Le transperceneige

Un texte signé Philippe Delvaux

Corée, Etats-Unis, France - 2013 - Bong Joon-Ho
Titres alternatifs : Snowpiercer
Interprètes : Chris Evans, Song Kang-Ho, Jamie Bell, Tilda Swinton, Alison Pill, John Hurt

Une tentative malheureuse de lutter contre le réchauffement climatique a réduit la terre à une immense étendue glacée et sans vie… à l’exception d’une arche de Noé nouveau genre, un train qui abrite désormais les derniers survivants de l’humanité, séparés en fonction de leur classe sociale. A l’avant, les privilégié jouissent de tout le confort de cette machine conçue pour fonctionner en autonomie, au milieu, l’intendance et les gardes, à l’arrière, les « queutards » parqués dans des wagons insalubres et (à peine) toléré parce qu’exploités. Mais un de ces prolétaires va mener une révolte pour tenter de prendre contrôle de la machine, la locomotive.

Un constat, le cinéma asiatique s’internationalise. Ce n’est certes pas nouveau, il n’est que de se souvenir de l’exode Hong-Kongais à l’époque de la rétrocession, mais c’est d’autant plus marquant aujourd’hui que ces productions d’envergure ont nettement moins à voir avec la fuite d’un pays qu’avec le désir (et désormais la possibilité) de toucher massivement le monde entier et de dépasser les seuls marchés asiatiques avec succès festivaliers pour le surplus. Ce cinéma asiatique international, déjà constaté depuis quelques temps, on le rencontrait par exemple encore cette année 2013 à l’Etrange festival qui ouvrait avec THE AGENT, excellent « actioner » d’espionnage coréen filmé à Berlin, et qui s’offrait l’avant-première du TRANSPERCENEIGE tourné, lui, à Prague avec des fonds américains, sur base d’une œuvre française culte.

Et le TRANSPERCENEIGE s’est offert les moyens de ses ambitions, nanti d’un des plus gros budgets de l’histoire du cinéma coréen, soit 40 millions de dollars. Ambition récompensée au pays du matin calme où le film a rassemblé 8 millions de spectateurs en quelques mois. On peinerait à chercher un équivalent sur le territoire français pour une production nationale de science-fiction.

Pour les distraits, Bong Joon-Ho est un des grands noms du ciné coréen contemporain. Découvert en 2000 avec BARKING DOGS NEVER BITE, il monte en puissance dès son deuxième film, MEMORIES OF MURDER, qui précède le ZODIAC de David Fincher, et explose avec THE HOST, qui bouleverse la structure classique du film de monstre et surtout fait exister ses personnages. Le TRANSPERCENEIGE est en outre coproduit par rien moins que M. OLD BOY : Park Chan Wook (qui lui aussi s’est récemment essayé à la production occidentale avec STOKER). C’est peu dire qu’avec de telles références, ce nouvel opus était attendu par des fans transis.

Et à l’arrivée, que nous vaut donc cette adaptation ?
Brisons la glace ( !), si Le transperceneige n’est à notre sens pas parfait, il n’en reste pas moins un grand divertissement qui nous change agréablement du train-train ( !) de la production SF contemporaine. Film après film, Bong Joon-Ho confirme son statut de locomotive du cinéma coréen. Avec ce nouvel opus, sa carrière internationale semble donc sur les rails ! Voilà, les jeux de mots approximatifs sont placés, nous pouvons parler du film. Celui-ci se révèle très distrayant… et un peu déroutant.

Déroutante dans le sens où on ne retrouve pas tout à fait la bande dessinée à la base de l’œuvre. « Le transperceneige » est un classique de la science-fiction française, paru au début des années ’80. On peut le rattacher à tout un courant d’œuvres assez noires parues à cette période, noirceur qu’on retrouve alors tout autant dans la musique que dans une frange de la production cinématographique. Et on ne retrouve que partiellement cette tonalité désespérée dans la transposition cinématographique de Bong Joon-Ho.

Certes, les grandes lignes sont là, les péripéties conservées, mais le propos ressort adouci par la direction artistique et des protagonistes parfois cocasses. Il n’est que de voir l’intendante Manson qui n’aurait pas déparé dans LA CITÉ DES ENFANTS PERDUS de Caro et Jeunet.

Ceci dit, ce point ne perturbera que certains parmi les connaisseurs de la bande dessinée d’origine. Car pris en lui-même, LE TRANSPERCENEIGE déploie suffisamment de qualités pour mériter son succès en salles. En premier, celui de ménager l’action avec des passages plus calmes, ce qui nous change agréablement de tant d’actioners qui n’offrent jamais de pause et ne nous permettent plus de digérer le spectacle. C’est d’ailleurs sans doute ce qui a gêné le producteur américain, Harvey Weinstein, l’homme aux sécateurs à la place des doigts, qui a donc lourdement amputé le film pour sa sortie américaine.

L’autre élément qui aidera au succès est que, s’il adapte bien une BD, LE TRANSPERCENEIGE renvoie aux codes d’un autre massmedium contemporain, celui des jeux vidéo : La progression se fait de wagon en wagon, chacun nécessitant de franchir des obstacles avant de parvenir à une porte – un nouveau niveau -. L’avancée est donc purement linéaire. Bien entendu, scénaristiquement parlant, cette évolution correspond également à la pyramide sociale du train : le prolétariat, la main d’œuvre et la classe oisive des privilégiés, le tout orchestré par un conducteur démiurge.

LE TRANSPERCENEIGE offre ce qu’on peut attendre d’un divertissement de qualité. Il alterne les passages rythmés et ceux plus calmes, il propose un univers cohérent et dépaysant (oserait-on dire « raffraichissant »), des personnages hauts en couleur… La mise en scène de Bong Joon-Ho est parfaite, ce qui à vrai dire ne nous étonne guère au vu du reste de sa filmographie.

Présenté en avant-première française à Deauville et à l’Etrange festival de Paris, en présence de son réalisateur et des auteurs de la bande dessinée, LE TRANSPERCENEIGE sortira en salle en France.

Retrouvez notre couverture de l’Etrange festival 2013.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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