retrospective

Le train de l’Enfer

Distribué aux Etats-Unis sous le titre de NEW HOUSE ON THE LEFT, IL ULTIMO TRANO DE LA NOTTE, chez noux LA BETE TUE DE SANG FROID ou en-core LE TRAIN DE L’ENFER, est le plagiat le plus célèbre de LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE. Réalisé par le talentueux Aldo Lado, également auteur du très impressionnant JE SUIS VIVANT ! , LA BETE TUE DE SANG-FROID reprend fidèlement la trame du film de Wes Craven.
Passé l’irrésistible générique durant lequel on entend Demis Roussos chanter façon easy-listening “ A flower’s all you need ”, le film ne perd pas trop de temps. Deux amies, Lisa et Maggy, une Italienne et une Allemande, étudiantes à Munich, prennent le train pour aller passer les fêtes de Noël à Turin, dans la famille de Lisa. Dans le train, elles rencontrent deux types louches, Blacky et Curly (que l’on a vu commettre quelques larcins lors des premières séquences). Leur côté “ canaille ” séduisant dans un premier temps, ne tarde pas à s’avérer des plus inquiétants. Plus tard se joint à eux une femme -grande bourgeoise- interprétée par Macha Meril, dont l’apparence BCBG cache en fait un esprit pervers et malsain. Après quelques mésaventures (Blacky et Macha dans les toilettes, un contrôleur tabassé…), les cinq personnages se retrouvent, de nuit, à partager le même compartiment dans un wagon entièrement vide. Ce décor planté, le spectateur se voit embarqué dans une séquence interminable, à la limite du supportable durant laquelle la Femme (nous ne connaîtrons jamais son nom) va pousser les deux marlous à violer puis tuer Maggy et Lisa. Plus tard, bien entendu, nos trois larrons vont croiser par hasard la route des parents de Lisa, qui se vengeront.
Le pendentif Peace & Love porté par Junior dans LAST HOUSE et qui permettait aux parents de la victime d’identifier les agresseurs, est, en l’occurrence, remplacé par une cravate bleue (!) que Lisa devait offrir à son père et qu’arbore fièrement l’un des criminels.
Rien de bien nouveau sous le soleil, donc. Si les rebondissements suivent de très près ceux de LAST HOUSE, c’est en fait essentiellement d’un point de vue formel que le film de Lado se démarque de son modèle, dans ses excès innombrables et sa totale absence de morale, serait-on tenté d’ajouter.
Une des premières choses que l’on remarque en voyant le film, c’est le trio d’agresseurs, qui diffère notablement de celui de LAST HOUSE ON THE LEFT. Blacky et Curly, interprétés par Flavio Bucci (connu pour son interprétation du pianiste aveugle dans SUSPIRIA) et Gianfranco de Grassi, sont visiblement inspirés par le duo Patrick Dewaere/Gérard Depardieu des VALSEUSES de Bertrand Blier. La ressemblance est surtout frappante lors d’une scène (très drôle) dans le train, au début du film, où on les voit semer la zizanie dans un wagon rempli de néonazis occupés à chanter gaillardement quelques airs en l’honneur du IIIème Reich. Ils sont, dans les premières séquences, montrés comme des petites frappes relativement inoffensives et jamais comme de dangereux maniaques sexuels.
Le personnage le plus cruel, le plus foncièrement mauvais, reste celui de Macha Meril. C’est aussi le mieux écrit, le plus riche et de loin… Il n’est pas sûr et certain qu’elle considère ce rôle comme le sommet de sa carrière, mais elle n’en reste pas moins excellente de bout en bout. C’est là la plus grande réussite du film : avoir fait d’une femme, à l’apparence inoffensive, le véritable monstre. Dans une de ses premières apparitions, nous la voyons cacher des instantanés pornographiques qu’elle a laissés échapper de son sac, illustrant par la même occasion l’expression “ vices privés, vertus pu-bliques ”. Jouant avec ce côté Grande Dame, c’est en raffinée qu’elle mène son jeu, utilisant les deux gars, bien trop idiots pour s’en apercevoir, et les poussant à commettre des actes ignobles. Manipulant les autres personnages à l’envie, usant de machiavélisme, de sadisme, à la seule fin de satisfaire son plaisir et surtout, s’en tirant toujours bien, elle est l’amoralisme à l’état pur. Cerise sur le gâteau, dans la séquence finale, elle sera prise de pitié par les parents de Lisa, après leur avoir fait habilement croire que les deux acolytes l’avaient forcée à les suivre. Ce mélange de cruauté extrême et de cynisme fait ressembler ce personnage à cette fameuse héroïne de roman, tout entière dévouée au mal qu’est la Juliette de Sade.
