L’Enfer des Tortures

Un texte signé Philippe Chouvel

Japon - 1969 - Teruo Ishii
Titres alternatifs : Tokugawa irezumishi : Seme jigoku, Inferno of Torture
Interprètes : Teruo Yoshida, Masumi Tachibana, Yumoiko Katayama, Asao Koike, Reiichi Hatanaka

L’ENFER DES TORTURES suit la destinée de deux tatoueurs que tout oppose. Bien qu’ayant appris leur métier du même maître, Horigaro, Horihide a en quelque sorte suivi la voie de lumière, et Horitatsu celle des ténèbres. Les deux artistes, considérés comme les meilleurs du pays, se retrouvent en lutte lors d’un concours organisé par le shogun. Par un concours de circonstances, chacun porte son choix sur le même modèle, Yumi. Utilisant les ruses les plus viles, Horitatsu met tout en œuvre pour l’emporter sur son adversaire.
L’ENFER DES TORTURES s’ouvre sur un générique montrant des supplices infligés à des femmes. Certaines sont crucifiées, l’une étant transpercée ensuite par une lance. D’autres, enterrées dans le sol jusqu’à la tête, sont décapitées par une énorme scie. Ce teaser particulièrement gore rappelle celui du deuxième opus de la série « Joys of Torture » : FEMMES CRIMINELLES (TOKUGAWA ONNA KEIBATSU-SHI, 1968). Mais la suite du film n’a en fait rien à voir avec le générique. A la limite, ce n’est pas très gênant (bien que l’on puisse remettre en cause l’utilité d’un tel teaser). Ce qui l’est beaucoup plus, c’est l’impression générale de confusion régnant tout au long du métrage. En effet, Teruo Ishii ne se contente pas de conter une intrigue concentrée sur les deux tatoueurs, mais également sur deux autres duos : l’un constitué de deux sœurs (Yuki et Yumi), devenues prostituées ; et l’autre des deux « vrais » méchants de l’histoire, Samejima (un officier de police corrompu), et Oryu (la tenancière du bordel). A cela, on peut rajouter le personnage d’Osuzu, fille du maître tatoueur Horigaro, dont tombent amoureux Horihide et Horitatsu.
Si le scénario est décousu, la réalisation l’est tout autant, et il se dégage pour le spectateur le sentiment de suivre plusieurs histoires à la fois, dans lesquelles des personnages disparaissent pour réapparaître plus tard, ce qui ne facilite pas la compréhension de l’intrigue.
De plus, Teruo Ishii a choisi d’intégrer un élément soi-disant comique dans cette œuvre, à savoir des prostituées qui sont jouées par des hommes ! Ceux-ci ne sont pas censés être des travestis, mais bel et bien des femmes. Et les scènes où ces deux personnages pour le moins incongrus interviennent rappellent les pires moments des sexy-comédies italiennes des années 70/80. Dans un film qui se veut grave de par son propos, et dont l’horreur est plus que manifeste, cette touche d’humour douteux apparaît très mal placée, et ne fait que renforcer l’idée que L’ENFER DES TORTURES est une œuvre trop hétérogène pour donner entière satisfaction.
Cela dit, le film comporte son lot de supplices en tous genres (viols, humiliations, énucléation…), d’érotisme (saphisme), et de bonnes idées. Le passage où Yumi profane la sépulture d’un homme, et plonge les mains dans ses chairs putréfiées afin de récupérer la clé de la ceinture de chasteté dont elle est prisonnière reste une scène marquante. Le passage du tatouage invisible révélé lorsque le modèle boit du saké est aussi remarquable. On apprend d’ailleurs beaucoup de choses sur la symbolique du tatouage dans ce film, et notamment que les tatouages de qualité augmentaient la valeur marchande des geishas.
De ce fait, L’ENFER DES TORTURES (le titre vient du tatouage dessiné par Horitatsu lors du concours) apparaît comme une œuvre inégale, difficile à suivre car confuse, mais qui recèle néanmoins bon nombre de scènes intéressantes, et qui s’achève de manière assez délirante dans une maison close dans laquelle les deux tatoueurs s’affrontent une dernière fois par le biais de prostituées hollandaises dont la peau est recouverte de superbes tatouages phosphorescents. Dans ce final étourdissant, Teruo Ishii montre une fois encore son style très personnel, où la beauté la plus pure côtoie l’horreur la plus profonde.
Quatrième volet de la série « Joys of Torture », L’ENFER DES TORTURES baigne tout comme son prédécesseur (ORGIES SADIQUES DE L’ERE EDO) dans l’ambiance du kinbaru. Malgré ses défauts, elle témoigne d’un savoir faire de la part de Teruo Ishii, cinéaste qui inspirera des metteurs en scène comme Koji Wakamatsu et Masaru Konuma. C’est peut-être pour cette raison que Teruo Ishii fut surnommé au Japon « The King of Cult ».


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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