Un texte signé Philippe Delvaux

Italie - 1983 - Franco Prosperi
Titres alternatifs : Wild beasts on the loose !, The wild beasts, violenta dall ‘uomo – la natura si rubella, belve feroci, la noche de la fiera
Interprètes : Lorraine De Selle, John Aldrich, Ugo Bologna

retrospective

Les bêtes féroces attaquent

Une eau contaminée percole jusqu’au zoo d’une ville allemande – on devine Francfort – où elle est bue par les animaux qui deviennent agressifs. Tigres, lions, ours, éléphants s’échappent bientôt, attaquant quiconque se trouve sur leur passage. Rip Berner, le vétérinaire du zoo, et sa compagne journaliste Laura Schwarz auront bien du mal à ramener le calme dans une ville paniquée.

L’ouverture pose les éléments constitutifs du film : une ville moderne, ses commerces, ses quartiers de bureaux, son zoo… et son monde underground : la caméra descend l’escalier du métro, maculé de papiers sales et de seringues usagées. Nous arrivons enfin au réseau de distribution d’eau courante, circulant écumante à travers la cité pour aboutir au zoo où elle est lapée par les animaux. Une citation sépare le générique du début de l’action, assénant que « notre folie entraine avec nous tout le monde pour le perdre, y compris les animaux et les enfants ». Au zoo, le vétérinaire Rip Berner débute une nouvelle journée. Familier de ses pensionnaires, il peut approcher les fauves, manipuler les serpents… il maitrise son petit monde. Il salue Krader, un compositeur aveugle qui enregistre depuis peu les cris d’animaux pour les inclure dans sa prochaine création. Rip est aidé par sa nouvelle compagne, la journaliste Laura Schwarz, femme moderne tellement prise par son travail qu’elle délaisse quelque peu sa fille préadolescente Suzy, issue d’une précédente relation. C’est donc au son des instructions laissées par sa mère sur le répondeur familial que Suzy se lèvera, seule, pour aller à l’école et par la suite à son cours de danse. Elle ne verra sa mère qu’à l’issue de la longue journée de travail de cette dernière. C’est peu dire que Suzy a développé un caractère bien trempé.

En fin de journée justement, la catastrophe éclate. Ce sont d’abord les rats qui, les premiers contaminés via le réseau d’égout, se jettent sur un jeune couple en plein ébat dans leur voiture. C’est ensuite Bert, le chien du compositeur qui attaque son maitre. Ce sont enfin les animaux du zoo, qui deviennent fou et profitent d’une panne électrique causée par les éléphants pour s’enfuir de leurs cages désormais ouvertes et se répandre dans la ville. Appelé par la police sur les lieux de l’accident avec les rats, Rip récupère quelques-uns de ces derniers pour analyser leur salive, espérant y découvrir la cause de leur folie. Quittant son congrès, Laura tente de rejoindre sa fille, insuffisamment consciente du danger. Suzy et ses condisciples du cours de danse devront quant à elle échapper à un ours polaire.

LES BETES FEROCES ATTAQUENT est un parfait condensé du cinéma déviant italien des années ’80. A la croisée de divers genres, il nous offre un réjouissant spectacle qu’il serait absolument impossible de recréer de nos jours de la même façon. Impossible, voire même impensable, à l’instar de ce plan de présentation de Suzy, la montrant au saut du lit les seins presque nus. Un plan difficile à imaginer de nos jours et qui à l’époque ne posait pas de problème particulier. Le cinéma d’horreur aime souvent à se parer de quelques atours érotiques, le frisson de la peur se confondant parfois avec l’émoi sensuel. Ainsi, les rats attaqueront-ils la traditionnelle imprudente jeunesse, toujours occupée à forniquer dans une voiture. Le pêché de chair est souvent cruellement puni dans le cinéma d’horreur.

