L’enfer pour Miss Jones

Un texte signé Frédéric Pizzoferrato

USA - 1973 - Gérard Damiano
Titres alternatifs : The Devil In Miss Jones
Interprètes : Georgina Spelvin, Harry Reems, John Clemens, Mark Stevens, Clair Lumiere, Gerard Damiano.

Si la pornographie n’est pas née avec Gerard Damiano, c’est pourtant lui qui va la tirer de l’enfer des courts-métrages miteux à destination des arrière-boutiques des sex-shops, les stag-films et autres loops. Au tout début des seventies, les premiers films hard sortent dans le circuit cinéma “normal”, via les pseudo documentaires signés Alex de Renzy comme PORNOGRAPHY IN DENMARK puis les fameuses compilations cochonnes style HISTORY OF THE BLUE MOVIE. Damiano, pour sa part, va introduire une certaine recherche et une véritable sophistication dans le monde du porno dès 1972, avec son classique GORGE PROFONDE. Par la suite, en particulier durant toutes les seventies, il se fit le chantre d’un hard à la fois poussé et sensuel, véritablement érotique et toujours baigné dans un climat fantastique via des scénarios bien plus élaborés et originaux que la moyenne, au point de pouvoir être considéré comme un des seuls auteurs ayant œuvré exclusivement dans le cinéma pour adultes.
L’ENFER POUR MISS JONES débute par une longue séquence, aujourd’hui impensable dans le hard, au cours de laquelle Miss Jones, vierge solitaire malheureuse et désespérée de 36 ans, se suicide dans un bain tiède. Accueilli par Abacca, un fonctionnaire des Enfers, la jeune femme se voit refuser l’entrée du Paradis: en dépit d’une vie exemplaire, le pêché mortel qu’elle a commis la condamne à aller “en-bas”. Renvoyée sur Terre pour un court instant, Miss Jones décide alors d’explorer le vice sous toutes ses formes. D’abord initiée par le Professeur (Harry Reemes, déjà vu dans GORGE PROFONDE et qui participa plus tard au très malsain FORCED ENTRY de Shaun Costello), la jeune femme va ensuite goûter aux joies du saphisme sur un immense matelas, trouver des utilisations inédites à des pommes, raisins et bananes, laisser un serpent diabolique parcourir son corps ou se masturber avec un jet d’eau. Elle connaîtra aussi le triolisme et vivra une anthologique double pénétration avant de se retrouver en Enfer, perpétuellement stimulée mais incapable de se satisfaire, alors qu’un fou (le cinéaste himself- sous pseudo) déblatère des pensées mystico délirantes.
L’intrigue de L’ENFER POUR MISS JONES est donc intéressante, s’inspirant du Huis Clos de Sartre (mais si!) comme de la Quatrième Dimension, pour aboutir à un résultat souvent plus étrange que véritablement érotique. La séquence lesbienne demeure pourtant un parfait exemple de sensualité, conférant au film son passage le plus célèbre et le plus émoustillant, loin devant la très classique (mais à l’époque rarement vue!) double pénétration finale. Georgina Spelvin et sa compagne de l’époque, Judith Hamilton (créditée comme Clair Lumiere), effectuent un acte tout en douceur qui reste le grand moment émoustillant d’un DEVIL IN MISS JONES sinon sans doute trop déprimé et déprimant pour titiller réellement l’imagination. La scène avec le serpent ondulant sur le corps de l’actrice qui le glisse finalement dans sa bouche (et pas ailleurs, désolé pour les plus pervers!) est également mémorable.
Georgina Spelvin, alors âgée de 36 ans, possède de grandes qualités d’actrices ainsi qu’un physique agréable, sans verser dans les stéréotypes de la porn-star qui prévaudront durant la décennie suivante. Même si elle a été critiquée, beaucoup ne la jugeant pas assez attractive, Spelvin déborde d’une véritable vigueur fort éloignée des performances mécaniques des hardeuses actuelle. Regrettons toutefois que son maquillage outrancier lui enlève une partie de sa sensualité naturelle.
L’héritage du métrage de Damiano fut également important puisque, au fil du temps, les grands noms du hard s’amusèrent à lui rendre hommage. Après Henry Pachard avec L’ENFER POUR MISS JONES 2 (toujours avec Spelvin dans le rôle principal), Gregory Dark, le plus louftdingue des cinéastes X déclina le titre en livrant les chapitres 3, 4 et 5 avant de laisser Antonio Passolini (CAFE FLESH 2 et 3, NEW WAVE HOOKERS 6 et 7) conclure (provisoirement?) la saga avec DEVIL IN MISS JONES 666. Signalons enfin la sortie récente d’un remake (THE NEW DEVIL IN MISS JONES) signé Paul Thomas bénéficiant d’un bref caméo de Spelvin. Sans oublier l’inévitable version masculine (DEVIL IN MISTER JONES)…
Pour revenir à cet ENFER POUR MISS JONES initial, disons que ce titre devrait davantage intéressé les cinéphiles curieux que les acharnés pornophiles. La relative intelligence du script, les dialogues plus recherchés que de coutume et le côté très naturel des acteurs et actrices, associés à une vision plutôt sombre de la sexualité, bercée de références judéo-chrétiennes et de notions de péché, risquent de refroidir ceux qui ne cherchent qu’une excitation facile et immédiate. Par contre, pour ceux qui pensent que le cinéma porno peut-être autre chose qu’une manière d’user des kleenex y trouveront sûrement leur compte. A coup sûr, un des plus gros classiques de l’âge d’or du genre, aux côtés de DERRIERE LA PORTE VERTE des frères Mitchell.


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- Article rédigé par : Frédéric Pizzoferrato

- Ses films préférés : Edward aux Mains d’Argent, Rocky Horror Picture Show, Le Seigneur des Anneaux, Evil Dead, The Killer

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