Les Cent Cavaliers

Un texte signé Stéphane Bex

Italie - 1964 - Vittorio Cottafavi
Titres alternatifs : Les Fils du Cid
Interprètes : Mark Damon, Antonella Lualdi, Gastone Moschin, Arnoldo Foa, Hans Nielsen, Rafael Alonso

L’an 1000. Pas l’apocalypse mais presque puisqu’un petit village espagnol faisant commerce de blé se voit envahi par les cavaliers du cheikh Abengalbon, fils d’Abengalbon le Grand venu instaurer un régime de terreur sauvage. Le valeureux Fernand (Fernando), fils du preux Gonzalo, « tueur de Maures » saura-t-il sauver le village, rétablir la paix, gagner le cœur de la belle Sancha, fille de l’alcade du village, pourtant promise à Don Jaime Badaloz, et faire honneur enfin à son père en prouvant ses qualités de chef et de stratège ?

Sorti des presses d’Artus, LES FILS DU CID (titre absurde auquel on préfèrera le plus explicite I CENTO CAVALIERI) réalisé par Vittorio Cottafavi en 1964 est, disons-le de suite, un enchantement. Réalisée 5 ans après le beau péplum LES LEGIONS DE CLEOPATRE et 3 ans après le robuste et fantaisiste HERCULE A LA CONQUETE DE L’ATLANTIDE, cette fresque médiévale condense en effet tout l’art et la manière de Cottafavi.

1) Peu importe le sujet : ici il est affaire, sur fond historique de reconquista espagnole – efforts des Chrétiens pour reconquérir les royaumes chrétiens de la péninsule ibérique entre 722 et 1492 – d’une vague séquelle du CID (1961) réalisé par Anthony Mann et produit par Samuel Bronston, l’homme qui a commencé par Martin Eden, fini ruiné par FORT SAGANNE et a fait le parti d’aller tourner de grandes fresques en Espagne.

2) Un titre qui claque : si nenni du pluriel comme annoncé par le titre, du moins voit-on ici l’esprit chevaleresque de la figure héroïque infuser – avec difficulté certes – parmi ceux des villageois qui se rebellent contre l’autorité des Maures. La vertu, suggère ainsi Cottafavi, n’est pas génétique et héréditaire, mais se manifeste quand la situation le demande. C’est révolté par l’injustice que Fernando, simple marchand au début, deviendra au final un redoutable guerrier.

3) Une réflexion historique : la reconquista n’étant ici ouvertement qu’un prétexte – nulle trace en effet de prosélytisme religieux chez Cottafavi – il est bien plutôt question ici de politique, de géopolitique et d’économie contemporaine. L’arrière-plan historique du franquisme peut certes servir de lecture à cette guerre civile qui oppose les Maures et les Castillans. Mais qui les Maures représentent-ils ? La récupération par Franco des héros nationaux et notamment du Cid, semble indiquer a priori l’assimilation des Castillans aux nationalistes franquistes, assimilation que le film paraît cependant démentir jusque dans son final, appelant à pacification entre les deux partis en lutte. Prudence de la part de Cottafavi ? En tout cas, refus chez lui de toute propagande, le réalisateur préférant discuter plus largement du phénomène politique. Ici, des considérations sur la gouvernance des peuples – vaut-il mieux nourrir les ventres ou les affamer ? – s’intercalent entre deux scènes de comédie. Entre deux blagues, on discute manœuvres stratégiques et politique de la terre brûlée. Cottafavi invente ainsi le péplum médiéval et situationniste.

