Les affamés

Un texte signé Sophie Schweitzer

Canada - 2017 - Robin Aubert
Interprètes : Marc-André Grondin, Monia Chokri, Micheline Lanctôt, Marie-Ginette Guay, Brigitte Poupart

Dans la campagne québécoise, un duo de comiques, une femme d’affaires énervée en berline, un binôme de vieilles femmes suspicieuses, un gamin et un vieil homme tentent de survivre au milieu d’une épidémie rendant ses victimes littéralement affamées de chair humaine fraîche. Du chasseur au chassé, les rôles ne tardent pas à s’inverser, et la survie à prendre la forme d’une traque sans fin.

Autant le dire tout de suite, le film du Canadien Robin Aubert (réalisateur de la série LES INVINCIBLES passée sur Arte et de MAUDITE POUTINE) est une petite perle qui a été primée à Gérardmer, le festival du film fantastique héritier d’Avoriaz. Mélange des genres : le film de zombie très classique dans sa forme jusqu’à ses références, le cinéma indépendant américain, le film d’auteur à la française et le buddy movie américain. Un cocktail détonnant qui pourtant fait des étincelles par l’intelligence d’une mise en scène ciselée.

Le film commence en nous montrant des bois où une voiture est retournée, de la fumée sort du moteur, les portières sont grandes ouvertes et puis on entend des hurlements pleins de rage avant de voir jaillir dans le cadre un vieil homme. La caméra tourne à 45° et dévoile ses poursuivants. La mise en scène repose beaucoup sur des entrées et sorties de champ des personnages comme au théâtre. Il faut dire qu’il y a un petit côté vaudeville, burlesque et grand-guignol dans l’humour et ce que dit le hors-champ. Parce que le film s’adresse à un public d’initiés, tout le monde aujourd’hui a vu au moins un des films de George Romero ou un épisode de THE WALKING DEAD alors LES AFFAMES se permet de laisser l’imagination du spectateur combler une économie de moyens, mais aussi, par ce biais, de jouer avec les attentes du spectateur.

Il y a aussi une science du montage. Que ce soit dans un effet comique, laisser le plan durer jusqu’à ce que l’absurdité d’une scène fasse sens, mais aussi afin de créer l’angoisse ou l’émotion. Il y a plusieurs séquences notables comme celle avec cette mère et sa fille dans les bois, qui fait immédiatement appel à une imagerie de conte de fées évoquant tout à la fois le film INNOCENCE de Lucile Hadzihalilovic et MON PETIT DOIGT M’A DIT de Pascal Thomas. Et puis il y a cette scène où le duo de comiques est allongé à l’arrière du pick-up qui est d’une intensité au niveau de l’émotion avec pourtant une mise en scène très simple dont le cadre très fermé évoque la réalisation de Wes Anderson (MOONRISE KINGDOM, LA VIE AQUATIQUE).

Et puis, il y a de l’ésotérisme et du mystère qui se distille, transformant peu à peu le film. Au fur et à mesure que nos survivants progressent, nous en découvrons plus sur les morts et le mystère semble s’épaissir donnant une atmosphère de pure angoisse comme Lucio Fulci savait le faire avec sa quadrilogie de la mort (L’ENFER DES ZOMBIES, FRAYEUR, L’AU DELA, LA MAISON PRES DU CIMETIERE). L’atmosphère pesante n’est pas sans rappeler celle que convoquait Romero notamment dans LE JOUR DES MORTS VIVANTS avec sa horde de zombie qui paraissent si humains au fond ou encore Clive Barker dans sa manière de traiter les morts et les monstres comme des entités mystiques qu’on pourrait presque vénérer.

Sans son casting, le film n’aurait sans doute pas un tel impact. Tous les acteurs sont à saluer, mais on peut faire une mention spéciale à Marc-André Grondin et Monia Chokri qui portent le film, à Micheline Lanctôt et Marie-Ginette Guay dont le duo frise l’excellence et captive immédiatement, mais aussi à Brigitte Poupart dont la badassitude est digne d’un film de Quentin Tarantino.

LES AFFAMES est un film dans lequel on sent le profond respect qu’a son réalisateur pour l’œuvre de George Romero, et pour le cinéma de genre en général. C’est aussi une œuvre intelligente qui joue avec les codes des différents genres qu’elle aborde. Il y a une maîtrise du ton, un équilibre savamment dosé entre l’humour et l’horreur qui n’est pas sans rappeler ce que disait Molière sur le fait d’utiliser l’humour pour abaisser les défenses du spectateur. Le film nous amène sur des terres étrangères qu’il est bon d’explorer.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà


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