Mais on l’a dit, LES BETES FEROCES ATTAQUENT s’acoquine avec plusieurs registres du cinéma populaire d’alors. La dominante majeure est bien entendu celle de la peur, causée ici par l’attaque de bêtes sauvages, mais on trouve aussi des traces d’autres genres. Ainsi de l’aveugle qui semble tout droit sortir d’un giallo. L’autre versant évident d’où LES BETES FEROCES ATTAQUENT trouve sa source est le mondo. Ici, nous sommes en plein dans une fiction assumée, et non dans un pseudo documentaire. Mais nous en retrouvons le caractère répulsif, élément constitutif depuis MONDO CANE, et qui s’épanouira dans les ’70 dans cet autre sous-genre qu’est le film de cannibales. Si nous citons ce dernier, c’est que LES BETES FEROCES ATTAQUENT reprend l’idée de la dévoration, ici ramenée à celle de l’homme par l’animal. Si elle peut nous paraitre moins répugnante que celle de l’homme par son semblable, elle en est par contre plus puissante car potentiellement plus probable : le risque de se faire dévorer par un animal sauvage est plus élevé que par un primitif du bout du monde. Le mondo a d’ailleurs déjà montré des scènes de dévoration humaine tout comme la série des FACE À LA MORT. Enfin, l’invasion d’une ville par des hordes d’animaux hostiles, semant la pagaille et la désorganisation n’est pas sans évoquer le cinéma zombi, tant dans la version américaine de son géniteur Georges Romero que dans celle de ses épigones italiens. L’argument de la contamination qui rend fou renvoie même assez directement à LA NUIT DES FOUS-VIVANTS (THE CRAZIES). L’attaque des rats sera développée, un film durant, dans LES RATS DE MANHATTAN du « zèdeux » Bruno Mattéi.

De manière moins appuyée, Prosperi développe une autre thématique, celle du rapport adultes-enfants. Ceux-ci se font plutôt sur un mode conflictuel : la discussion entre Laura et Rip à propos des enfants, la messagerie comme intermédiaire entre Laura et sa fille, le bébé tigre mordant sa mère qui, en retour, tue une partie de sa progéniture… L’ultime séquence prend le chemin des RÉVOLTÉS DE L’AN 2000, ce qui aurait pu servir d’amorce pour une suite à LES BETES FEROCES ATTAQUENT, centrée sur les enfants en lieu et place des animaux. Hélas, petit bémol, le film se clôt de manière bien trop abrupte et nous amène à un télex final amenant un happy end sorti de nulle part. Une déception donc, mais qui n’obère pas notre jugement globalement positif sur l’œuvre.

Les films animaliers sont un genre en soi et se déploient tant sur le mode de l’humour, du film familial, de l’aventure, du documentaire que du ciné d’exploitation comme c’est ici le cas. Son versant de l’horreur aura régulièrement utilisé la peur que nous inspire le monde bestial, le danger que représentent les bêtes, domestiques, sauvages, mammifères, insectes… Franco Prosperi nous la joue sur un mode forain du « toujours plus » : pourquoi se limiter à une seule espèce quand on peut disposer d’une ménagerie complète ?

Quelques mots sur les conditions de tournage. Si l’intrigue semble se dérouler dans une ville allemande, coproduction oblige, le tournage s’est principalement déroulé entre l’Italie et l’Afrique. LES BETES FEROCES ATTAQUENT devait initialement être filmé au Zimbabwe, avant que des troubles n’éjectent la production vers l’Afrique du Sud, le surplus étant tourné à Rome, pour mieux recréer la ville européenne dépeinte. Revenant sur ses souvenirs de tournage, Franco Prosperi raconte que celui-ci s’est parfois confondu avec l’intrigue elle-même. Ainsi des éléphants amenés dans l’aéroport de Johannesburg qui se sont énervés au bruit des décollages et atterrissages, au point de devenir dangereux ; ainsi du tigre dans le métro de Rome, qui s’est échappé, paralysant quelques temps ledit métro et suscitant une certaine panique… exactement comme dans le film.

