retrospective

Les 3 diables rouges

LES TROIS DIABLES ROUGES est un des nombreux « serials » produit par la Republic pour contenter un public avide de divertissement hebdomadaire. Rappelons que le principe du « serial » consiste à décomposer un film en une quinzaine d’épisodes, chacun durant en moyenne un quart d’heure. Ancêtre de nos modernes « feuilletons » télévisés, les « serials » sont projetés dans les salles en guise d’amuse-bouche, juste avant le long-métrage, et généralement tournés avec un budget restreint.
Les origines du « serial » datent de l’ère du muet et on dénombre déjà de tels « films à épisodes » en 1910. La plupart ressortent du Western, du policier ou de la science-fiction et chaque segment se termine de manière abrupte par un « cliffhanger » voyant le héros (ou une belle demoiselle) coincé dans une situation périlleuse et inextricable. Au spectateur de revenir la semaine suivante pour assister au triomphe de l’ingénuité héroïque sur la malfaisance criminelle. La transition vers le parlant et la Grande Dépression porta un coup fatal à nombre de petites compagnies spécialisées mais d’autres prirent la relève, en particulier la Republic. Entre 1935 et la fin des années ’50 cette compagnie livra de très nombreux « serials » (plus d’une soixantaine), souvent réputés, ainsi que des long-métrages de qualité comme MCBETH, IWO JIMA, JOHNNY GUITAR, L’ANGE ET LE MAUVAIS GARCON, RIO GRANDE,…
LES TROIS DIABLES ROUGES fut longtemps considéré comme un des meilleurs « serials » du cinéma, affirmation un peu ironique lorsque l’on sait qu’elle fut formulée à une époque ou seul une dizaine de ces métrages étaient visibles par les critiques. Cependant, ce point de vue fut plus récemment réaffirmé (entre autre par l’historien Roland Lacourbe) à présent que la plupart des « serials » sont accessibles aux amateurs. En tout cas, le métrage est bougrement divertissant et déroule une intrigue parfaitement farfelue mais enthousiasmante dans la grande tradition du cinéma populaire.
Harry Crowl, un criminel évadé préférant répondre à son matricule de 39-0-13 imagine un plan diabolique pour se venger du millionnaire Horace Granville. Il kidnappe Granville, le retient prisonnier dans sa propre maison et se grime à son image, prenant sa place tout en restant, soi-disant pour ménager sa santé fragile, dans une pièce vitrée en compagnie de son médecin. 39-0-13 décide ensuite de détruire toutes les possessions de son ennemi et il commence par un cirque dans lequel opère un trio d’acrobates connus sous le surnom des « Trois diables » : Gene, Bert et Tiny. Malheureusement, dans l’incendie du cirque le petit frère de Gene, Sammy, meurt et les « Trois Diables » se lancent sur la piste de 39-0-13. Agissant en tant que détectives privés, ils sont engagés par Granville (en réalité 39-0-13 donc !) qui tente de les supprimer en les envoyant à la mort. Cependant nos casse-cous peuvent compter sur l’aide d’un mystérieux informateur signant ses messages d’un Cercle Rouge.
A l’exception de quelques intermèdes comiques embarrassants menés par un acteur noir surnommé Snowflake, LES TROIS DIABLES ROUGES joue la carte d’une action frénétique et non stop. Ces séquences voulues humoristiques risquent d’ailleurs de ne plus faire sourire grand monde, nos braves héros se moquant du pauvre domestique aux prises avec un chien ou tombant à la renverse sans susciter de leur part autre chose qu’une hilarité méprisante. Mais passons sur ces gags malheureux pour se concentrer sur l’essentiel : l’action !
Nos trois diables possèdent en effet chacun une caractéristique spécifique dont ils usent à de nombreuses reprises: l’un est un véritable Hercule, le second un roi de l’évasion doublé d’un acrobate d’une grande souplesse et le dernier un plongeur émérite. Des qualités indispensables tant le cruel 39-0-13 rivalise de malignité pour essayer de les éliminer. Bien sûr, il apparaît hautement improbable qu’un criminel enfermé 15 ans derrière des barreaux puisse disposer d’un réseau de complices prêt à suivre n’importe laquelle de ses directives. Comment expliquer aussi, autrement que par la magie du cinéma, l’impossibilité de ce soi-disant génie du crime à abattre trois artistes de cirque, lesquels ruinent en quelques jours son plan machiavélique conçu depuis des lustres. Et pourquoi imaginer des pièges aussi improbables alors que ses servants pourraient tuer nos diables d’une balle bien placée ? En fait il ne s’agit pas de chercher la vraisemblance mais simplement de se laisser porter par cet équivalent cinématographique d’un roman de gare mal écrit et stupide mais dont on ne peut s’empêcher de tourner les pages. LES TROIS DIABLES ROUGES et Dan Brown même combat ? Presque.
