Les 7 jours du Talion

Un texte signé Éric Peretti

Québec - 2010 - PodZ alias Daniel Grou
Interprètes : Claude Legault, Rémy Girard, Martin Dubreuil, Fanny Mallette, Rose-Marie Coallier, Alexandre Goyette, Dominique Quesnel, Pascale Delhaes, Pascal Contamine, Daniel Desputeau, Valérie Gervais-Lillo

Encore très peu connu de ce côté de l’Atlantique, le romancier québécois Patrick Sénécal jouit dans son pays d’une grande notoriété. Ses écrits, souvent à la limite du fantastique, mêlent habilement horreur, suspens et violence. Ajoutons à cela un talent certain pour capter l’attention du lecteur dès les premiers chapitres, rendant ce dernier accroc au récit, et il n’en faut pas plus pour que les critiques littéraires fassent de l’écrivain le Stephen King local. Les producteurs ne pouvaient rester indifférents face à un tel phénomène et c’est en 2008 que deux romans de l’auteur sont adaptés au cinéma. 5150, RUE DES ORMES, brillante transposition d’un texte qui ne demandait qu’à se traduire en images, sera le premier à sortir, en 2009. Un an plus tard débarque sur les écrans l’adaptation de son livre le plus complexe, le glaçant et potentiellement polémique LES 7 JOURS DU TALION.
Dans une banlieue huppée du Québec, le chirurgien Bruno Hamel vit paisiblement en compagnie de sa femme et de sa fille, Jasmine. Un beau jour, fatigué après avoir pratiqué une intervention difficile, il n’accompagne pas sa fille à l’école. À son réveil, un camarade de Jasmine lui apprend que cette dernière n’était pas en classe. Paniqué, le couple appelle la police et Bruno refait le trajet effectué par sa fille en compagnie des agents. C’est dans un terrain vague jouxtant les habitations qu’ils découvriront le corps sans vie de l’enfant de huit ans, violée et martyrisée. Le coupable, Anthony Lemaire, récidiviste en matière de crime à caractère sexuel, sera rapidement arrêté et confondu par le résultat des tests scientifiques. Brisé par la perte de sa fille, Bruno Hamel prépare méthodiquement l’enlèvement et la séquestration du criminel. Une fois l’homme sous sa coupe, il prévient la police qu’il va le torturer durant sept jours avant de l’exécuter puis, il se rendra à la police…
Thème universel et intemporel, la vengeance a toujours été un fondement solide pour la construction de récits captivants. Accommodée à tous les genres, ces dernières années elle aura été grandiose dans KILL BILL, ou minutieuse et implacable pour les besoins de OLD BOY. Très souvent accompagnée de sa demi-sœur la violence, qui peut être physique et/ou psychologique, la vengeance amène forcément des interrogations sur la légitimité de sa pratique et tout récit un peu trop complaisant à son propos s’attire généralement les foudres des critiques bien-pensants qui n’hésitent pas à parler de fascisme ou d’œuvre réactionnaire. Dans LES 7 JOURS DU TALION, c’est la perte d’un enfant, dans des conditions atroces, qui est le moteur des représailles et il est difficile de ne pas se ranger aux côtés de ce père dont la vie ne sera plus jamais la même.
Alors que dans UN JUSTICIER DANS LA VILLE la vengeance du Paul Kersey est menée de façon aléatoire et finit par lui procurer une certaine satisfaction, celle de Bruno Hamel est dirigée vers le responsable de sa détresse, Anthony Lemaire. Il n’y a aucun doute quant à la culpabilité de ce dernier, on sait clairement que le docteur Hamel est face à un coupable qui, dans un premier temps, va nier les faits avant de les reconnaître et d’en avouer d’autres. Devenant bourreau par la force des choses, le chirurgien passe à l’acte méthodiquement, de façon clinique, mû par la douleur et le remords d’avoir laissé sa fille à la portée d’un monstre. Au début du film on découvre le praticien alors qu’il termine une opération délicate, faisant preuve d’un calme imperturbable. Il montrera le même sang froid lors de l’exécution de sa vengeance. Il refuse de dialoguer avec sa victime afin de garder une distance, la même qui le sépare de ses patients endormis, eux aussi nus et offerts à son bistouri. Le premier jour, il brise violemment le genou de Lemaire puis, à chaque nouvelle journée, poursuit ses sévices en allant toujours plus loin dans l’horreur, quitte à sombrer mentalement.
La loi est représentée par le policier Hervé Mercure, sorte de double alternatif de Bruno Hamel, veuf qui se repasse inlassablement une bande de vidéo surveillance montrant sa femme abattue à bout portant par un braqueur. Mercure, par peur ou réflexion, n’est pas passé de l’autre côté du miroir de la moralité. Même s’il sait que l’assassin de sa femme est en prison, il souffre toujours de cette perte. On voulant retrouver Lemaire avant sa mise à mort, c’est avant tout Hamel qu’il veut sauver. Au regard du devenir de ces deux personnages, à la fois similaires dans leur souffrance mais différents dans la façon de l’exprimer, le constat est d’une noirceur total, il n’existe pas de solution.
Curieux film que celui-ci, doté d’une photographie glacée et d’un format scope parfaitement maîtrisé, il passionne autant qu’il interroge. Rien ne nous est épargné des horreurs commises, de la découverte d’un cadavre d’enfant violé à une opération sans anesthésie, nous sommes les témoins voyeurs d’un cycle de violence. Vu le caractère ignoble du crime, il nous est difficile de rester insensible et de ne pas soutenir Bruno Hamel dans sa démarche vengeresse, comme de nombreux personnages dans le film, bien que la question de la légitimité ne soit pas le sujet du récit. Renforcés par l’absence de musique, la sécheresse de ton et le refus de sombrer dans un débordement gratuit et facile de torture font des 7 JOURS DU TALION une œuvre atypique qui, en plus de s’imposer comme une pièce maîtresse du cinéma québécois, fait éclater au grand jour le talent de son metteur en scène, PodZ. Venu de la télévision pour laquelle il a réalisé de nombreuses séries en y imprimant déjà un style visuel à l’élégante efficacité et son talent pour faire passer toutes les émotions du non-dit, Daniel Grou est un cinéaste à suivre de très près.


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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