Le message du film est écologique, aux dires de Franco Prosperi : l’homme joue trop avec la nature, au point de la détruire. A un moment, celle-ci pourrait bien lui retourner la monnaie de sa pièce. Rien de très original ici, ce thème a été traité mille fois au cinéma. Le déclencheur de l’idée aurait été la lecture par Franco Prosperi d’un article relatant que des traces de cocaïne se trouvent dans l’eau de distribution. Près de trente ans plus tard, alors que nous rédigeons cette chronique, un article relativement similaire parait dans la presse, indiquant qu’une portion non négligeable des dollars en circulation dans le monde porte des traces de drogue. Le monde est un éternel recommencement !

Le mondo italien, et plus spécialement le sous-genre des films de cannibale, avait fort peu d’égards pour les animaux et ne s’est guère embarrassé de leur bien-être pour les besoins des tournages. On relève ainsi nombre de mises à mort animales non simulées, dont la véracité suscitait l’effet de dégout recherché. L’effet, qui choquait déjà à l’époque, ne serait tout simplement plus autorisé de nos jours. Ici, on se pose la question lorsque des pompiers dératisent à grands coup de lance-flammes. En interview, Franco Prosperi soutient cependant qu’il s’est agi de trucages et non de mises à mort réelles des rongeurs.

Au rang des réussites, on note une intrigue bien menée, quoique très prévisible, un rythme maitrisé, et surtout une ménagerie foisonnante : des rats, un berger allemand, tout le bestiaire des fauves, un ours polaire, 4 éléphants, un troupeau entier de buffles, de chevaux, vaches…
La production n’a pas mégotté sur ce point. L’intrigue située de nuit est une bonne idée, qui permet d’une part de limiter le nombre de figurants, mais aussi, du point de vue de la production, d’obtenir des autorisations complètement folles de tournage avec des animaux : des éléphants dans un véritable aéroport, des fauves courant dans un métro ou dans des artères commerçantes. On ne s’imagine plus trop de telles images tournées de nos jours, la prudence s’imposant partout et les images de synthèse dictant leurs lois. De même qu’on s’imagine mal ces plans d’enfants côtoyant un ours qui les poursuit. Le cinéma d’exploitation fleurte souvent avec l’art forain et celui des cascadeurs. La réalisation est très correcte et l’art du montage s’exprime ici dans le trucage nous faisant croire que des acteurs se trouvent à proximité de bêtes dangereuses (ce qui est parfois le cas, nombre de plans ne sont pas truqués). La photographie a en outre su capter la nuit et en restituer des images parfaitement lisibles. La direction des animaux leur fait casser des murs, passer à travers des vitre, courir en rue, sauter dans une rame de métro… le spectacle est assuré.

Au rang des faiblesses, rien de très grave, mais nous relevons quand même ce problème classique du cinoche d’exploitation : la trop grande décontraction d’acteurs préférant incarner des personnages « cools » plutôt que crédibles. Ici, vu la gravité de la situation, on s’étonne de ce que Rip Berner ne se départisse jamais de son calme, ou du flegme de l’inspecteur de police. Laura qui, au courant de la présence de fauves en liberté, décide quand même de rentrer en métro suscite de même des haussements de sourcils dubitatifs. Mais on le sait, la crédibilité n’a jamais été au centre des préoccupations de ce type de cinéma. Le spectacle prime. Lorraine de Selle, qui incarne Laura n’est pas inconnue de amateurs, qui l’ont entre autres croisée dans FILLE DE NUIT, LA MAISON AU FOND DU PARC ou CANNIBAL FEROX.

LES BETES FEROCES ATTAQUENT est sorti en salle en France le 30 octobre 1985.

In fine, on reste sur une très bonne impression. Si le cinéma transalpin entame alors son inéluctable dégénérescence, LES BETES FEROCES ATTAQUENT est son chant du cygne. Et qui aurait un jour pu classer ce gracieux animal parmi les bêtes sauvages ?


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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