4) Rester populaire : la guerre et la politique sont tout autant l’oeuvre des peuples qui la subissent que celles des puissants qui gouvernent et commandent. Utile rappel à l’ordre de Cottafavi qui a voulu conserver à cette épopée son caractère populaire et truculent, en la peuplant de caractères proprement comiques et en lorgnant à l’occasion du côté de la farce (ah ! La scène du relai des saucisses!) : les rodomontades de Don Gonzalo (Arnoldo Foa) ; la lâcheté obséquieuse de Don Jaime (Rafael Alonso) ; les poltronneries des villageois cherchant plus à fuir le combat qu’à y acquérir gloire et honneur ; la mégère apprivoisée (la belle Antonella Lualdi ici au caractère bien trempé), l’allégresse joyeuse du héros (le bondissant Mark Damon), tout semble ici inspiré par les caractères et les types de la commedia dell’arte dont Cottafavi récupère le meilleur. Notamment le caractère du soldat fanfaron (Don Gonzalo), loin de toute vision héroïque et idéalisée. MATAMORE CHEZ LES MAURES aurait pu tout aussi bien se nommer l’oeuvre.

5) Mélanger les genres : fidèle à sa culture théâtrale et plus particulièrement shakespearienne, Cottafavi unit comédie et tragédie, glissant de l’une à l’autre sans rupture. Aux va-et-vient absurdes entre les eux camps, chacun interprétant à tort les intentions de son ennemi, s’oppose la vision du camp des rebelles dévasté et dont les sentinelles ont été exécutées. Si le film comporte quelques scènes de torture dramatique attestant de la violence de l’oppresseur (notamment le célèbre supplice du puits évoqué d’ailleurs sur la jaquette), nulle part cette violence n’est-elle mieux montrée que dans la vision de loin de corps retournés et inertes. A l’évocation dramatique et colorée du sang, Cottafavi préfère l’allusion et la suggestion. Lors de la bataille finale, le passage au noir et blanc inscrit les duels dans une forme de grisaille amplifiée jusqu’à l’indistinction. Dans le combat, tous les camps s’égalent – ce qu’aura démontré par ailleurs tout le film, les ennemis passant leur temps à échanger leur camp – ; mais ce partage de la mort est la condition secrète de la communauté de vie.

6) Mettre en abyme : faisant office de Monsieur Loyal, ouvrant comme il fermera le film, un peintre s’arrache à sa fresque pour présenter l’oeuvre à venir. En se mettant lui-même en scène à travers la figure du peintre, Cottafavi avoue son ambition et en même temps la limite qu’il lui impose. Non pas celle d’un artiste mais celle d’un artisan qui ne signera pas de son nom et trouvera cependant le moyen de s’inclure à l’intérieur du tableau. Celle d’un petit-maître dont l’ambition est de ne pas se placer au-dessus de la place qu’il estime être la sienne. Le film sera donc une fresque populaire qui mêlera la vie, la mort, la guerre (la bataille finale n’est d’ailleurs pas sans rappeler la célèbre mosaïque de la bataille d’Issos ou celle peinte par Altdorfer) et l’au-delà, fût-il évoqué ironiquement à travers des images apocalyptiques qui viennent illustrer le décor plus que souligner le propos.

7) Etre universel : soit dépasser le cadre historique, le contexte propagandiste et l’argument médiéval pour retrouver ce qui fait le socle de l’humain et du commun. Difficile d’oublier ici ces scènes qui montrent Chrétiens et Maures faire leurs prières ensemble lorsque sonne l’angélus, ou ces corps anciennement ennemis attelés à la même tâche et unifiant leurs efforts dans le même geste d’une moisson. Le réalisme de Cottafavi n’est pas néo- mais oecuménique, réaffirmant par-dessus toutes les oppositions irréductibles et les inimitiés irréconciliables la possibilité d’un pacte de paix et celle d’un partage par-dessus les idéologies particulières. Mais œuvrer ainsi, l’air de rien, à l’établissement de cette humanité commune, dénoncer l’absurdité des combats pourtant inévitables, dialoguer avec le spectateur, l’instruire et le cultiver au passage sans pour autant lui refuser le plaisir des images et des récits, lui permettre de garder foi , jusqu’au milieu des pires situations dans un avenir qui lui reste ouvert, ce n’est pas là la marque des petits artisans mais bien celle de ceux qui commettent des chefs d’oeuvre.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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