L’effroyable secret du Docteur Hichcock

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1962 - Riccardo Freda
Titres alternatifs : L'orribile segreto del Dr.Hichcock
Interprètes : Barbara Steele, Robert Flemyng, Harriet White, Silvano Tranquili

Riccardo Freda est depuis longtemps reconnu comme un des maîtres du cinéma populaire italien et sa filmographie, qui couvre essentiellement la période 1945-65, compte de nombreux trésors, que ce soit dans son genre de prédilection (le film de « cape et d’épée » ou d’aventures historiques : LE CHEVALIER MYSTERIEUX, 1948), dans le péplum qu’il a relancé dans son pays (SPARTACUS, 1953) ou dans le fantastique : il co-réalise avec Mario Bava le premier film d’épouvante italien, le sublime LES VAMPIRES (1956). Si, contrairement au réalisateur du merveilleux LE MASQUE DU DEMON (1960), Riccardo Freda a peu œuvré dans le film de terreur gothique, il n’en a pas moins livré un magnifique « faux » diptyque : L’EFFROYABLE SECRET DU DOCTEUR HICHCOCK (1962) et LE SPECTRE DU PROFESSEUR HICHCOCK (1963), les deux titres n’ayant en commun qu’un même sens du macabre et d’être interprétés par la « dark lady » du fantastique des années soixante, la grande Barbara Steele.

Londres, 1885. Le docteur Hichcock est un brillant chirurgien qui expérimente avec succès sur des patients un nouvel anesthésiant. Dans le privé, il a mis au point avec la complicité de son épouse Margaretha un rituel nécrophile qui consiste à ralentir le rythme cardiaque de cette dernière à l’aide d’un sérum pour ensuite lui faire l’amour alors qu’elle se trouve dans un état proche de la mort. Mais une nuit, Hichcock essaie sur sa femme un dosage qui lui est fatal ; fou de douleur, il quitte son emploi et la capitale, confie sa demeure à la fidèle gouvernante Martha. Dix années s’écoulent ; le docteur maudit est de retour, accompagné de sa nouvelle épouse, la fragile Cynthia, qui va bientôt être confrontée à l’animosité de Martha, à l’indifférence polie de son mari puis à l’intrusion de phénomènes inquiétants au sein de la villa Hichcock…

