Le venin de la peur

Un texte signé Patrick Barras

Carol Hammond, fille d’un célèbre avocat Londonien, est en proie à des hallucinations étranges où elle se voit projetée dans des orgies sexuelles sous LSD organisées par sa voisine, la belle Julia Durer, une actrice à la vie sulfureuse et débridée. A la mort de cette dernière dans des conditions mystérieuses, bizarrement similaires à ses hallucinations, qu’elle a confiées par ailleurs à son psychanalyste, Carole voit son monde s’écrouler et les mains de la police se refermer sur elle.

Surfant sur le succès de la vague de gialli initiée par Dario Argento avec L’OISEAU AU PLUMMAGE DE CRISTAL en 1970, LE VENIN DE LA PEUR est bel et bien à considérer comme la première approche de Lucio Fulci dans le genre, considérant que son PERVERSION STORY de 1969 hérite de l’appellation « Giallo » de manière souvent hâtive.
Encore que… Bien que le titre original du film de Fulci inclue un nom d’animal, son adhésion aux règles strictes du genre que Dario Argento était en train d ‘édicter ou de dépoussiérer un tant soit peu à l’époque ne pourrait-elle pas presque s’arrêter là ?
Pas d’accumulation de meurtres en série ici. Deux seulement, et commis par deux assassins différents. Certes c’est l’arme blanche qui est privilégiée, comme sont mis en avant la psychanalyse et les troubles psychiques, et ce dès le tout début. Mais pour le reste, le réalisateur ne reste-t-il pas plus proche de son précédent PERVERSION STORY que des normes « Argentiennes » ? Ce dernier étant simplement un film noir à suspens aux accents Hitcockiens assez prononcés, avec cependant un érotisme clairement affiché propre au cinéma d’exploitation Italien. Et puisque l’on cite Hitchcock on pourrait alors avancer l’idée que le MacGuffin du VENIN DE LA PEUR serait plus un sombre malentendu, que tout un tas d’implications psychologiques ou psychanalytiques sources de traumatismes, comme moteurs d’une vengeance que bon nombre de métrages du genre, des plus originaux jusqu’aux plus bêtement standardisés, mettent généralement en scène. Ce n’est qu’une simple méprise, une erreur d’appréciation qui entraine en définitive l’engrenage de violences et de mort du film, suite au meurtre de Julia Durer.
Ce que découvrira en fait le spectateur, au fur et à mesure et qui sera explicité à la toute fin, c’est un motif d’assassinat relativement banal. Le ressort qui sous-tend le scénario co-écrit par Lucio Fulci est tout bonnement la crainte de l’assassin d’être démasqué et appréhendé. Nulle histoire de passif à solder avec telle ou telle catégorie de la population, pas plus que d’appât du gain ou de volonté de puissance à assouvir à tout prix. Juste un secret honteux qui ne doit en aucun cas être découvert. Une affaire de conventions, d’apparences à préserver coûte que coûte au sein d’un milieu bourgeois des plus sclérosés et névrosés. En fin de compte, après avoir achevé de visionner LE VENIN DE LA PEUR, on en est à se demander si pour une fois ce n’est pas une des adaptations Françaises du titre qui ne serait pas plus pertinente que l’original : LES SALOPES VONT EN ENFER.
Titre cru que Fulci n’a évidemment pas choisi, mais qui colle pas mal au fait que la perversion, les vices sont exposés comme étant des corollaires propres à la bourgeoisie ou encore à des milieux interlopes, « branchés » déviants et débauchés dans certains de ses films – (On peut se souvenir à ce titre d’une tentative un brin torride de Barbara Bouchet, dans LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME, de pervertir et d’exciter un enfant de 8-9 ans). Argument par ailleurs pas mal florissant dans le cinéma Italien (d’exploitation ou plus estimé) de cette époque, dont le personnage de Macha Méril dans LE DERNIER TRAIN DE LA NUIT de Aldo Lado est également une parfaite illustration (à probablement rattacher au contexte politique et social particulier des « années de plomb » en Italie). On croirait entendre clairement Fulci dire que bourgeois, artistes et hippies ne sont qu’un ramassis de salauds, de drogués pervers et libidineux ; et c’est effectivement en enfer que nous les voyons sombrer.
La seule bonne surprise que nous réserve le scénario c’est que Carol n’a pas simplement recours à la psychanalyse pour tenter de remédier à ses névroses de bourgeoise à la sexualité inassouvie, mais qu’elle va apprendre à s’en servir, en manipulant son analyste. Car pour le reste, mis à part les pistes devant nous mener à la somme de tergiversations de mise, une fois les personnages principaux ayant défilé à tour de rôle comme assassins potentiels, point de réelle surprise au final.

Tout cela est compensé par la mise en scène onirique des hallucinations de Carol (même si quelques plans sont foncièrement loupés du fait d’effets spéciaux lourdingues et dont la réalisateur aurait pu se passer). En particulier, une belle série d’images cadrées devant un simple fond noir, au ralenti avec effet de soufflerie et qui ne sont pas sans évoquer, dans leur dépouillement graphique, les vignettes de certains fumetti et autres bandes dessinées pour adultes. Images incluant la scène du meurtre, particulièrement sanglante et peu avare en inserts sur des plaies gargouillantes, de Julia Durer (Le film ne se privera pas au passage, et malgré le faible nombre de meurtres mis en scène, de nous gratifier de bon nombre de visions à la tournure macabre ou gore des plus complaisantes – Mais n’est-ce pas aussi pour ça que l’on a pu se trouver attiré par l’oeuvre de Fulci à un moment, non ?…).
L’aspect purement plastique et graphique du film est de toute façon bien maîtrisé dans son ensemble. À commencer par un très belle photographie, des décors toujours signifiants et suffisamment fouillés (n’entrevoit-on pas régulièrement dans l’intérieur de Carol et de son mari des tableaux de Francis Bacon, ou dans un genre assimilé, dont la présence est assez pertinente?). Ajouté à cela une utilisation des architectures tout aussi pertinente, architectures parfois filmées avec des focales qui les rendent démesurées par rapport aux personnages,à l’image de cette scène où Carol se retrouve traquée à l’intérieur d’une vaste église abandonnée. Certains effets visuels sont relativement bienvenus, comme par exemple des split-screens dont la vogue était naissante à l’époque, et force est de reconnaître que Fulci n’en abuse pas.
Le métrage n’est certes pas dénué de maladresses, voire de lourdeurs, notamment du fait de la présence de scènes qui, dans le but d’impressionner le spectateur, s’ étirent inutilement en longueur à force d’effets inutiles – (travers dont le réalisateur aura été quand même assez coutumier au long de sa carrière) , comme pour exemple une attaque de Carol par une horde de chauve-souris qui frise presque le grotesque et dont la présence a qui plus est du mal à se justifier au sein de la narration.
Nous reste aussi la musique de Ennio Moricone, qui si elle ne constitue pas une de ses grandes compositions (pour ne pas dire que ça sent un peu le travail d’abattage) n’en demeure pas moins agréable pour nos oreilles tant les mélopées susurrées par des voix féminines, à mi chemin entre innocence et érotisme un tantinet pervers, finissent par être en grande partie rattachées (n’ont-elle pas été pastichées à maintes reprises?) à ce genre que nous affectionnons et dont Lucio Fulci nous livre ici un assez bon produit.


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- Article rédigé par : Patrick Barras

- Ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Apocalypse now, Affreux, sales et méchants, Suspiria, Massacre à la tronçonneuse

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