L’empire des ombres

Un texte signé Stéphane Pretceille

USA - 2011 - Brad Anderson
Titres alternatifs : Vanishing on 7th Street
Interprètes : Hayden Christensen, Thandie Newton, John Leguizamo

Dans un cinéma d’un centre commercial, une panne de courant affecte la séance, le projectionniste équipé d’une lampe frontale, constate la disparation des spectateurs. Parcourant les allées du centre à la recherche d’une quelconque trace de vie, il ne trouve sur son chemin que des petits tas de vêtements ici et là, comme si les gens s’étaient littéralement évaporés en laissant derrière eux ce qu’ils portaient. Il croise enfin un agent de sécurité détenteur lui aussi d’une lampe torche. Abasourdi lui-aussi par ce phénomène, ils continuent leur recherche. Dans une allée d’un magasin, le vigile croit voir une ombre bouger, il l’interpelle en vain et finit par la poursuivre pour aussitôt disparaître au moment où la pénombre le recouvre. Effaré, son équipier voit alors apparaître l’ombre d’un homme qui se dirige précipitamment sur lui. Cut, on retrouve un dénommé Luke joué par Hayden Christensen, interprète falot du Dark Vador de la première trilogie des STAR WARS, il est dans son lit entouré de bougies (détail qui a son importance) A son réveil, sa compagne a disparue, la télévision n’émet pas, son smartphone ne s’allume pas. Le portier de son immeuble a disparu, ne laissant que quelques vêtements adossés à son siège. Les rues sont vides, des voitures accidentées sont abandonnées au milieu de la route. Par habitude, il se rend à son travail, les bureaux sont aussi vides que les rues, et toujours avec des vestes, des chemises et des pantalons reposant un peu partout. Au cours de ses quelques jours de pérégrinations, avant de trouver refuge dans le dernier pub de la ville où l’électricité fonctionne encore grâce à un groupe électrogène, Luke fera face à plusieurs reprises à la menace mortelle que représente toute forme d’obscurité. C’est une menace planant dans chaque recoin d’une pièce, une menace d’autant plus dangereuse que le soleil se lève de plus en plus tard et se couche de plus en plus tôt. Les ténèbres glissent sur toute la ville, s’emparant des rares survivants qui ne se seraient pas dotés d’une lampe, d’un briquet ou quoique ce soit pouvant faire reculer ces ombres géantes qui apparaissent le long des murs, des façades, silencieuses, attendant que les dernières batteries fonctionnant encore rendent l’âme pour engloutir leurs proies.

La première demi-heure de ce film démarre très fort, en l’espace de quelques minutes, Brad Anderson, installe une ambiance angoissante. La séquence au cinéma, au centre commercial suivie de la première matinée de Luke permettent de mettre brillamment en place le motif principal du film : la peur du noir, l’obscurité telle la grande faucheuse recouvrant de son linceul noir les rares survivants d’une ville décimée. En quelques plans, le film s’enracine dans cette veine apocalyptique, dont le plus marquant plastiquement est LE SURVIVANT adapté du roman JE SUIS UNE LEGENDE, du toujours très inspiré Richard Matheson. Des rues désolées, de grandes artères écrasantes de silence, l’effet fonctionne toujours aussi bien. Quant aux ténèbres prenant forme humaine et dévorant tout sur leur passage – étrangement les animaux ne sont pas emportés, ce qui pourrait accréditer la thèse d’une des protagonistes qui voie dans ce génocide de la race humaine une punition divine –on peut penser au très bon DARKNESS de l’espagnol Jaume Balagueró qui se rapproche lui aussi de ce thème universel.

La déception est à la hauteur de l’attente suscitée par cette ouverture très réussie. Dès lors que le personnage Luke investit le pub pour s’abriter des attaques de la nuit, et qu’il se lie avec un jeune garçon attendant sa mère disparue, d’une jeune femme à moitié hystérique depuis que son bébé s’est volatilisé et enfin du projectionniste du début, le film prend une tout autre tournure. Si la rencontre avec d’autres survivants, la coalition d’un petit groupe pour faire face à ces ombres mortelles était relativement attendu, on n’en attendait pas moins un développement de l’intrigue, des avancées narratives, un scénario tout simplement. Non, le film que l’on attendait de voir s’arrête finalement à la minute ou Luke entre dans le pub. Exception faite de cette expédition pour récupérer une voiture dont la batterie donne encore quelques signes de vie, il ne se passe plus rien si ce n’est des conversations sans grand intérêt entre les personnages, échanges soporifiques dont le niveau est bien au-dessous de la situation. Seul le retour miraculeux du projectionniste qui tentera de donner quelques explications sur ce qui leur arrive, permettra de sauver quelques minutes de ce triste gâchis. Pour tenter de jouer avec les nerfs des spectateurs, Brad Anderson va user jusqu’à la corde des brusques interruptions de lumière du pub, le groupe électrogène ne cessant de toussoter. De cette ficelle, le réalisateur n’aura de cesse d’en abuser jusqu’à la fin, le ressort angoissant du film ne reposant plus que sur cet artifice.

Démarrant sur les chapeaux de roues, le film s’engouffre dans une impasse. Quant à la fin, autant le film semblait sans concession, dur, autant la scène qui la clôture est d’une désolante banalité, au point d’en être ridicule. Il y a aussi des invraisemblances, des questions sans réponse qui parcourt tout le film. Par exemple, sachant que toutes les piles, les batteries s’épuisent à une vitesse anormale, pourquoi les personnages ne se sont-ils pas armés de torches dès le début, pourquoi n’ont-ils pas fait de grand feux pour se protéger de l’obscurité.

D’une redoutable efficacité pendant son introduction, le film s’embourbe avec des personnages peu travaillés, caricaturaux. Luke, joué par le peu expressif Hayden Christensen est présenté comme un journaliste arriviste, égocentrique, ce n’est pas ses quelques repentirs qui rendront le personnage plus sympathique. Les autres ne sont pas mieux servis. Inconsistance des personnages et des dialogues indigestes, scénario paresseux. Néanmoins, dès que la caméra quitte le bar et que les ombres réinvestissent le cadre et qu’elles glissent autour des personnages, le film redevient inquiétant. L’EMPIRE DES OMBRES reste malgré tout un spectacle de qualité, mais bien en-deçà de son potentiel présumé.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Stéphane Pretceille

- Ses films préférés :

Share via
Copy link