L’enfant miroir

Un texte signé Philippe Chouvel

Angleterre, Canada - 1990 - Philip Ridley
Titres alternatifs : The Reflecting Skin
Interprètes : Jeremy Cooper, Lindsay Duncan, Viggo Mortensen, Sheila Moore, Duncan Fraser

Né à Londres, Philip Ridley est un artiste polyvalent. Romancier, il obtient le succès notamment pour ses travaux destinés aux enfants. En tant que peintre, ses œuvres sont également reconnues et exposées dans plusieurs pays. Ridley a aussi travaillé dans le milieu du théâtre, de la chanson (en tant que parolier) et de la photographie. Son talent pour l’écriture le conduit vers la poésie et le cinéma. D’abord scénariste, il réalise son premier long métrage en 1990 : THE REFLECTING SKIN (L’ENFANT MIROIR).
Situé dans l’Amérique rurale au début des années 1950, alors que les plaies de la Seconde Guerre mondiale sont loin d’être refermées, L’ENFANT MIROIR raconte l’histoire d’un garçonnet d’une huitaine d’années, Seth Dove, confronté à une vie rude et austère aux côtés d’une mère hystérique et aigrie, et d’un père désabusé se réfugiant dans la lecture. Comme pas mal d’enfants, Seth s’est construit un univers fantasmatique qu’il façonne au gré des événements et des gens qu’il rencontre.
Son imaginaire le conduit ainsi à penser que sa voisine, une jeune veuve, est un vampire. Rêve et réalité s’entrechoquent dans l’esprit du jeune garçon, au point que l’on peut se demander si ces deux jumelles poussant des cris d’oiseaux ou ces blousons noirs circulant à bord d’une Cadillac rutilante existent vraiment ou sont le fruit de son imagination. Afin de tromper l’ennui, Seth peut également compter sur ses camarades de jeu, Eben et Kim, le premier disparaissant dans d’étranges circonstances quelque temps plus tard. Puis, le frère aîné de Seth, Cameron, militaire de son état, revient à la maison après avoir servi son pays lors de la Guerre du Pacifique. Le traumatisme de la bombe atomique semble l’avoir marqué profondément.
Dans cette magnifique campagne ensoleillée, nimbée d’un ciel azuréen et entourée de champs de blé à perte de vue, l’horreur est tapie, prête à frapper…
Le titre choisi par Philip Ridley,THE REFLECTING SKIN, a pour origine une scène du film dans laquelle Cameron (interprété par Viggo Mortensen, qui avait précédemment tourné dans PRISON de Renny Harlin) montre à son jeune frère une photographie représentant un bébé ayant subi les ravages de la bombe Hiroshima. Ce titre est en fait un deuxième choix, puisqu’à l’origine le metteur en scène voulait l’appeler AMERICAN GOTHIC, probablement un clin d’œil au tableau réalisé par Grant Wood en 1930. La peinture se reflète d’ailleurs tout au long du film, notamment avec ses paysages, ses champs de blé à perte de vue, rappelant les œuvres d’Andrew Wyeth (1917-2009) parmi lesquelles Christina’s World (1948), qui montre une femme dans un champ, rampant en direction d’une maison dominant un horizon sans un arbre.
Le paysage est à la fois très beau et potentiellement menaçant, une constante que l’on retrouve de façon permanente dans L’ENFANT MIROIR. Philip Ridley a dit à propos de son film qu’il s’agissait d’une fantasmagorie sur la mort. Seth va découvrir celle-ci tout comme d’autres concepts : la peine et la souffrance. Les créations de l’enfant donnent un sens à sa vie, dans un univers où tout n’est que chaos et confusion pour lui.
Ce premier long métrage de Philip Ridley est en quelque sorte l’aboutissement de son intérêt pour l’enfance, que l’on trouvait déjà à travers ses contes. Également, son premier court-métrage, VISITING MR. BEAK, tourné en 1987, racontait les aventures d’un enfant désireux d’offrir à un étrange personnage un objet imaginaire qu’il avait capturé. Sur sa route, il va croiser des adultes excentriques et inquiétants, intéressés par ce que possède l’enfant. L’imagination et la poésie, voilà ce que l’on retrouvera régulièrement chez Philip Ridley, un cinéaste trop rare puisqu’il n’a tourné que deux autres films à ce jour : DARKLY NOON (1995) et HEARTLESS (2009). THE REFLECTING SKIN demeure un film à part, à la fois bouleversant et hypnotique, dans lequel le voyage initiatique d’un enfant conduisant au monde des adultes est en mesure de raviver en nous des souvenirs enfouis dans notre mémoire. Car il y a peut-être un petit peu de Seth en chacun de nous.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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