Après avoir tenté de lancer en Europe un nouveau courant fantastique avec LES VAMPIRES (1956) qui fut un échec, Riccardo Freda ne revint au genre qu’en 1962 alors que l’épouvante gothique triomphait grâce aux films anglais de la Hammer depuis un certain FRANKENSTEIN S’EST ECHAPPE (1957, Terence Fisher). L’Italie est alors le seul autre pays européen à produire des œuvres fantastiques de qualité, parfois supérieures au modèle britannique (LE MASQUE DU DEMON de Mario Bava et LE MOULIN DES SUPPLICES de Giorgio Ferroni, tous deux sortis en 1960, excusez du peu…) et cet état de grâce perdurera jusqu’au milieu des années soixante. Le film de Riccardo Freda, à l’instar d’innombrables petites bandes horrifiques italiennes de l’époque, fut conçu par des producteurs opportunistes dans le but avoué de voguer sur certains succès anglo-saxons du moment. On pense ici plus particulièrement à l’ascendant du PSYCHOSE d’Alfred Hitchcock (1960) dont on retrouve des traces plus ou moins évidentes ; l’utilisation d’un presque homonyme du réalisateur anglais dans le titre a, quant à elle, une visée ouvertement commerciale et renforce l’idée d’un long métrage sous influence. Celle d’Edgar Poe semble également prégnante au point que certains segments du métrage semblent être des variations autour de nouvelles telles que « Ligeia » ou « Morella » qui entremêlent Eros et Thanatos dans un même mouvement menant à la folie. Mais le cinéaste italien va, dès les séquences inaugurales, s’approprier son œuvre en lui injectant un venin thématique inédit au cinéma (la nécrophilie) et en la parant d’un écrin visuel à l’esthétique raffinée. C’est au cœur même de cette dichotomie entre un sujet abject et son traitement stylisé que réside l’originalité de L’EFFROYABLE SECRET DU DOCTEUR HICHCOCK, dans son choix d’évoquer la mort dans quasiment chaque plan et de la revêtir de ses plus beaux atours. A ce titre, les deux séquences au cours desquelles Hichcock se prépare à « endormir » Margaretha sont filmées comme des cérémonials où chaque geste est ritualisé, où chaque étoffe ou rideau pourpre semblent choisis avec soin, où chaque regard échangé dit l’amour infini qui lie les deux êtres. De ce fait, la « chambre mortuaire » devient un lieu protecteur et la perversion sexuelle, qui n’est bien sûr que suggérée à l’image, se change en un simple penchant érotique. Cet angle tout à fait subversif choisi par Riccardo Freda rejoint, à la fin du premier acte qui voit la mort tragique de Margaretha, le portrait d’un Hichcock disciple de l’amour fou et héraut d’une forme de romantisme noir et absolu, un personnage inimaginable dans un film anglo-saxon qui en aurait fait un « freak »…Avec l’arrivée de Cynthia (l’envoûtante Barbara Steele dans un rôle plutôt inhabituel pour elle de frêle jeune femme), le point de vue narratif va changer pour épouser le sien, celui d’une victime écrasée par l’hostilité d’une sinistre gouvernante (formidable Harriet White, vue dans LE CORPS ET LE FOUET de Mario Bava, 1963) et progressivement ignorée par son époux. L’intrigue va ensuite dérouler une trame de roman noir au fur et à mesure que l’héroïne se persuade que l’esprit de celle qu’elle ne parvient pas à remplacer hante la demeure. On pense alors fortement à l’atmosphère lugubre qui était convoquée dans des œuvres comme REBECCA (1940, d’Alfred Hitchcock, encore lui…) ou DRAGONWYCK de Joseph L. Mankiewicz (1946) aux intrigues assez proches de celle du film de Riccardo Freda.

Ce dernier creuse cependant le matériau gothique de son récit en le chargeant de plans iconiques, de symboles et de fétiches macabres, en utilisant une forme d’hypertrophie graphique fort éloignée encore une fois des modèles anglo-saxons tout en retenue et en suggestion. La longue séquence quasi-onirique qui voit Barbara Steele s’introduire dans la chambre interdite, découvrir un passage menant à une crypte puis s’enfuir effrayée le long d’une galerie, condense à elle seule une telle force évocatrice qu’elle sera citée, de façon disséminée mais presque au plan près, et jusque dans son choix d’éclairages volontairement artificiels et de couleurs hallucinées, dans le SUSPIRIA (1977) de Dario Argento. Lorsque le personnage de Hichcock revient au premier plan, tente à nouveau de s’adonner à ses pulsions nécrophiles et se révèle menaçant vis-à-vis de Cynthia, le film puise alors une part de son inspiration dans des modèles littéraires et mythologiques, son protagoniste se muant en une sorte d’être hybride qui évoque tour à tour la figure de l’Ogre (Barbe Bleue), celle du Vampire (même gestuelle, même soif…) et du Minotaure. Car c’est bien dans une demeure victorienne filmée comme un dédale de couloirs, d’escaliers, de pièces secrètes et souterraines que se développe le dernier et inoubliable tiers du métrage. Par un savant travail sur le découpage et le montage, Riccardo Freda parvient à faire de la villa Hichcock un espace à la structure illogique et déconstruite, un lieu presque abstrait que l’on peut interpréter comme la figuration de l’esprit morcelé de son propriétaire.

L’EFFROYABLE SECRET DU DOCTEUR HICHCOCK demeure, un demi siècle après sa conception, une pièce maîtresse du fantastique gothique ; si le cinéaste italien signe ici une de ses plus belles réussites formelles (à égalité avec LE CHATEAU DES AMANTS MAUDITS, 1956), que ce soit dans la composition picturale des plans ou dans sa façon de dynamiser chaque élément du décor, il livre également un film au lyrisme et à l’audace incroyables dont peu d’œuvres appartenant au genre peuvent se vanter. Culte.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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