L’emprise du mal

Un texte signé Stéphane Bex

Raul, un joueur d’échecs professionnel, cherche à recoller les morceaux de son couple défait en proposant à sa femme Ana et son fils Nico de passer quelques jours dans un chalet isolé pendant les vacances de Noël. L’idylle familiale se dégrade lorsque Samuel, un jeune voisin prévenant, vient effectuer quelques réparations dans la maison, au grand dam de Raul, dont la jalousie vire à la paranoïa. Se passe-t-il véritablement quelque chose entre Samuel et Ana ? Pourquoi Nico semble-t-il éviter son père ? La magie de Noël ne risque-t-elle pas de virer au cauchemar ?

En plaçant l’intrigue de son premier film dans la droite ligne de SHINING, Miguel Angel Toledo, le scénariste doué de 28 SEMAINES PLUS TARD et dont L’EMPRISE DU MAL est la première oeuvre en tant que réalisateur, rend un hommage appuyé à Kubrick et tente d’assurer ses arrières. D’autres échos traversent le film, comme DANS L’ANTRE DE LA FOLIE (Carpenter) ou LE LOCATAIRE (Polanski), le jeune réalisateur semblant prendre à coeur de rendre hommage aux maîtres qui l’inspirent. Cela suffit-il à faire un bon film ? La réponse est plutôt mitigée. Si le scénario rôdé (maison isolée, famille en autarcie, délire paranoïaque) est traité avec efficacité, Toledo – assisté par une belle photographie – parvenant à utiliser avec intelligence et sensibilité le décor enneigé, on reste plus sceptique quant à la mise en scène dramaturgique du film, le réalisateur semblant hésiter entre le thriller psychologique, le film d’horreur classique ou la description d’un état pathologique. C’est sans doute faute de se décider que le film ne parvient pas véritablement à emporter le morceau, malgré la performance convaincante de Gustavo Salmeron en père angoissé côtoyant les territoires de la psychose.
Au crédit du film, on peut mentionner une attention particulière au jeu des couleurs, soutenu ici – même si parfois grossièrement – par la symbolique des échecs. L’identification des personnages aux pièces (Ana, la reine ; Raul, le fou et le roi ; Samuel, le cavalier) fournit à l’oeuvre un sous-texte intéressant mais qui ne paraît pas assez exploité. La dichotomie appelée par l’échiquier (noir/blanc), et déployée « grandeur nature » dans un décor forestier enneigé transformé en gigantesque plateau de jeu, permet de relire l’oeuvre et d’en éclaircir certains twists narratifs. Le film pourrait être métaphorisé comme une partie que le héros jouerait contre lui-même, à la manière du personnage du JOUEUR D’ECHECS de Zweig, devenu fou pour ne trouver son adversaire qu’en lui-même. Hélas, à ce fil conducteur, le réalisateur en rajoute d’autres moins utiles, comme s’il craignait de ne pas en dire assez ; marionnettes possédées, boucle narrative à l’image de TRIANGLE ou ABANDONNEE de son compatriote Cerda ou fantômes vengeurs, viennent parasiter et inutilement complexifier la ligne dramatique.
Ainsi, malgré quelques belles scènes oniriques (la poursuite par un chien du héros à travers la neige notamment), le film échoue à trouver une atmosphère unifiée. Toledo, co-fondateur avec Carlos Fresnadillo de la maison de production Zodiac Films, a sans doute attendu trop longtemps pour réaliser cette EMPRISE DU MAL dont l’originalité apparaît moindre au regard des productions récentes (la comparaison avec THE HOUSE OF GOOD AND EVIL de David Mun, film plus réussi parce que moins ambitieux, est à cet égard éclairante).
L’EMPRISE DU MAL ne révolutionnera donc pas l’horreur ibérique. Trop appliqué, Toledo se positionne en élève sérieux là où il aurait fallu plus de liberté et l’esprit de la série B pour donner une oeuvre originale. Espérons que l’avenir saura lui donner plus d’assurance et la capacité à voler de ses propres ailes.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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