Les 5 Survivants

Un texte signé Stéphane Bex

Etats-Unis - 1951 - Arch Oboler
Titres alternatifs : Five
Interprètes : Susan Douglas, William Phipps, Charles Lampkin, James Anderson, Earl Lee

Explosion nucléaire. Un brouillard radioactif s’est étendu sur l’ensemble de la terre provoquant la disparition de l’humanité tout entière. Se pensant la seule survivante, Roseanne rencontre Michael qui s’est retiré loin des villes. Charles, un afro-américain et Oliver, modeste employé de banque viendront compléter le groupe des survivants, suivi d’Eric, un alpiniste raciste. Tout ce petit monde peut-il cohabiter, et ce quand la grossesse dévoilée de Roseanne, le repli de Michael et l’animosité de plus en plus manifeste de Eric envers Charles créent un climat de tension grandissante ?

Connu dans l’histoire du cinéma pour être officiellement le premier film post-apocalyptique à évoquer le désastre consécutif à une guerre nucléaire totale, LES 5 SURVIVANTS (FIVE) d’Arch Oboler paru chez Artus Films, pourrait ne constituer que le premier jalon historique d’un sous-genre qui comprendra entre autres dans les années 50 et 60, DAY THE WORLD ENDED (1955) et LA DERNIERE FEMME SUR TERRE (1960) de Roger Corman, LE MONDE, LA CHAIR ET LE DIABLE de MacDougall (1959), LE DERNIER RIVAGE de Stanley Kramer (1959), LE JOUR OU LA TERRE PRIT FEU de Val Guest (1961), PANIQUE ANNEE ZERO de Ray Milland (1962), LA JETEE de Chris Marker (1962) ou encore JE SUIS UNE LEGENDE de Salkow et Ragona (1964).
A ce titre, le film d’Oboler serait déjà digne d’intérêt, mettant en place les éléments d’un mélodrame apocalyptique dont on retrouvera le déploiement des variations par la suite : une femme seule au milieu d’un groupe d’hommes entraînant dissension et rivalité, questionnement politique à travers la constitution des alliances et des clans, refondation éthique d’un mode de vie communautaire avec un sous-texte biblique perceptible dans le cinéma hollywoodien.
Il est certain que, comparé à quelques-uns de ses successeurs, le film d’Oboler peut parfois faire piètre figure, notamment quant à la description d’un monde post-apocalyptique. En effet si l’image stock shot de l’explosion de la bombe (introduction que reprendra d’ailleurs Corman dans DAY THE WORLD ENDED) vient donner au film le sceau apparent du réalisme documentaire, la suite de l’histoire ne propose que quelques rues vidées, des voitures abandonnées et un ou deux squelettes de train fantôme moins suggestifs que ridicules. On est loin de la beauté du New-York déserté que l’on trouve dans LE MONDE, LA CHAIR ET LE DIABLE, et l’on ne retrouve ni l’onirisme froid de LA JETEE ni la puissance dramatique des plans qui ouvrent JE SUIS UNE LEGENDE.
Au vrai, ce n’est pas là ce qui semble en premier lieu intéresser Oboler qui prend prétexte de la situation pour entamer une réflexion politique. LES 5 SURVIVANTS est donc moins une œuvre de science-fiction qu’elle n’hérite de la tradition utopique et des huis-clos fictionnels qui lui servent de laboratoire. La confrontation des sexes et des ethnies entraîne ici le film dans un jeu de variables reposant la question des fondements sociaux. Si Roseanne semble attirée par Michael, elle refuse cependant de se donner à lui, par fidélité envers son époux dont elle ignore s’il est ou non encore vivant. De même la difficile cohabitation entre Charles et Eric, raciste avoué, vient-elle s’adjoindre à un dilemme concernant l’habitat : fait-il rester à l’écart des villes dans la maison de Michael ou bien tenter de regagner les villes pour peut-être y trouver d’autres survivants et ne plus être dès lors obligé à une promiscuité difficile ? On aura reconnu un des principaux enjeux des séries post-apoclyptiques actuelles et notamment de THE WALKING DEAD faisant alterner ses personnages entre phases nomades et phases sédentaires.
Ce questionnement s’inscrit plutôt chez Oboler dans le cadre d’une tradition agrarienne, retraduite ici sous la forme d’une idylle pastorale post-apo, reprenant quelques-uns des thèmes du cinéma hollywoodien des années 30. Oboler y défend à travers le personnage de Michael un conservatisme patriarcal bon teint qui associe la fécondité de la femme à celle de la terre, seule promesse valable pour une refondation mythique et politique. Cet appel au repli communautaire, à l’exploitation rurale hérités tout droit de l’esprit pionnier vient ici s’opposer à la modernité capitaliste incarnée par Eric, individu ivre de pouvoir et incarnation de ce fascisme qu’Oboler n’a eu de cesse de combattre dans toute son œuvre. Et si la leçon de morale finale gêne dans le rappel à l’ordre qu’elle convoque, on peut dire en revanche que la veine lyrique d’Oboler rattrape cette lourdeur en adaptant le mélodrame et ses affects aux effets d’une Nature qui épouse l’évolution des personnages. Le film réserve ainsi quelques très beaux instants poétiques, notamment dans la séquence de pluie finale qui vient réassurer l’entente future du couple.
Autre point à verser au crédit d’Oboler, celui d’une organisation dramatique solide et efficace en même temps que non dépourvue d’originalité. La constitution de l’intrigue en escalier (longues plages séparées par des ruptures brusques) permet d’échapper à la pesanteur des transitions qui parfois occultent par souci d’une construction harmonieuse l’essentiel des enjeux. De même, l’arrivée progressive des personnages et leur remplacement tendent à étirer naturellement temporellement l’action sans besoin de lui offrir des rebondissements artificiels. On retrouve ici l’habileté de l’homme de radio qu’a été principalement Oboler connu pour son sens du développement et de l’exploitation d’une figure donnée.
Autre originalité encore à mettre au crédit d’Oboler : celle du décor principal constitué par sa propre maison conçue et architecturée par Frank Lloyd Wright. Les nombreux décochages et superposition en profondeur des plans, la multiplication des points de vue qui y sont offerts autorisant une pratique signifiante des focales, le jeu d’opposition entre extérieur et intérieur et la constitution en labyrinthe de la demeure, expriment avec netteté les diverses phases dramatiques du film et lui offrent une caisse de résonance originale palliant souvent des acteurs un peu empêchés, Oboler ayant l’air d’avoir voulu isoler ces personnages dans le moment même de leur réunion, ce qui a pour effet de produire des décalages assez curieux.
Au final, on reconnaît ici clairement la patte de l’artisan radiophonique, dans l’établissement du récit comme dans l’arrière-plan sonore travaillé par de discrets effets plus propres à fournir une atmosphère originale que la musique d’Henry Russell, plus convenue. Et de la contrainte budgétaire importante (seulement 75000 dollars de budget), Oboler se sort sinon avec éclat, du moins avec honneur, en pratiquant un resserrement géographique et dramatique et en ouvrant la complexité du décor architectural au lyrisme de son contre-champ.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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