Le Temple des oies sauvages (1962) – Drame vénéneux

Un texte signé Sophie Schweitzer

Japon - 1962 - Yuzo Kawashima
Interprètes : Ayako Wakao, Kuniichi Takami, Ganjirō Nakamura

L’adaptation du roman noir japonais noir Le Temple des Oies Sauvages est un film provocant et sulfureux qui permet à son réalisateur, Yuzo Kawashima, de tisser une satire de la société japonaise des années 30.

À la mort de son protecteur, un célèbre peintre, une jeune femme se retrouve sous la coupe d’un bonze concupiscent, son nouveau bienfaiteur. Rapidement, elle se prend d’affection pour Jinen, l’apprenti moine que le prêtre ne cesse de rabrouer. Mais ce dernier semble cacher un lourd secret.

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Adaptation d’un célèbre roman

Basé sur le sulfureux roman éponyme de Tsutomu Minakam, Le Temple des Oies Sauvages est un film provocant pour le cinéma japonais de l’époque. En montrant un clergé corrompu, vicié, occidentalisé, le réalisateur de La Bête Élégante et de Les Femmes Naissent Deux Fois porte un regard critique sur son pays.

En situant son histoire dans les années 30, il oppose une classe dirigeante idiote, autoritaire et sadique à une classe populaire écrasées par la pauvreté qui doit subir les pires humiliations et tourments imposés par ceux qui ont tout. Le pauvre disciple se voit promettre un futur meilleur pour mieux endurer le présent difficile et le passé insurmontable. Quant à la jeune courtisane, elle sait son existence fragile, dépendante uniquement d’hommes voraces.

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Satire sociale

S’il y a des marques de modernisation, d’occidentalisation à travers un appareil photo argentique, des photographies d’art, un lit double avec montant en bois, cela reste un luxe dont est exclu Jinen et dont la jeune femme peut profiter, mais uniquement à travers des hommes plus riches qu’elle et qui ont un droit de regard sur son existence.

Enfin, le film évoque la spiritualité et la foi. Celle vacillante des prêtres et des garants de la religion qui préfèrent se payer des courtisanes et de l’alcool plutôt que prier, qui négligent leurs devoirs et leurs responsabilités. À l’inverse, le disciple, lui, est la proie de ses superstitions. Le secret qu’il cache le dévore et on finit par comprendre que, s’il est si tourmenté, c’est par la foi qu’il y accorde.

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Des personnages touchants

Avec un tel contexte, il n’est pas difficile de songer aux Misérables de Victor Hugo ou encore à L’Assommoir de Zola et, de manière générale, à l’univers de ses romans, tant le film adopte le point de vue de personnages vivant dans la misère ou s’en étant échappés de justesse. La courtisane a beau profiter du luxe que lui offre son protecteur, elle n’oublie pas ses origines que, de toute façon, Jinen lui rappelle sans cesse.

Mais là où un Zola explorait la noirceur et les drames humains, Yuzo Kawashima atténue leur tristesse par de l’humour. C’est d’ailleurs un détail qui avait particulièrement perturbé l’auteur du roman, estimant le film trop léger étant donné le sujet. Mais c’est peut-être en cela que le film s’élève, parce qu’il ne reste pas collé à la misère qu’il capture en gros plan. Il peut aussi apporter un regard plus détaché par moment, où le grotesque transparaît, comme dans les scènes où le bonze malmène les deux infortunés ou encore avec la scène de l’enterrement. Les infortunés ne sont pas moqués. C’est bien le prêtre concupiscent, maladroit et idiot ! Ce qui confère au film un aspect de satire sociale non négligeable.

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Un film à la beauté plastique évidente

Adoptant la forme d’un quasi-huis clos, Yuzo Kawashima enferme ses personnages dans des espaces étouffants. Une chambre chargée de soie et d’estampes d’oies sauvages pour la courtisane, de lieux sombres, crasseux et puants pour le jeune disciple. La caméra joue sans cesse avec l’architecture du temple, usant des paravents et de panneaux glissants pour séparer des personnages écrasés par les avant-plans. Cette architecture du décor reflète la hiérarchie sociale subie par chacun. Ceci vaut également pour le bonze qui est ramené à son statut en plusieurs occasions quand il sort du temple.

Certains plans restent marquants, comme celui où la caméra est placée au fond des latrines, sujet éminemment tabou dans le Japon de l’époque, ou encore lorsqu’elle est nichée au fond d’une tombe. Les zones d’ombres dessinées par la photographie particulièrement contrastée dans un magnifique noir et blanc très graphique montrent les thématiques du film. Derrière la lumière qui semble émaner du bonze se cachent le pauvre disciple et la courtisane, symptômes de son vice et de son sadisme.

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Une œuvre vénéneuse exigeante

L’on doit ce magnifique travail sur la lumière à Hiroshi Murai, un directeur de la photographie très prolifique qui a travaillé entre autres sur Le Sabre du Mal de Kihachi Okamoto, et Submersion of Japan de Shirô Moritani. Les décors intérieurs, quant à eux, sont dus à Teruo Kajitani. Yuzo Kawashima aimait cependant placer sa caméra en de vrais extérieurs, ce qui est le cas pour certaines scènes, notamment à la fin.

Celle-ci peut paraître assez intrigante. Sans vous la dévoiler, un changement de rythme, de lumière et de direction artistique s’opèrent. C’est une bascule assez drastique. D’ailleurs, la conclusion est très courte et laissera le spectateur sur sa faim et sans doute quelque peu perplexe. C’est le genre de fin qui marque l’esprit, parce qu’elle demande au spectateur de réfléchir à ce qu’il vient de voir.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà - Ses auteurs préférés - Oscar Wilde, Sheridan LeFanu, Richard Mattheson, Stephen King et Poppy Z Brite

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