Les qualités, comme les défauts du film proviennent du fait qu’il s’agit d’une pure œuvre d’exploitation. On connaît bien l’habitude des Italiens de recycler – souvent avec succès – les genres en vogue à une époque donnée. LA BETE TUE DE SANG FROID ne faillit pas à cette tradition. A un moment où LAST HOUSE ON THE LEFT connaît un succès fracassant, il est plus que normal de s’emparer du filon. D’ailleurs, pour suivre parfaitement la mouvance de LAST HOUSE, sont rajoutées quelques scènes où les parents de Lisa, tout emplis de bonne volonté, discutent de la place de la violence dans notre société et de la meilleure manière de régler le problème. (“ Le sport me semble très important ! ” clame le père avec le plus grand sérieux). Soit dit en passant, ces séquences d’exposition, vues dans la bande-annonce, ont été supprimées des copies éditées par Video Public Edition, au profit de ce que l’on pourrait appeler l’action pure…
Il en résulte donc un film où l’on prend vite conscience que la seule finalité sera de dépasser les bornes de la bienséance, un peu à la manière des svastikas pornos influencés par le SALON KITTY de Tinto Brass. L’aspect sexuel est amplifié, les personnages sont plus pervers encore. Seul compte le choc. Et, comme souvent, on trouve un scénario assez mince, bourré de trous d’air, mais qui permet d’aménager un grand nombre de scènes propres à épancher les plus bas instincts du spectateur. Tout cela est à coup sûr “ moralement discutable ”, et extrêmement complaisant. Par certains aspects, on peut y déceler un discret discours nihiliste sur la nature humaine. Mais il peut aussi laisser perplexe de par le degré de putasserie et de racolage qu’il atteint. Mais bon, il est inutile de jouer l’hypocrisie. Ce film est et sera toujours perçu comme une aberration, un hallucinant étalage de perversions que l’on regarde de la même manière que l’on feuillète un bouquin de photos sur les bizarreries médicales du genre “ Monstres et Monstruosités ”. Pour tester ses limites. A cet égard, LA BETE TUE DE SANG-FROID fait même figure de précurseur puisque le fait de traiter d’un sujet pareil avec une telle désinvolture rappelle les fameuses Catégories 3 de Hong Kong. Il est inutile de vanter leurs divers mérites une fois de plus mais on pouvait y voir entre autres, et dans une atmosphère faisant fi de toute morale, le viol d’une morte (DR LAMB), celui d’une attardée mentale (RED TO KILL), ou le cadavre carbonisé d’une petite fille (RUN AND KILL).
Ce qui étonne le plus reste cependant la grande qualité de la réalisation qui contraste nettement avec un fond plus qu’ambigu. Le film est maîtrisé de bout en bout, le rythme et la manière auxquels il est mené sont ceux d’un thriller, d’un giallo. Les “ ficelles ” employées sont celles de ces genres. On y trouve par conséquent de très grandes scènes d’angoisse, parfaitement réalisées, magnifiquement photographiées, et soutenues par la partition terrifiante d’Ennio Morricone. Mais l’objet même de ces scènes, en l’occurrence les longs viols et supplices subis par Lisa et Maggy, mettent plutôt mal à l’aise. Le réalisme des scènes se déroulant dans le wagon fait froid dans le dos. Créant une tension énorme à partir de la durée, quasiment en temps réel, des situations montrées, le film n’a pas besoin d’être excessivement démonstratif pour impressionner. Néanmoins, à plusieurs reprises, Lado ne peut s’empêcher de rajouter quelques situations bien dé-générées, juste pour le sport, notamment avec l’intervention d’un personnage de voyeur, portant gabardine et cache-nez (par ailleurs bon père de famille, comme nous le confirmera la suite). Il observe ce qui se déroule dans le wagon pour ensuite participer au viol de Maggy. Pour information, son importance est à peu près égale à celle de la cravate bleue…
Finalement, c’est bien cette accumulation ininterrompue d’a-bominations qui donne tout son cachet à LA BETE TUE DE SANG-FROID. Lado nous promet le pire et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il atteint largement son but ; chose trop rare pour ne pas être signalée. Au moins, le fait de s’assumer totalement, d’être dénué de tout complexe moral rend le film sympathique… à défaut d’être agréable.

Share via
Copy link