Le Spectre Ecarlate

Un texte signé Vincent Trajan

USA - 1946 - William Witney, Fred C. Banon
Titres alternatifs : The Crimson Ghost
Interprètes : Charles Quigley, Linda Stirling, Clayton Moore, Kenne Duncan, I. Stanford Jolley

S’il est un genre tombé en désuétude depuis belle lurette, c’est bien celui du serial.
Né au temps du muet (entre 1910 et 1914), le serial est un style à part entière qui, à la différence de bien des séries, nécessite la vision, semaine après semaine, de tous les épisodes dont chacun est une étape “à suivre” afin d’appréhender l’histoire dans son intégralité. Avec le développement des salles de cinéma dans les villes américaines – mais aussi européennes –, le serial va littéralement exploser en exploitant la démarche du film policier (DICK TRACY CONTRE LE CRIME) ou en illustrant l’Aventure sous toutes ses formes (TRAIL OF THE TIGER, PERILS OF THE WILD…), si bien qu’on recensera vite plus de 275 productions américaines dès le début des années 30 et plus de 170 en Europe (dont ZIGOMAR ou FANTOMAS, en France).

Avec l’arrivée massive de la télévision dans les foyers américains vers le milieu des années 40, le serial va connaître un sérieux et irrémédiable déclin. Pourtant, c’est à cette période-là que Republic Picture sort THE CRIMSON GHOST (LE SPECTRE ECRALATE en Français), réalisé par Fred C. Banon et William Witney – ce dernier signera ici son dernier serial avant de ne se concentrer que sur des films de série B pendant tout le reste de sa carrière…
Et contre toute attente, le feuilleton va connaître un incroyable succès à l’époque, dans la mesure où il va représenter toute la quintessence du genre et concentrer à lui seul tout le savoir faire du serial, engrangé depuis des décennies. Ce succès trouvera même un écho de nos jours, puisque le masque du vilain (le “Crimson Ghost”) sera repris en tant que mascotte dans tous les éléments visuels du légendaire groupe punk, The Misfits (le masque du Spectre est en fait directement issu de la scène de “la mort rouge” du FANTÔME DE L’OPERA de 1925)

Considéré comme le premier serial de l’ère atomique (c’est-à-dire réalisé après l’envoi de la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki), THE CRIMSON GHOST va donc coller à cette “actualité” en mettant en avant la peur d’une menace atomique via le Cyclotrode, une arme de destruction massive, dont le Spectre Ecarlate et ses hommes de main cherchent à s’emparer pour dominer le monde…
Seul Duncan Richards (Charles Quigley – LES TROIS DIABLE ROUGES), criminologue de talent doublé d’un brillant scientifique et sa secrétaire Diana Farnsworth (la “White Pearl” des 40’s, Linda Stirling – THE TIGER WOMAN, ZORRO’S BLACK WHIP, MANHUNT OF THE MYSTERY ISLAND…) se dresseront sur la route du mystérieux Crimson Ghost pour contrecarrer ses plans diaboliques et le confondre.

Comme tout bon serial qui se respecte, THE CRIMSON GHOST va suivre à lettre le cahier des charges du genre et se construire autour de trois points principaux… et obligatoires :
– Le “MacGuffin”, c’est-à-dire le fondement de l’intrigue qui va motiver la lutte entre “les bons” et les “méchants”. Ici, c’est le Cyclotrode et les agissements terroristes du Spectre Ecarlate qui vont être le centre de toutes les attentions.
– Le fameux “Whodunit” : qui dirige la bande de malfaiteurs ? Qui est donc ce mystérieux Crimson Ghost, ennemi insaisissable, qui semble avoir toujours un coup d’avance ? Est-il dans le cercle étroit des amis de Duncan… ?
– Le “Cliffhanger” de chaque fin d’épisode qui se termine sur un climax haletant, puisque notre héro se trouvera toujours dans une situation inextricable et désespérée (passager d’un voiture qui tombe d’un précipice, inconscient dans un immeuble qui s’écroule etc.)
Et Même si on sait que Duncan s’en sortira dès le début du prochain épisode, il faut bien avouer que THE CRIMSON GHOST possède une qualité indéniable dans sa construction et dans la mise en œuvre du scénario, si bien qu’il est difficile de ne pas se prendre au jeu de ce feuilleton, qui affiche maintenant 65 ans au compteur.
Qui plus est, Fred C. Bannon et Wiliam Witney vont prendre un malin plaisir à mettre en œuvre d’innombrables rebondissements et brouiller les pistes en faisant évoluer le scénario à chaque épisode (l’ignoble vilain a mis au point un collier qui annihile la volonté de tous ceux qui le portent afin d’en faire ses esclaves…) et ce, pour donner à l’ensemble énormément de suspense.
Mine de rien, le duo de réalisateur va insuffler pas mal d’énergie à l’ensemble et toujours capter l’attention du spectateur, sans jamais se départir du fil directeur de l’histoire : comment arrêter les agissements du Spectre Ecarlate ?

Au fil de ses 12 épisodes menés tambour battant, THE CRIMSON GHOST va donc alterner retournements de situations, courses poursuite infernales (en extérieur), bagarres nerveuses (en intérieur) et enquête policière pour faire échouer les plans machiavélique du Spectre Ecarlate afin de le démasquer (il faudra bien entendu attendre les dernières secondes du dernier épisode pour ça…).
Evidemment, THE CRIMSON GHOST possède son lot de ficelles grosses comme des vérins de levage ou des situations totalement illogiques (le Spectre Ecarlate tente de mettre la main sans succès sur le Cyclotrode dès le premiers épisode, puis annonce dans le suivant qu’il peut en construire un, sans aucun problème), mais force est de constater que le charme désuet de ce serial et le manichéisme du combat du bien contre le mal absolu fonctionnent plutôt bien.
De plus, THE CRIMSON GHOST va réussir un habile mélange des genres en mixant allègrement intrigue policière, action, romantisme, science-fiction et thriller, pour se poser comme un serial franc du collier qui tiendra en haleine le spectateur.

Au final, THE CRIMSON GHOST s’avère être un serial de qualité qui rassemble en son sein tous les meilleurs ingrédients du genre – même s’ils sont convenus –, transcendés par un super vilain masqué qui aura marqué à jamais pas mal d’esprits (dont ceux de Glenn Danzig et Jerry Only lors de la formation des Misfits).
Depuis quelques temps, les historiens du cinéma semblent s’intéresser de nouveau à ce sous-genre du septième art, qui a si souvent été décrié du fait de sa “ringardise”, afin de remettre au goût du jour les séries désuètes d’antan… mais toujours empreintes d’une aura indéniable. THE CRIMSON GHOST en est d’ailleurs un parfait exemple !


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- Article rédigé par : Vincent Trajan

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