également le premier à réaliser un film fantastique dans son pays (le matriciel LES VAMPIRES en 1956, co-réalisation avec son ami Mario Bava), il ne s’intéressera au genre qu’en d’assez rares occasions (CALTIKI, bande d’épouvante-sf à nouveau co-réalisée par Mario Bava ; MACISTE EN ENFER en 1962…). Son fameux « faux » diptyque L’EFFROYABLE SECRET DU DR HICHCOCK (1962) et LE SPECTRE DU PROFESSEUR HICHCOCK (1963) est parfois classé dans le « fantastique » alors qu’il s’agit de deux films appartenant au registre de l’épouvante et du thriller gothique dans lesquels les éléments surnaturels sont en fait des simulacres. Par ailleurs, les deux œuvres n’ont en commun qu’un même esprit macabre et le fait d’être incarnées par la « dark lady » du fantastique italien, la mythique Barbara Steele (le nom Hichcock, presque homonyme du réalisateur britannique et choisi comme accroche par les producteurs, n’apparaît pas dans le titre original du second « volet » qui nous intéresse ici).
Ecosse 1912. Le professeur Hichcock, ancien éminent médecin atteint de paralysie, vit reclus dans sa magnifique demeure victorienne, entouré de son épouse Margaret (Babara Steele), de son assistant le docteur Livingstone (Peter Baldwin) et de Kathryn, la sinistre gouvernante (Harriet White). Le professeur, adepte de spiritisme, expérimente aussi sur lui-même un traitement à base de curare qui, il l’espère, le guérira de sa paralysie. Mais Margaret, lasse de cet époux impotent et avide d’héritage, pousse le jeune docteur Livingstone dont elle est devenue la maîtresse à se débarrasser du Professeur…
La séquence d’ouverture du film synthétise en quelques plans tout ce que contiendra LE SPECTRE DU PROFESSEUR HICHCOCK, tant d’un point de vue narratif (tous les protagonistes sont réunis dans le lieu unique et fermé où se déroulera l’intrigue) que formel (lumière sombre, cadrage baroque, imagerie gothique et ambiance macabre d’une séance de spiritisme au cours de laquelle le malheur et la mort sont annoncés). Si le film a, au départ, recours à de nombreux topos de l’épouvante dont certains flirtent avec le fantastique (la voix d’outre-tombe de la séance médiumnique, les apparitions fantomatiques dont nous tairons l’origine…), Riccardo Freda oriente son récit vers le conte macabre où les éléments rationnels (fussent-ils horribles et criminels) et les motivations crapuleuses des personnages forment l’essentiel du dispositif. LE SPECTRE DU PROFESSEUR HICHCOCK s’apparente alors à un thriller gothique qui développe comme thème et motif essentiel celui du piège que l’on retrouve à la fois dans la topographie claustrophobe et labyrinthique de la demeure des Hichcock, dans le stratagème meurtrier des deux amants et dans les rouages d’une machination plutôt inattendue que l’on évitera de révéler ici. De ce fait, tous les éléments figuratifs ayant trait au fantastico-gothique (les apparitions du spectre, la crypte ornée de crânes humains, la vision d’un cadavre en décomposition avancée…) semblent avoir été convoqués par le réalisateur pour démontrer que la véritable horreur ne provient pas de ces visions doublement artificielles (utilisées par Freda comme leurres narratifs et par les personnages comme mécanismes d’un piège) mais de la monstruosité morale de ses protagonistes. Le film évoque alors un véritable « théâtre de la cruauté » (le quasi-huis clos et le nombre restreint de personnages renforcent cette idée) où la cupidité le dispute au sadisme dans un tourbillon de sentiments bas et d’actes vils. A ce titre, une séquence d’une violence graphique insensée (qui fut probablement écourtée par la censure de l’époque) décrit, dans le dernier acte du métrage, un meurtre à coups de rasoir filmé en caméra subjective du point de vue de la victime dont le sang coule sur l’objectif. A la fois stylisée et d’une rare brutalité, la scène préfigure clairement les mises à mort ritualisées et sanglantes du Giallo alors naissant. Au rayon des fulgurances, impossible d’ignorer la prestation hallucinée de Barbara Steele dont les yeux hypnotiques n’ont jamais été aussi immenses ; celle qui fut une belle et tendre victime dans L’EFFROYABLE SECRET DU DR. HICHCOK s’en donne à cœur joie dans le rôle d’une épouse cupide et criminelle. Si le film développe une remarquable atmosphère empreinte de romantisme morbide, sa structure un peu classique à base de mystère et de vengeance est cependant inférieure aux audaces révolutionnaires du précédent volet « Hichcockien » (le thème de la nécrophilie y était abordé, de façon subtile, pour la première fois au cinéma). Visuellement moins travaillé, ce second épisode délaisse les arabesques et la géniale déconstruction des lieux de son prédécesseur pour se concentrer davantage sur les personnages et nous livrer un opus qui frappe encore aujourd’hui par sa noirceur misanthropique. A redécouvrir d’urgence….


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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