Le scénario de ce « serial » fut d’ailleurs confectionné à partir d’une série d’idées toutes plus folles les unes que les autres, les auteurs imaginant une dizaine de pièges mortels pour neutraliser nos héros. L’un, roulant en moto, se voit ainsi poursuivi, dans un tunnel, par des trombes d’eau, un autre manque de tomber d’une échelle à grande hauteur, etc. LES TROIS DIABLES ROUGES ne lésine pas non plus sur les bagarres, courses poursuites et autres destructions massives, lesquelles se succèdent à un rythme soutenu. Bien sûr, le principe du « serial » entraine également certaines redondances un peu lassante tant les chapitres finissent par se ressembler dans leur construction. En gros, le méchant envoie les « diables » enquêter tout en leur préparant un piège, une bagarre s’ensuit et les héros finissent l’épisode en mauvaise posture. Néanmoins, LES TROIS DIABLES ROUGES contourne en partie ce problème de redite en condensant l’action sur douze chapitres nerveux et efficaces. Quoiqu’elle soit légèrement irritante sur la longueur, la musique soutient, elle aussi, l’action et confère au métrage la nervosité nécessaire.
En dépit de ces absurdités scénaristiques, LES TROIS DIABLES ROUGES se montre également malin en contournant les principales invraisemblances, comme ce méchant portant un masque lui donnant le visage de son ennemi. Ce truc éculé (on le retrouvera pourtant, bien plus tard, dans FANTOMAS ou MISSION IMPOSSIBLE) est ici rendu crédible par cette pièce de verre dans laquelle se voit confinée le méchant, prétextant une maladie pour rester à l’écart des personnes susceptibles d’éventer la supercherie. L’identité du fameux « Red Circle », par contre, s’avère moins surprenante et la plupart des spectateurs l’auront devinée bien avant le onzième chapitre même si le savoir faire des cinéastes laisse planer un doute légitime et que deux ou trois candidats sont envisageables. L’idée du piège mortel (un réservoir d’eau devant être rempli à intervalles réguliers sous peine de libérer un gaz toxique) assurant à 39-0-13 la mort de son ennemi s’il devait être capturé ajoute un autre élément de suspense original et bienvenu, permettant une conclusion riche en rebondissements. Certains peuvent sourire des astuces mises en place ou des idioties du script mais les recettes utilisées ne sont guère moins vraisemblables que celles développées par des séries modernes et populaires comme « 24 Heures Chrono » reprenant ce souci perpétuel du cliffhanger. La manière dont les trois diables se précipitent inlassablement dans les pièges tendus à leur encontre demande aussi un peu d’indulgence et on peut trouver étrange que la mort du petit frère, première motivation des actions de nos héros, soit ensuite à peine évoquée. Leur seul souci parait d’arrêter le méchant pour faire triompher la justice et le bon droit. Des héros, des vrais !
Les interprètes, pour leur part, se révèlent excellents, à commencer par Charles Middleton (célèbre pour son rôle de Ming dans les FLASH GORDON) et Miles Manders incarnant le pauvre millionnaire captif ainsi que le grand méchant lorsque celui-ci est grimé. Du beau boulot. Les trois « diables », eux, usent adroitement de leurs caractéristiques et particularités, Charles Quigley, Dave Sharpe et Charles Bennett (sous son pseudo habituel de Herman Brix) injectant beaucoup d’énergie à leur personnage. Enfin l’indispensable élément féminin est fourni par la belle Carole Landis, laquelle, après une existence agitée (4 mariages, divers problèmes de santé,…) se suicida à 29 ans.
La mise en scène de William Witney et John English se montre de son coté énergique à souhait et ne laisse guère au spectateur le temps de reprendre son souffle, ce qui est exactement ce qu’on espère de ce type de production de pur divertissement. Si le public prenait le temps de s’interroger sur la bêtise des péripéties tout l’édifice s’écroulerait mais la science des cinéastes consiste justement à ne laisser aucun répit et à foncer à toute allure d’un rebondissement à un autre.
Quelque peu indigeste regardé d’une traite à cause des récapitulations d’environ trois minutes débutant chaque chapitre et d’un avant-dernier épisode composé de séquences déjà vues précédemment, LES TROIS DIABLES ROUGES se déguste avantageusement dans le format pour lequel il a été conçu, c’est-à-dire par petits bouts. Très divertissant, le métrage constitue en tout cas une parfaite introduction à ce genre trop méconnu chez nous et encore populaire auprès des fans américains, du « serial ».

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